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    Je me suis pointé chez  lui avec une demi-heure d’avance.
    Mon arrivée était pourtant prévue pour 18 heures 30, voire plus tard à cause du temps de trajet qui sépare Nanterre-Préfecture de Place d‘Italie. Mais comme de par hasard, il a naturellement fallu que je termine le boulot plus tôt, que mes train, métro et bus arrivent tous à l’heure, et que je débarque chez lui à 18 heures, pile au moment où il prenait sa douche.
    Non pas que la vue - de son corps nu et ruisselant d’eau et à peine couvert d’une serviette au niveau des hanches -, ait été désagréable à voir lorsqu‘il est venu m‘ouvrir, mais je déteste quand tout ne se passe pas dans l’ordre. Ca me donne l’impression que j’ai loupé quelque chose, ou que j’ai mal fait.
    J’ai horreur de ça.
    Du coup, nous nous sommes serrés la main rapidement, et alors que lui est précipitamment retourné à sa douche interrompue, moi je suis allé m’asseoir sur son clic-clac. Stoïque, j’ai retiré mes chaussures, sorti un livre, rangé mon MP3, et commencé à lire. La musique des Fall Out Boy émise par la télévision à écran plat était horriblement forte. Tellement forte qu’elle tuait la tranquillité des voisins et l’habituel silence du petit couloir commun de l’immeuble, emplissait le petit studio de manière totalement obscène,  et s’écoulait avec indifférence jusqu’aux fenêtres ouvertes et bien plus loin au dehors, faisant partager le tapage à toute la rue du dessous - je précise qu’il habite au premier étage situé à quelques mètres à peine au-dessus du trottoir, ce qui fait qu’en arrivant devant la porte du hall, j’ai cru que ce que j’entendais était une musique d’ambiance provenant du Carrefour Express d’en face! - mais, et alors? C’était tout lui ce genre de comportement, j’étais chez lui, et si je n’étais pas content, et bien, je n’avais qu’à partir.
    Plusieurs minutes s’écoulèrent tandis qu’il se pomponnait dans la salle de bain. J’eus le temps de lire un chapitre et demi avant de le voir sortir, tout beau et parfumé, aussi propre qu’un sou neuf, et plus séduisant que Don Juan. Durant ma lecture, j’ai eu tout le temps de me laisser aller à mes fantasmes, et de l’imaginer sous la douche, en train de procéder à sa toilette, de se savonner, de se rincer, de s’essuyer, de se raser et de se parfumer. Le tout avec les gestes simples, minutieux, et vifs qui le caractérisaient, et qui faisaient que j’éprouvais pour lui, ce que j’éprouvais.
    Habillé d’un t-shirt, d’une chemise en flanelle et d’un jean, il s’est mis en devoir de diminuer le niveau sonore de la musique et d’enfiler ses chaussures. Il me charriait sur le fait que j’aurais pu moi-même baisser le son. Mais j’ai préféré jouer le jeu que de me vexer, et lui ai répondu que je n’étais pas chez moi, et que je préférais de loin le laisser tripatouiller les boutons de sa télécommande plutôt que de me voir reproché un quelconque disfonctionnement plus tard.
    Enfilant nos manteaux par-dessus nos pulls, nous sommes descendus sur le parking pour récupérer le dîner resté au frais dans le coffre de sa voiture - par ce froid polaire venu de Sibérie, utiliser un véhicule comme congélo est plutôt une bonne idée pour faire des économies, il ne reste plus qu’à débrancher tous les frigos!
    Sur le chemin du retour, une galette, des lasagnes et des chouquettes en main, il a fumé cigarettes sur cigarettes, tout en pestant sur le fait que sa pièce à vivre était un vrai bordel, que j’étais arrivé trop tôt pour qu’il ait eu le temps de ranger, et qu’il avait horreur de recevoir quand rien n‘était nickel. Moi je lui rétorquais que ce n’était pas grave, qu’on se connaissait depuis un bail, et que ce n’était pas comme s’il avait encore à me faire bonne impression. D’autant plus que ledit bordel, se résumait en fait à des draps froissés jetés à même l’assise du canapé pas du tout déplié, à deux ou trois assiettes sales qu‘on ne voyait qu‘en entrant dans la cuisine, et des vêtements roulés en boule dans un coin de la pièce. Son salon n’est pas très grand, à peine la moitié d’une salle de classe, mais il y a tout de même assez de place pour y installer un clic-clac et une table basse, deux petites bibliothèques et une commode. D’ailleurs, comme l’appartement n’est pas grand, il n’y a pas de chambre. Il dort donc dans le salon, juste en face de la petite cuisine qui n’est pas fermée par un mur, mais ouverte sur l’intérieur avec un coin repas et un rebord de bar. La salle de bain est située juste derrière, en face de la porte d’entrée. Un petit couloir fait le lien entre les deux pièces, et c’est tout. L’ensemble est petit, mais propre. Il est fonctionnel et en bon état, tout à fait ce qui fallait à un mec comme lui.
    Rabattant le col de mon manteau sur mes oreilles, je trouve le moyen d’effacer son air bougon en lui racontant des bêtises du boulot : les bourdes des collègues, les ragots, les moqueries malsaines, la camaraderie un peu aigre-douce. L’ambiance au travail n’est pas horrible, loin de là, mais je ne m’y sens pas à l’aise à cent pour cent.
    Le sourire qu’il m’adresse alors est si beau et si naturel que je me sens fondre pendant un moment. J’essaie de cligner des yeux pour m’empêcher de rêvasser et d’imaginer que ses si belles lèvres se posent sur les miennes, et avec bonheur, j’y arrive presque. Malheureusement, mes beaux efforts tombent à l’eau et s’évaporent lorsqu’on revient à l’appartement, et qu’il ouvre la porte pour entrer. La fugitive vision de son corps dénudé sortant de la salle de bain pour m’ouvrir me percute alors de plein fouet, et c’est sans surprise que je me sens suffoquer.
    Lui, tout naturellement occupé à la cuisine, enchaine les sujets de conversation sans rien voir de mon trouble. Cela m’aide alors à faire comme si de rien n’était, et je plaque un sourire sur mes lèvres avant d’enchainer moi aussi sur les sujets qu’il aborde. Il le fait avec tant de bonne humeur et de chaleur, que je sens quelque chose se réchauffer délicieusement au niveau de mon estomac.

    Il est à présent 20h38, et nous attaquons enfin les lasagnes.
    Lui et moi avons passé un long moment à discuter de tout, à nous raconter nos vies respectives, à nous plaindre de nos frères et sœurs, de nos parents et de nos patrons. On s’est relatés à peu près six mois d’absence réciproque, et je crois que lui comme moi, avons ressentis la même chose : le sentiment de s’être retrouvés, d’être à nouveau à sa place l’un auprès de l’autre, comme si c’était là un endroit que nous n’aurions jamais dû quitter.
    Du coup, avec nos bavardages, rien n’avait été mis au four, et il fallut encore attendre une demie heure de plus avant d’enfin pouvoir nous asseoir et rassasier nos estomac braillards. Les bruits de mastication et de couverts ne firent pas long feu devant Numéro 4, le film qu’il m’a laissé choisir parmi toute sa collection de DVD hors de prix. J’aime beaucoup ce long-métrage, l’histoire est originale et les acteurs sont beaux. Lui et moi passons un long moment à critiquer leur jeu, mais au bout d’un moment, son attention est comme absorbée par le film, et il m’abandonne bien vite. Sa capacité de concentration, ou de focalisation, c’est selon, est une facette de sa personnalité qui m’a toujours médusé. Car l’instant d’avant, il entretient une conversation passionnante avec vous, et celui d’après, dès qu’il pose un œil sur un écran de télévision, plus rien d’autre que ce qu’il regarde n’existe. C’est tout bonnement incroyable.
    Alors que lui à fini son assiette depuis un moment - la moitié de la barquette, moi j’ai eu l’autre moitié -, je fini lentement la mienne car je prends le temps de trier les oignons inquisiteurs qui gâchent mon plaisir. Cela demande un peu de temps, mais j’y parviens, et mon assiette part vite rejoindre la sienne sur la table de travail de la cuisine. Il ne s’attendait pas a ce que je débarrasse, il trouve ça mignon.
    Lui et moi restons longuement silencieux, plongés dans le film. Mais au bout d’une heure, je sens des courants d’air me passer dessus, et je me colle contre son bras. Son air étonné suite à mon mouvement, me pousse à me justifier, et c’est sans rien dire qu’il se lève à demi pour saisir sa couette et l’étendre sur nos corps allongés à la fois sur le canapé et sur une partie de la table basse. Presque tout de suite, la chaleur progresse dans mes membres et se diffuse entre nos corps couverts. C’est agréable, j’en ai des frissons, et je savoure ce contact trop longtemps désiré de son corps contre le mien. D’accord, ce contact se résume à tout mon côté latéral droit collé au sien latéral gauche, mais tout de même! J’ai sa jambe et son pied collés contre les miens, sa cuisse et sa hanche, puis ses bras, plaqués tout contre moi! Je suis d’accord pour dire que c’est assez peu, mais comme d’habitude mon cerveau n’est jamais d’accord avec ma pensé et mes ressentis, et il estime que c’est assez. Pire, que c’est même trop.
    Du coup, me voilà dur et frissonnant sous la couverture. Et lorsque dans un accès de honte, je baisse la tête pour cacher mon visage - ce qui est idiot car plongé dans son film comme il l’est, il ne voit pas à quel point je suis gêné - et dissimuler mon expression, je réalise à quel point j’ai eu tort de faire ça : l’odeur de la couverture, de son corps, de son parfum envahit soudainement mes narines, et c’est avec peine que je retiens un gémissement. Je le désire tellement! L’envie soudaine que j’ai de l’embrasser est si forte que je me mors les lèvres. Ma langue et mes glandes salivaires s’activent toutes seules, et je sens le bout de mes doigts me démanger, comme si les plonger sous sa chemise pour caresser son torse presque dénuée de poils, allait leur permettre de découvrir un remède salvateur à l’état d’excitation dans lequel je me trouve.

    Il n’est pas loin des 22 heures, le film est presque terminé, et déjà notre attention se relâche. Nos commentaires lubriques, salaces, grivois, tout ce que vous voulez, s’enchainent et s’accumulent sur nos fatigues, nos humours, et nos idées mal placées combinés. Lui, parvient à trouver un sens pervers à chaque chose que je dis, et il faut avouer que je ne fais pas d’effort pour éviter les sous-entendus. C’est une plaisante ambiance de camaraderie qui s’est installée là, et j’en raffole. Mais malheureusement, il n’y a pas que de cela dont je raffole : son air à moitié somnolant sous sa couverture, ses joues roses, et se regard rêveur, sa voix rendue rauque par la fatigue d’une intense journée de travail et par la détente procurée par un bon moment passé avec un ami proche. Cette vision de son corps détendu et alangui me chavire tant que je m’étouffe d’émotion. Si seulement je pouvais le devenir bien plus…
    A présent, mon corps n’est plus qu’une lourde masse détendue, perclue de fatigue et échauffée par le contact de son corps contre le mien. Mes pensées s’ébattent toutes seules et battent la campagne à outrance. Elles créent des rêves, des fantasmes torrides où il se tourne soudain vers moi, se jette sur mes lèvres, me retourne sur le matelas du canapé et me fait l’amour passionnément et avec art.  De nombreuses fois je l’ai entendu dire : « moi, quand je fais l’amour, je le fais bien, et je me donne à fond! ».
    Oh, oui…
    Oh, comme j’aurais aimé qu’il se donne à fond sur moi là maintenant tout de suite! Qu’il s’agite en moi furieusement, et qu’il m’apprenne à soumettre mon corps, à l’accorder au sien pour ensuite recommencer, encore, encore, et encore…
    Encore et toujours plus encore…
    Le tout jusqu’à plus soif.
    Mais non je ne peux pas. Lui et moi nous connaissons depuis le collège, la cinquième pour être précis, et je ne veux pas briser la complicité que nous avons eu tant de mal à construire.
    Lui est hétéro, moi je ne le suis pas. Je suis gay, et je le lui ait dit. Il ne l’a pas mal prit, mais m’a clairement fait comprendre les limites de sa tolérance. Selon mes souvenirs, à cette époque, j’ai eu le droit de faire certaines choses en sa présence, et pas d’autres. Je pouvais dire certaines choses mais pas d’autres. Ces barrières ont limité notre relation au tout début du lycée, mais petit à petit, la confiance est devenue plus forte entre nous, et il est devenu plus relax avec ma sexualité. Il a vu que je ne tentais rien, alors il s’est senti en sécurité.
    Une belle et trompeuse sécurité. S’il savait à quel point je suis près d’exploser… Sans doute casserait-il du pédé, histoire de se rassurer sur sa propre virilité, de vérifier que tout, absolument tout était à sa place, bien rangé là où ça devait être, et à l’usage qu’il devait avoir.

    La fin du film est passée en un éclair. Principalement parce que je n’étais pas du tout concentré sur l’écran.
    Pourquoi ressentais-je ça? Pourquoi mon cœur avait-il décidé que je l’aimerai lui, et pas un autre? Nous étions amis bon sang! De très proches amis, certes liés par un lien très particulier, mais que jamais rien d’autre n’unirait jamais. Et encore, là je ne parle même pas d’amour…
    Le lien que nous partageons se manifeste d’ailleurs à des moments inattendus. Cette sensation étrange de se trouver là où on devait être, au moment qu’il fallait, dès que nous étions ensemble ou que nos regards se croisaient, nous a rendu dingues plus d’une fois, et ce pendant un long moment.
    Au début nous trouvions ça effrayant, puis avec le temps, si pour lui c’est devenu rassurant et agréable, pour moi c’est devenu indispensable. Ressentir ce lien, cette sensation d’appartenance, juste là, au fond de moi, pas tout à fait au niveau du cœur, et pas tout à fait non plus au niveau de l’estomac, mais juste là entre les deux, m’est devenu, au fil du temps, presque aussi nécessaire que de respirer.
    Une partie de moi plongée en moi-même et occupée à rêvasser, il restait l’autre qui tentait de maintenir la riposte des vannes perverse qu’il me lançait. Elle se débrouillait plutôt bien, mais au bout d’un moment c’est devenu tellement pitoyable que j’ai décidé de renouer les deux parties et de jouer pour de vrai. Nos vannes volaient très bas, voire même pas du tout, mais c’était bon, c’était doux. Et c’était surtout tout ce qu’il pouvait me donner. Les relations sexuelles étant exclues, nous nous sentions pourtant proches comme un vrai couple. D’ailleurs aux yeux du monde, nous passions pour un couple amoureux, sauf qu’il n’y en avait qu’un d’amoureux, et ce n’était pas lui. Du coup les allusions sexuelles étaient le seul moyen d’aborder le sujet sans vraiment le faire. Enfin bref, rien de vraiment très compliqué.

    A 22 heures 41, j’ai commencé à ramasser mon courage épars afin de me redresser sur mon séant et d’enfiler mes chaussures. Quitter son contact et la si délectable chaleur de la couverture fut une véritable épreuve, mais j’y parvins. Et alors que nous échangions des bêtises très spirituelles, nous avons commencé à jouer comme des gosses, lui m’enroulant dans la couverture pour m’empêcher de m’enfuir, moi lui chatouillant allégrement les côtes, des éclats de rire dans la gorge.
    Les au revoir furent plus long qu’à l’accoutumée et un peu plus remplis d’émotions - était-ce à cause de notre trop longue séparation? Je ne saurais le dire -, mais j’appréciais. J’eus l’impression qu’il me disait : « tu m’as manqué, reste là, reste avec moi. Je te veux auprès de moi…Toute la nuit, tous les jours, toute la vie… »
    Mais comme on dit, il est beau de rêver, et je reléguais mes pensées romantiques dans un coin de ma tête, histoire d’être concentré pour lui faire une bise d’au revoir et ne pas lui embrasser les lèvres au lieu de la joue. Mais au moment où je me penchais, il passa une main sur ma joue et me murmura que j’avais la peau douce. Son regard ensommeillé brillait comme un spot, et je n’ai pas résisté à l’envie de le narguer : « Aaah, mais si tu savais! Imagine une peau comme ça sur tout le reste du corps, et t’auras une bonne idée de ce que tu rates! »
    Le sourire moqueur qu’il m’adressa  failli faire s’effondrer tout mon self-control, et l’espace d’un instant je me vis l’enfourcher en position assise et le saisir par les cheveux pour le secouer, le réveiller et l’embrasser à pleine bouche. Je me vis dans cette vision fugitive, sous un autre jour. C’était un autre moi, dans une autre dimension : affamé d’amour et du  goût de sa bouche, insatiable et passionné.
    Je n’avais jamais été comme ça, et je dû me faire violence pour secouer la tête afin de m’éclaircir les idées et faire disparaitre la vison érotique.
    Submergé par des émotions contraires, j’ai préféré prendre la fuite et m’échapper le plus loin possible de chez lui, de lui, et de l’incommensurable désir qu’il faisait naitre en moi, avant de faire céder à mes pulsions, et de commettre une énorme erreur que je regretterais toute ma vie.
    Je savais déjà qu’il dormait en caleçon, et je me suis dépêché de sortir dans le froid glacial de la rue pour me refroidir la tête.

    Il était 23 heures 11 quand j’entrais enfin chez moi. J’avais le cœur qui battait à tout rompre. Et ce fut pire lorsque mes pensées revinrent sur la phrase qu’il avait lancé à ma remarque sur ma peau douce :

    Oh! Arrête sinon je vais te violer!

    Oh mon Dieu, s’il savait à quel il avait été près de l’être...


     

    Billet :

    Pour faire simple, cette histoire est vraie. Tout ça s'est réellement passé...entre un de mes meilleurs amis et moi. J'ai rédigé cet OS tout de suite après mon retour chez moi. Il a servi de défouloir à toutes mes émotions déchainées, car à l'époque, j'étais très amoureuse de lui, mais notre passé en commum (long et compliqué) m'interdisais en quelque sorte de m'émpancher et de me confier à lui. Je l'ai donc fait par écrits, sur une page Word, à travers des mots, un autre genre d'interdit et une histoire facile à mettre sur pied. C'était facile, puisqu'il s'agissait de moi, et que tout ce qui est dit, venait tout juste de se produire. Prenez un autre point de vue, mettez tout au féminin, et vous revivrez les émotions que j'ai moi-même ressenties... 

     

     


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