• Chapitre 29.1

    Partie 1.

    Le temps.
    Qu’est-ce que le temps sinon une unité de mesure bien étrange, mais dont la rapidité d’écoulement n’est absolument pas identique à tous les endroits du monde?
    Et pour cause, le temps filait particulièrement vite dans le Mondrose, raison pour laquelle Paélia s’impatientait.
    Depuis sa dernière entrevue avec Elizia, quelques semaines humaines plus tôt, celui-ci lui avait assuré que tout était sous contrôle, que l’affaire serait simple, et qu’il fallait qu’elle lui fasse confiance.
    Et bien elle l’avait écouté, et cela l’avait-il menée? A rien.
    Le délai était écoulé, et elle n’avait toujours rien de ce qu’elle avait demandé. Rien de rien. Absolument rien. Le vide total. Le néant.
    Mais que diable faisaient ces humains? Essayaient-ils de la duper? Elle espérait que non, du moins, s’ils voulaient rester en vie.
    Alors se moquaient-ils d’elle et de sa bonté? Ou la testaient-ils pour savoir jusqu’où elle pourrait aller par contrariété?
    Encore une fois, elle espéra que non. Eradiquer toute une espèce à cause de quelques individus était une chose qu’elle ne désirait pas faire et qui lui inspirait un profond dégoût. Mais quoi? Elle était en colère. Et elle détestait cela.
    Tourbillonnant lentement entre les pétales de ses adoratrices lunaires, la Gardienne étouffa un soupir entre ses lèvres argentines. Réalisaient-ils au moins combien ce qu’elle leur avait accordé - sa confiance et son temps -, était précieux, inestimable?
    Probablement pas.
    Que devrait-elle faire alors? Les punir?
    Et pourquoi pas?
    Donner une bonne leçon à tous ces humains prétentieux qui se croyaient tout permis et qui pensaient que tout leur était dû, était alléchant. Mais après? Que ferait-elle si elle se retrouvait à court d’idée, ou pire, s’il se révélait qu’elle s’était trompée sur leur compte et qu’elle avait appliqué sa sentence trop tôt?
    Mais après tout, avait-elle le choix?
    Plusieurs fois, elle avait cédé à leurs voix qui la suppliaient de leur accorder davantage de temps, prenant sur elle comme jamais, faisant preuve de clémence et de patience comme jamais une Gardienne n’avait osé le faire, et pour quoi? Pour finir trahie? Surement pas!
    Levant les yeux vers le ciel, afin de prier les Astres et la lune, pour finir par le Très Haut, elle ferma les poings et prit une décision.
    Minuit.
    Elle leur laisserait jusqu’à minuit, et ensuite, elle aviserait. Mais si jamais ces humains se moquaient d’elle, tous le paieraient cher.
    Très horriblement cher.

    ***

    Pendant que dans le ciel, les nuages s’amoncelaient sous d’ombrageux auspices, bien des jours et des semaines s‘écoulèrent, poursuivant leur cours avec une imperturbable régularité, indifférents aux malheurs terrestres et souterrains qu’ils laissaient sur leur passage.
    Penché au-dessus d’Elizia, Florent nettoyait le jeune homme à grandes eaux à l’aide d’un gant et d’une bassine d’eau tiède. Adonis se tenait à ses côtés pour l’épauler, tandis qu’autour d’eux, Tessa faisait les cent pas en grognant. Cela allait bientôt faire vingt-neuf jours que celui-ci gisait dans un coma végétatif, mais le jeune homme se souvenait de la scène comme si elle s’était déroulée la veille.

    Alors que des parties du château s’effondraient sous la mystérieuse secousse qui avait ébranlé ses fondations, les élèves s’affolaient dans toutes les chambres, criant de panique et de peur sous les morceaux de plâtre qui se détachaient des plafonds, et qui manquaient sans arrêt de les écraser.
    La situation était donc incontrôlable au-dessus, mais elle était encore bien pire en-dessous, car bien des kilomètres plus bas, Florent frémissait d’angoisse. Quelques instants plus tôt, il s’était trouvé sur le lit, l’esprit vagabondant en espérant de tout son cœur que son amour revienne avec la solution de tous leurs problèmes, et ceux d’après, l’objet de ses pensées avait effectivement fait irruption dans la pièce, mais le corps couvert de sueur et le débit délirant.
    Le voir débarquer de cette façon fut une véritable surprise, et bien qu’il essaie de ne pas imaginer le pire, Florent n’avait aucune idée de ce qui qui avait bien pu se produire dans la Chambre du Maître pour qu’Elizia revienne dans un tel état. Peut-être l’incube lui avait-il jeté un sort, ou peut-être qu’il s’était produit un évènement inattendu. Mais quoi qu’il en soit, le jeune homme espérait que les jours d’Elizia n’étaient pas en danger. Qu’il soit plongé dans un sommeil si profond le terrifiait, et ses nerfs en étaient tellement tendus de nervosité et d’angoisse que tout son corps était raidit à lui en faire mal. Tant de stress empêchait Florent de respirer correctement, et toute cette tension venait autant de la condition maladive de son homme, que de l’absence du nom que le jeune baron était allé chercher. Florent avait beau le regarder sous toutes les coutures, il ne voyait rien qui puisse l’aider.
    Après son irruption en catastrophe, le jeune homme lui avait donné un bain d’abord glacé pour tenter de faire baisser sa fièvre, puis plus tiède afin de détendre son corps et ses poings crispés. Le tout en essayant de lui parler et de le toucher afin de lui redonner connaissance. Mais à son plus grand désespoir, si la température avait un tantinet baissé, ni le corps, ni l’esprit de son aimé n’avaient eu d’autre réaction. C’était à peine s’il avait ouvert les yeux. Et il ne cessait de gémir en murmurant le nom de Paélia! Encore une heure à ce régime, et Florent sentait qu’il allait perdre la tête!
    Tremblant de peur de la tête aux pieds, Florent n’était pas certain de pouvoir garder son self-control très longtemps. Son pauvre cœur n’était pas en mesure d’endurer une telle vision : voir Elizia allongé là, si pâle et si souffrant, presque mort...C’était au-dessus de ses forces.
    Se résolvant alors à faire appel à Adonis, Florent se concentra sur le lien ténu, mais néanmoins bien présent, qui les unissait, et connecta son esprit au sien, comme à chaque fois qu’Elizia et lui souhaitaient mettre une réunion en place. Il détestait royalement sentir leurs deux esprits entrer en contact de façon si intime, mais il n’avait pas le choix.
    Le Pantin lui répondit presque immédiatement.
    - Qu’est-ce que tu me veux?
    - Elizia a un problème…Il…Il faut que vous veniez c’est effrayant! Je…Je ne sais plus quoi faire Adonis, il faut que vous m’aidiez! Faites vite! Je ne veux pas qu’il meure!
    - Tsss…. Toujours au milieu de nouveaux problèmes hein? On arrive.
    Interrompant sèchement la connexion, Adonis n’eut besoin que de quelques minutes pour faire irruption dans la Chambre et constater l’état de la situation d’un seul coup d’œil. Sur son visage ne s’étalait aucun signe d’affolement ou d’appréhension, mais en croisant son regard, Florent sut immédiatement que le Pantin savait de quoi il s‘agissait,
    En le voyant avancer vers lui d‘un air si décidé, le jeune homme eut un soudain élan d’espoir, pensant que le Pantin allait pouvoir arranger la situation. Mais lorsqu’il le vit s’immobiliser avec un air impassible devant le corps alité d’Elie, le jeune homme perdit d’un coup toutes ses illusions, et sentit ses yeux se border de larmes.
    - Voilà qui est intéressant.
    Florent renifla, l‘œil coléreux.
    - Je ne vois pas ce qu’il y a d’intéressant! Elie est dans cet état depuis bientôt trois heures, et cela empire à chaque minute! Qu’est-ce qu’il faut faire pour le sortir de là?
    Imperturbable, le Pantin garda le silence.
    - Adonis répond-moi!
    - Il n’y a rien à faire pour lui. Ton Elizia se trouve actuellement dans une sorte de transe végétative, un état causé par le travail effectué par l’enfant qu’il porte. Il va bientôt lui donner naissance, et d’ici-là, il ne pourra rien nous dire de ce qu’il a découvert chez le Maître, si toutefois ce bon à rien est parvenu à trouver quelque chose…
    Entendre un Pantin, dont l’existence était à présent inutile, traiter les autres de bons à rien était un peu fort de café. Mais Florent ne releva pas, il était bien trop affligé par ce qu’il venait d’entendre pour se préoccuper des propos foireux d’une créature blasée. Toutefois, il nota l’offense dans un coin de sa tête, pour lorsqu’il aurait tout le temps, plus tard, de la lui faire payer.
    Ainsi, le jeune homme allait devoir attendre que leur enfant vienne au monde pour récupérer l’amour de sa vie! Mais comment allait-il faire si l’évènement mettait des jours, voir des semaines pour se produire? Paélia n’attendrait pas leur venue indéfiniment, et il viendrait bien un jour où elle s’inviterait sans ses rêves à lui pour lui demander des comptes! Et que lui dirait-il alors? Que toutes les promesses et les accords qu’ils avaient passés devaient s’annuler parce qu’aucun d’eux n’était capable de lui apporter la seule chose qu’elle demandait et qui pouvait les sauver tous? Qu’Elizia avait échoué, et que par conséquent, ils allaient tous mourir? Non, c’était inacceptable. Il fallait qu’il trouve une solution, ou alors, ils allaient tous y passer, cet enfant le premier.
    - Sais-tu comment se déroule…l’accouchement?
    - Non. Chaque Aboutissement est différent selon les personnes, leur personnalité, et les conditions dans lesquelles la Conception s’est déroulée. Il peut très bien se faire dans un bain de sang, que dans une explosion de lumière ou dans le silence le plus complet. Personne non plus ne peut savoir qu’elle sera l’apparence du nouveau-né, ni quels seront ses pouvoirs d’ailleurs.
    Effondré par les implications d’une telle situation, Florent s’agenouilla aux pieds du lit et posa sa tête sur ses bras repliés au bord du lit.
    - Oh mon Dieu…
    - Appelle-moi simplement Adonis.
    Agacé, le jeune homme lui lança un regard noir en oblique. Ce n’était pas du tout le moment pour faire ce genre de trait d’humour vaseux, mais visiblement, ce dernier n’en avait rien à faire.
    - Pour être tout à fait honnête mon petit Flo, l’état de ton amant ne me touche absolument pas, et si tu veux mon avis…
    - Merci Adonis, mais je pense que Florent saura se passer de ton opinion.
    Les larmes aux yeux, le jeune homme salua la Songeuse d’un ton morne. Il était soulagé de sa venue, ainsi il ne serait pas seul avec le Pantin, mais son cœur ne manifestait plus aucune joie pour rien. L’être qu’il aimait le plus au monde était inconscient, aucun d’eux ne pouvait savoir ce qu’il avait découvert, et leur échéance arrivait à grands pas. C’était une catastrophe.
    Il était dévasté.
    - Tu ne devrais pas écouter tout ce qu’il te dit petit homme. Sa peine et sa haine lui font dire des choses qui dépassent sa pensée, alors n’y prête pas attention.
    - Merci Tessa.
    - Reste ici. Je vais essayer d’entrer dans l’esprit d’Elizia. S’il a découvert ce dont nous avons besoin, il nous reste une chance pour que l’information soit présente dans ses pensées. Puisque son corps et son esprit sont au repos, infiltrer ses rêves ne devrait pas être difficile.
    Un méchant sourire aux lèvres, Adonis lança une pique :
    - Mais bien sûr! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt? Cela m’étonnerait que tu trouves quoi que ce soit dans la caboche vide de cet imbécile, mais bonne chance tout de même ma chère!
    Ignorant le sarcasme, la panthère s’approcha du lit à son tour et s‘élança, prenant appui sur ses pattes arrières afin de poser celles de devant sur chacun des côtés du visage du malade. Une fois correctement positionnée, elle tenta d’établir une connexion psychique, mais au moment où elle entrait en contact avec la zone du cerveau qui enfermait les rêves du jeune homme, elle se heurta à un mur infranchissable.
    Immense, incroyablement long, et tout entier fait de lumière, ce mur barrait son esprit de façon radicale, soulignant clairement la limite entre les deux mondes que Tessa visitait si facilement d’habitude.
    A l’extérieur, dans le monde réel, le corps de la Songeuse se tendait et son doux pelage se couvrait de sueur, tandis qu’à l’intérieur, dans l’esprit d’Elizia, elle cherchait à faire le tour du mur, à l’escalader, à le traverser. Elle se concentrait et faisait de son mieux, mais elle ne parvenait à aucun résultat. Une telle résistance lui évoquait bien quelqu’un en particulier. Elle savait qu’elle s’était déjà confrontée à un tel pouvoir et à une telle lumière, mais elle n’était pas certaine d’avoir raison. Tessa préférait s’en assurer avant d’avancer des accusations.
    Renonçant à lutter plus longtemps contre ce qui lui dissimulait si farouchement les pensées du jeune homme, Tessa mit fin au contact et se repositionna sur ses quatre pattes rendues flageolantes par l’effort. Essayer de ruser contre une force aussi puissante lui avait demandé beaucoup d’énergie, et si elle n’avalait pas quelque chose rapidement, son corps finirait par s’écrouler au sol.
    Se blottissant contre Sorrel, Tessa murmura une demande concernant un certain cuissot de viande sanguinolent, et murmura pendant qu’elle mangeait.
    - Mes amis, on dirait bien que le destin s’acharne contre nous. Une force dans son esprit bloque les pensées d’Elizia, et je ne suis pas assez puissante pour la contrer. En définitive, nous n’avons pas vraiment le choix. Nous allons devoir attendre qu’il se réveille.

    Un éveil qui n’était jamais arrivé jusqu’à aujourd’hui.
    Plusieurs semaines auparavant, Florent se souvenait d’avoir encore eu l’espoir de tout voir s’arranger, de vivre une fin heureuse sans que trop de sang ne soit versé. Mais ça c’était bien avant aujourd’hui, bien avant qu’Elizia ne surgisse dans la Chambre comme un beau diable et s’évanouisse entre ses bras, avant que toutes leurs chances s’envolent en fumée et qu’ils soient condamnés à une fin tragique.
    Toutes ses espérances d’alors étaient si éloignées de la situation actuelle! Mais qu’y pouvait-il, à part espérer un miracle? La fin du mois serait pour ce soir à minuit, et ils ne savaient toujours rien.
    Elizia était toujours plongé dans un sommeil sans fin, et ce qu’il avait découvert était toujours inaccessible. L’enfant pouvait naître d’une minute à l’autre, et personne ne savait quoi faire, ni à quoi s’attendre. Aucun d’eux n’avait de nouvelles du Maître, et même Sorrel était incapable de leur montrer où il se trouvait. Et pour couronner le tout, une sorte de tache étrange - sinueuse et tentaculaire, parcourue de veines noires et dotée d’un épicentre sombre et violacé - qui débutait au nombril pour s’étendre jusqu’au reste du buste, s’étalait de plus en plus largement sur le ventre d’Elizia, donnant l’impression qu’une sorte de gangrène le dévorait depuis l’intérieur même de l’épiderme.
    Personne ne connaissait la provenance ni la raison de son apparition, mais c’était inquiétant, et très effrayant.
    Cette gestation presque à terme et tous ces éléments combinés, mettaient leurs émotions à fleur de peau, et aucun d’eux ne parvenait à se résigner à la tournure qu‘avaient pris les évènements.
    Lutter aurait été une option des plus tentantes. Mais comment auraient-ils pu combattre sans armes? En étant si démunis? Même avec toute la bonne volonté du monde, aucun être humain - ou même non humain d’ailleurs - n’en aurait été capable contre de telles puissances. Et le pire, c’est qu’ils n’y pouvaient rien.
    Passant précautionneusement le gant sur la partie précisément peu ragoûtante de l’anatomie de son amant, Florent retint la bile qui lui brûlait la langue et poursuivit sa tâche. Débarrasser Elizia de sa sueur et de ses sécrétions était primordial, et ses propres besoins pouvaient aisément attendre. Son amour passait avant tout, mais visiblement, ce n’était pas le cas d’Adonis, car soudainement excédé, celui-ci laissa tomber le malade sur les draps sans prévenir.
    - Ah! J’en ai assez!
    - Adonis! Mais qu’est-ce que tu fais?!
    - Je laisse tomber ce tas de viande espèce d’idiot! Ça ne se voit pas? Je ne suis pas là pour jouer les infirmières! C’est avec toi qu’il couche, pas avec moi! Alors c’est à toi de t’occuper de lui, pas à moi!
    - Arrête tes bêtises, et reviens m’aider! Je n’ai pas assez de force pour le porter à moi tout seul!
    - Non!
    - Espèce de raclure! Je te rappelle qu’il a les informations dont on a besoin, et qu’en attendant qu’il aille mieux, nous devons nous occuper de lui!
    Dégoûté, le Pantin lui lança un sourire mauvais.
    - Alors quoi? Maintenant on doit se coltiner le boulet de service? Comme c’est bizarre, je ne me souviens pas avoir signé pour ça.
    Se détournant de Florent pour atteindre la porte d’entrée, Adonis se retrouva alors brutalement propulsé en arrière, sa tête heurtant violemment le sol, et l’air de ses poumons s’évanouissant d’un seul coup. De colère et d‘exaspération, Tessa s’était jetée sur lui pour l’empêcher de partir, et c’est en levant les yeux vers elle, qu’il se rendit compte de son réel état émotionnel.
    Ses yeux étaient d’un éclatant rouge vermillon, et ses crocs étaient deux fois plus gros que d’habitude.
    - Adonis…. Ne me force pas à faire quelque chose de regrettable. Cesse de te plaindre et fais ce qu’il y à faire. En silence. C’est compris?
    Rendu muet par l’orgueil, le Pantin ne dit rien pendant un long moment. Mais lorsque la Songeuse posa une patte longuement griffue sous sa gorge, celui-ci vit sa langue se dénouer très rapidement.
    - Oui, c’est compris.
    Et sans un mot, elle le libéra de son emprise. Retournant à ses cent pas, grognant toujours contre la malchance et contre ce qui l’empêchait de traverser le mur de lumière.
    S’efforçant d’être magnanime, Florent ravala la réplique acerbe qui lui démangeait les lèvres. Il comprenait. Bien sûr, il haïssait Adonis, mais pour une fois, le jeune homme comprenait sa réaction.
    La pression qui pesait sur eux comme une épée de Damoclès tournant au-dessus de leurs têtes, les rendait fous un peu plus chaque jour, et même si pour Florent surmonter sa peur et sa nervosité était encore possible pour le moment, la tâche était bien plus difficile pour ses compagnons.
    Ne pas pouvoir lire les rêves et les pensées d’Elie rendait Tessa presque folle de frustration. Ce qui la conduisait parfois à des accès de colère incontrôlables et à de violentes et brutales crises morphéennes. Quant au Pantin, depuis que le jeune baron avait fait irruption dans la Chambre pour finalement tomber dans un profond coma, il ne cessait de montrer des signes inquiétants d’agitation, doublés d’une évidente impatience qui mettaient les nerfs de Florent en pelote et taillaient sa résistance en pièces.
    Cette situation intenable risquait de tous les pousser à se battre entre eux jusqu’à atteindre un point de non-retour. Florent espérait simplement qu’ils ne l’atteindraient qu’après minuit.

    ***

    Selon ce qu’elle percevait du monde humain situé en-dessous d’elle, Paélia sentait que minuit approchait. L’éveil de l’heure fatidique vibrait jusque dans le plus profond de son être, et cette sensation commençait à l’agacer. Patienter n’avait jamais été son fort, et encore plus aujourd’hui, elle exécrait cela. Minuit chez eux allait bientôt sonner, et personne n’avait daigné lui donner signe de vie. Ces humains n’avaient décidément aucun respect pour elle, ni aucune considération. Ils croyaient visiblement que sa parole n’était pas vérité, mais ils se trompaient lourdement, et elle allait leur faire payer leur indifférence.
    Inspirant profondément l’air frais chargé d’iode et de senteurs florales, la Gardienne du Mondrose écarta les bras de lumière de son corps immense et expira lentement, un impassible sourire étirant ses lèvres invisibles.
    Minuit.
    L’heure de s’inviter dans les rêves était venue.
    Etendant sa perception mentale au-delà du Mondrose, la Gardienne mit un certain temps avant de parvenir à localiser l’esprit d’Elizia. Ce tâtonnement était très inhabituel, et elle n’en découvrit la raison qu’une fois parvenue aux abords de son esprit. Car lorsqu’elle toucha la porte et la poussa pour tenter d’y entrer, elle se heurta à une barrière infranchissable qui n‘était pas faite de son pouvoir. En se concentrant bien, elle pouvait sentir les pensées et les images bouger sous son pouvoir, se mouvant telles des volutes de fumée, affleurer sous la barrière avec légèreté, comme des papillons folâtrant gaiement de fleur en fleur sans jamais trouver fleur où se poser. Les sentir si proches, et à la fois si lointaines, savoir que la réponse qu’elle désirait tant était là sous elle, sans qu’elle puisse la saisir était d’une frustration au-delà du supportable. Mais qu’est-ce que c’était donc que ce pouvoir? Evidemment, sa magie protégeait toujours les pensées du jeune homme, mais elle n‘avait aucune emprise sur Paélia. Alors d‘où venait-il?
    Deux idées lui vinrent alors à l’esprit. Soit l’incube avait compris et perçu ses protections, les avait détruites, et les avait remplacées par les siennes, réduisant ainsi à néant toute chance de communication entre elle et l’humain. Soit Elizia avait abandonné la lutte, et s’était finalement résolut et rangé aux côtés de l’Infâme.
    Cette dernière pensée était évidemment contradictoire et moins facile à croire que la première, mais Paélia trouvait trop facile que le démon soit toujours la cause de tout ce qui n’allait pas. Ayant vécu longtemps parmi les humains, elle savait à quel point leur intelligence pouvait les rendre retors, couards et minables, cupides, sans cœur et sans scrupules. D’après ce qu’elle avait compris, le jeune homme haïssait l’incube et avait assuré vouloir sa perte. Mais quelque chose dont elle n’avait pas connaissance avait tout à fait pu se produire et changer sa façon de penser. Une menace, un meurtre, ou autre, qu’en savait-elle? Ces êtres faibles et corruptibles étaient si facilement manipulables, alors qui pouvait savoir ce qu’il en était vraiment?
    Il était finalement tout à fait possible que l’humain ait décidé de lui-même de se rendre à son geôlier, de faire usage de la magie noire, et de la trahir purement et simplement. La contradiction et l’illogique étaient la norme de leur espèce, et ce pas toujours pour les meilleures raisons, alors pourquoi y aurait-il eu une exception? C’étaient là des possibilités très humaines, absolument haïssables et parfaitement honteuses à tout point de vue pour lesquelles le jeune homme aurait pu opter. Pour rien au monde, la Gardienne ne souhaitait y croire, mais comment aurait-elle pu croire autre chose puisque rien d’autre ne la détrompait?
    Se retirant de l’esprit corrompu de l’homme, Paélia retourna près des roses, et rassembla ses forces, folle de colère. Elle avait fait l’erreur de leur faire confiance à tous, et maintenant elle récoltait le fruit de sa méprise. Elle s’était laissé berner par leur fausse assurance et leurs fausses espérances, mais elle ne ferait pas deux fois la même sottise.
    Ils l’avaient trahie et tenue à l’écart, la laissant seule, ignorante et bête. Cela ne reproduirait plus, elle allait y veiller.

    Tout autour, dans le Mondrose, alors que la Gardienne laissait libre cours à sa fureur, un vent violent se leva et balaya le champ, fit claquer les vagues et s’envoler la brume avec force. De l’extérieur, nul n’eut dit que cette formidable tempête était d’origine divine, mais quiconque d’autre ayant vécu au château du Maître incube, aurait soupçonné qu’une autre force que celle de la nature était à l’œuvre.
    Et que celle-ci était furieuse.

    Paélia avait certes vécu des millénaires parmi les humains, mais elle les connaissait à la fois très bien et très peu. Elle n’avait jamais compris ni leurs critères de jugement, de fidélité et de loyauté, ni l’étendue de leur compassion, ainsi que leur potentiel de pardonner. Cette méconnaissance due à des milliers d’années de focalisation sur ce qu’il y a de pire en chacune de ces créature contradictoires, dans le but de les protéger d’elles-mêmes, n’avait fait que renforcer la croyance d’une trahison.
    Un fait dont elle n’avait pas conscience, car originellement conçue dans le but de protéger, l’Entité possédait lumière et pouvoir, non patience, et encore moins pitié.
    Alors elle fit la seule chose pour laquelle elle excellait : elle jugea.

    ***

    Auparavant plongée dans un silence religieux et lourd d’appréhension, la Chambre Bleue vit soudain ses immenses fenêtres s’ouvrir avec fracas. Un vent violent et chargé d’électricité s’engouffra dans la pièce et renversa tous les meubles, fit s’envoler toutes les draps, rideaux, tapis, pour finir par plaquer chacun des habitants de la pièce face au sol. Ceux-ci tentèrent d’ailleurs de résister, mais une force phénoménale était à l’œuvre, et elle les maintint en place d’une main implacable.
    - Il est minuit passé…
    Aucun deux ne rêvait, mais tous entendaient la Déesse leur parler à l’oreille. Elle était dans leurs pensées, mais pas tout à fait à l’intérieur ce qui était dommage, car alors elle aurait compris que sa colère était injustifiée, et qu’elle se trompait sur toute la ligne.
    - Il est minuit et je n’ai toujours rien. Votre chef Elizia me bloque ses pensées. Il s’est joué de moi, et vous allez payer.
    - Non! Paélia vous vous trompez! Ecoutez-moi par pitié!
    - Florent Bersham ferme ta bouche, tu n’as plus droit à la parole. Lui comme toi m’avez joué un tour. Vous avez allégrement profité de ma mansuétude pour me doubler. Alors j’annonce ceci, qui cela sera votre sentence à tous : plus aucun contrat ne sera établi. J’efface de la Terre les anciens pactes passés, j’abolis les présents accords signés, et j’interdis toutes futures alliances qui auraient pu advenir.
    - NOOOOOOOOOOON!!!! Pas ça!!!! Votre grâce, pitié, tout mais pas ça!
    - Ma Parole est vraie, et en vérité je vous le dis : vous m’avez trahie, alors vous en subirez les conséquences. Le marché entre nous est détruit. Je libère vos pensées de ma protection et vous jette en pâture au danger. Lorsque le temps sera venu, vous périrez tous sous mon châtiment, et vous ne pourrez pas y échapper.
    - Nooooon!!! Non, non, non!!! Gardienne! Gardienne! Revenez ici! C’est une erreur! Vous faites erreur! Laissez-nous vous expliquer! Laissez-moi…vous expliquer… Par pitié…
    Adonis avait beau supplier, ramper, pleurer, hurler, l’Entité était déjà partie et ne pouvait plus l’entendre. Tout autour d’eux n’était plus que désordre, brisures, cassures et néant. Les habitants de la pièce eux-mêmes semblaient meurtris, mais de l’intérieur pas de l’extérieur. Leurs souffrances se reflétaient sur leurs visages et semblaient envelopper leurs corps comme des vêtements cousus à même la peau, leurs donnant ainsi une horrible allure.
    Ils restèrent ainsi prostrés un long moment, la lente respiration d’Elizia brisant régulièrement l’effrayant silence de la pièce, puis Adonis fit quelque chose de totalement imprévisible : il se saisit de Sorrel, le brisa sur son genoux avant d’en saisir un morceau et de se précipiter sur Elizia, les yeux fous et la bouche grande ouverte sur un cri de bête sauvage.
    - Elizia soit maudit! Je te maudis pour l’éternité! Pourris en enfer, fils de catin!
    Sous le choc et le coup de la surprise, Tessa et Florent ne réagirent pas immédiatement, et c’est cette seconde d’hésitation qu’Adonis mit à profit pour poignarder violemment et profondément le cœur du jeune baron inconscient. Mais lorsque le verre toucha la peau ambrée, deux choses se produisirent simultanément : la main ensanglantée qui serrait fortement le morceau de verre dévia de sa trajectoire sans qu’aucun dommage ne soit causé et le Maître fit irruption dans la pièce.

     

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  • Commentaires

    1
    Moonlight
    Mardi 7 Avril 2015 à 21:12

    Jolie entrée en scène du maître !!! décidément, tu les fait bien souffrir Eli et Flo...pour mon plus grand plaisir!! niark!! merci pour la pub princesse!!!

    2
    Inko
    Mardi 7 Avril 2015 à 21:13

    En faisant un petit tour que vois-je? Un nouveau chapitre!!
    Après l'avoir lu je suis persuadée du sadisme évidement des auteurs!! C'est démoniaque de nous laisser un tel suspense deux chapitres en suivant! Est-il nécessaire que je précise mon impatience pour la suite!

    3
    loysia
    Mardi 7 Avril 2015 à 21:14

    salut je viens de lire les dernier chapitrer et je regrette presque de pas avoir attendue un de plus je veus savoir se qui arrive a adonis et au autre ...
    merci pour ces chap etr a bientot continue c'est genialsmiley_id239885

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