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    Mon maître m'avait appris les formes.
    Il avait perfectionné ma technique, adouci mes gestes, amélioré ma perception des ombres et des objets.
    Je n'ai pas assez de mots pour décrire ce que sa patience et son expérience m'ont apportées, ni même assez pour lui montrer toute ma gratitude.
    Il n'y a que mes actes, qui peuvent en témoigner, le montrer autant que je le ressens.
    Je m'appelle Osaki Mira, j'ai dix-neuf ans et je suis étudiant aux Beaux-arts de Paris. Je vis en France depuis bientôt six mois, et j’ai l’immense privilège d’habiter dans la maison d'amis de mon idole et mentor, le renommé peintre contemporain, Alfonso Debrezzi. Depuis tout petit, je suis fasciné par la force imprégnée dans ses tableaux, il y règne une telle intensité, une telle énergie dans les couleurs et les formes, que chaque fois que je pose les yeux sur une de ses toiles, je sens mon cœur battre comme s’il voulait s’échapper de ma poitrine.
    Je reconnaîs que c’est lui, lui et son génie artistique qui m’ont initiés à l’art, au dessin et à la peinture. J’aimerais dire qu’il n’y a toujours que ces atouts qui me poussent à toujours me dépasser pour lui plaire, pour obtenir son approbation, mais je sens qu‘il y a autre chose, quelque chose de plus fort, de bien plus déroutant que de l’admiration. Chercher à définir cet embryon de sentiment serait trop compliqué, trop difficile à analyser, et puis cela impliquerait trop de choses qui me rendraient mal à l’aise alors je préfère l’ignorer, même quand je sens que je suis en train d’étouffer, je me retiens et je reste là, à attendre.
    Aujourd’hui je dois rendre un travail pour un cours, et j’ai besoin de l’avis d’Alfonso-san. Sans lui, je ne peux rien faire, rien accomplir, sinon je me sens frustré, gêné, comme pris en faute, car inconsciemment, omettre de lui soumettre un de mes dessins serait une trahison. Dans mon pays, au Japon, nous avons des traditions, et le respect et la reconnaissance envers ceux qui nous ont beaucoup apporté font partie intégrante de notre façon de penser et d’agir. Manquer à ces règles de courtoisie et d’honneur serait commettre un affront impardonnable envers notre bienfaiteur, notre famille et nous-mêmes.
    Je met toujours un point d’honneur à respecter scrupuleusement les règles que l’on m’enseigne, tout comme je m’applique à reproduire au geste près ce que me montre Alfonso-san, il me dit souvent d’ailleurs que je suis trop sérieux, que je manque d’humour et de laisser-aller.
    Je ne suis pas d’accord avec lui, mais jamais je n’oserais le contredire. C’est juste que je veux réussir le mieux possible et faire honneur à son talent de peintre et de professeur, alors je met tout en œuvre pour y arriver, est-ce si mal? Peut-être est-ce vrai, peut-être que je manque de laisser-aller, pourtant, je me souviens que je faisais souvent rire mon père avec mes pitreries et mes plaisanteries grivoises.
    Tout cela me semble si loin! Si Alfonso-san savait que je tenais ce genre de propos, il rirait à gorge déployée! Lui qui me voit d’ordinaire toujours si calme et respectueux des convenances, il n’y croirait pas une seule seconde!
    J’ai sonné plusieurs fois mais je n’ai reçu aucune réponse.
    Alfonso-san m’avait déjà dit de ne jamais entrer chez lui sans y être invité, mais j’avais impérativement besoin de son avis, et il sait à quel point c’est important pour moi.
    J’ai sonné une dernière fois, puis me suis résolu de tourner la poignée et de pousser la porte de sa villa.
    Le hall n’était pas aussi lumineux que d’habitude, et des bouteilles jonchaient le sol du salon. Des vêtements d’hommes gisaient sur les canapés en cuir et une drôle d’odeur flottait dans l’air, celle du tabac froid.
    Dégoûté, j’ai froncé le nez. Jamais je n’avais vu la maison dans un tel désordre, c’était un vrai capharnaüm! J’ai fait le tour des pièces du rez-de-chaussée, et à mon plus grand soulagement seul le salon semblait avoir subit ce changement déplorable.
    Les grandes baies vitrées étaient à demi cachées par les stores extérieurs et la pièce était plongée dans une sorte de crépuscule orangé.
    Le son d’une bouteille qui roulait sur le sol carrelé m’a fait sursauter. Tout tremblant, je me suis retourné pour voir un homme endormit, étendu sur l’un des canapés.
    Confus, j’ai senti mes joues se colorer. Son corps était nu et outrageusement allongé, bras et jambes écartées, la bouche ouverte et les parties génitales totalement mises à nu.
    Jusqu’ici, je n’avais jamais dessiné de nus réels, aux Beaux-arts, les professeurs jugeaient que mon niveau, ma maturité artistique et émotionnelle n’étaient pas encore assez développés pour accéder à ce genre de cours. Alors j’étais resté cantonné à mes modèles qui avaient toujours été des statues, des reproductions picturales ou photographiées dans les livres. Même Alfonso-san jugeait que je n’étais pas encore prêt pour ce genre d’expérience! Bien sûr, je n’étais pas du tout d’accord, mais à présent, je comprenais le pourquoi de leur choix.
    Reproduire une image, une plante, une statue était une chose, dessiner un être humain en était une autre, et elle devenait très compliquée lorsque le sujet était nu!
    Tout devenait différent, les lumières et les ombres, la perception des volumes, les contours et les contrastes, les arrondis et les creux, tout  différait d’une image statique.
    Mais le plus compliqué, c’était que le sujet bougeait lorsqu’il posait. Garder en tête le profil d’une ombre ou l’emplacement d’un muscle lorsque le corps ne cesse de bouger n’est pas aisé, car même lorsque l’on croit être immobile, on bouge toujours. Les mouvements de la respiration, les tressaillements, les tremblements, les clignements de paupières, tout cela joue dans l’exécution d’un portrait.
    Et surtout, il y avait le sentiment d’une présence près de soi, d’être en compagnie d’un corps chaud et immobile, vivant et conscient.
    Petit à petit, je prenais conscience de cette vie, de cette réalité assoupie sur ce canapé juste en face de moi. C’était une sensation nouvelle, unique, j’avais enfin l’opportunité d’essayer, de montrer aux professeurs et à mon maître que je pouvais exécuter un nu réel.
    La gorge sèche et l’estomac noué, j’ai saisi une feuille de papier blanc et me suis installé dans un fauteuil situé juste en face du corps alangui, j’ai empoigné mon crayon pour commencer à tracer les premières lignes, tentant de trembler le moins possible.
    Penser que j’aurais pu me faire prendre n’était plus une option qui dominait mes pensées à présent, j’étais comme absorbé par l’essence que me donnait ce corps nu, aux côtes saillantes, aux membres fins et élancés et au visage si masculin. Je dessinais, encore et encore, comme hypnotisé, j’étais si loin d’ici que le bruit des pas d’Alfonso-san, n’ont pas trouvé d’écho dans mon esprit survolté.
    - Ne t’avais-je pas interdit d'entrer sans invitation? Et il me semble t'avoir déjà dit que tu étais trop inexpérimenté pour dessiner des nus réels, non?
    Je ne sais pas comment j’ai fais, mais j’ai réussi à contrôler ma main et à ne pas la faire dévier. En revanche, je me suis entendu crier dans les aigus, mort de frousse.
    Honteux de m’être fais prendre, je me suis relevé avec précipitation et me suis incliné très bas.
    - Je vous demande pardon Alfonso-san, j’ai sonné plusieurs fois mais vous ne répondiez pas!
    - Oh, et bien je devais être sous la douche.
    Imaginer Alfonso-san nu sous le jet d’une douche a fait naître en moi une bouffée de chaleur.
    - Mira, je ne serais pas toujours là pour contrôler ton travail, et ne t’ai-je pas déjà demandé de me tutoyer?
    - Si Alfonso-san.
    - Ah! Ces asiatiques!
    On a rit tous les deux, il faisait souvent ce genre de plaisanterie et ce sont ces moment-là que je préfèrais le plus au monde, je donnerais tout pour que ces instant de complicité uniques durent toujours.
    - Alors, puisque tu es là montre-moi ce que tu m’as amené.
    J’ai sorti mon exécution au brou de noix* avec précaution et le lui ai tendu.
    Mes joues se sont de nouveau enflammées lorsque nos mains se sont frôlées, puis elles ont carrément flambé quand mes yeux ont vu dans qu’elle tenue était mon maître. Jusqu’alors, trop occupé à m’excuser, je n’avais pas vu qu’Alfonso-san n’était vêtu uniquement que d’une serviette blanche…très courte. Jamais encore je ne l’avais vu dans une tenue aussi légère!
    Bientôt, j’ai senti la température de mon corps monter brusquement. Mes reins étaient en feu et mes joues ne pâlissaient pas au contraire!
    - C’est pas mal du tout Mira, je dirais même que c’est très bien. Je vois que tu as mis en avant ce que je t’ai appris, tu as même fais preuve d’initiative! Je suis admiratif vraiment mais, pourquoi as-tu mélangé autant de styles? Ces deux-là auraient fait largement l’affaire, explique-moi…
    J’ai eu du mal à avaler la grosse boule coincée dans ma gorge. Tout un maelström d’émotions me paralysait sur place, et je n’avais même pas entendu ce que mon maître venait de dire. Tout, absolument tout ce que je m’efforçais de garder au fond de moi ressortait d’un seul coup. Tout ce que je refusais d’analyser, de voir et d’admettre aspirait à présent à sortir par tous les pores de ma peau, mettant ma résistance et ma volonté à très rude épreuve.
    Il fallait que je sorte prendre l’air.
    Maintenant. Tout de suite.
    - Maître, puis-je sortir sur la terrasse un instant?
    Il m’a jeté un regard surpris, et j’ai compris à sa façon de me regarder qu’il avait vu que quelque chose n’allait pas. Mon air suppliant a dû le faire fléchir puisque sans un mot, il s’est détourné pour fouiller dans le tiroir d’une commode pour trouver la télécommande des stores.
    Les rideaux de fer glissaient avec tant de lenteur! Il fallait qu’ils se dépêchent ou j’allais m’effondrer ici-même!
    - C’est bon, vas-y mais fais attention aux escaliers, ils…glissent.
    Je n’ai pas pris le temps d’écouter ce qu’il me disait car en un rien de temps, j’étais dehors en train de dévaler les escaliers, les joues humides, les lèvres et le corps tremblants.
    Comment avais-je pu ne pas le voir? Pousser le refus à ce point?
    Je me sentais bête, si bête!
    A genoux dans l’herbe du jardin, j’ai regardé le ciel illuminé par le soleil de ce doux matin d’hiver et admiré les jolies gouttes de rosée doucement avalées par les rayons voraces.
    J’étais amoureux de lui et je l’avais toujours été.
    J’aimais Alfonso-san depuis que j’étais enfant mais j’avais toujours refusé de me l’avouer.
    A cause de quoi?
    Des convenances? De l’honneur? De la peur de décevoir ma famille, mes amis, mes ancêtres?
    Peut-être. Sûrement.
    Je regardais toujours le ciel, lorsque quelque chose de chaud a recouvert mes épaules. Un pull.
    Un pull rouge avec des rayures bleues, celui de mon maître, de l’homme que j’aime. Rouge, comme la passion que je lui porte, bleu comme le calme et le réconfort que sa présence m’apporte.
    - Dio! Mais qu’est-ce que tu es en train de faire, farfalino?
    J’ai souris, son ton est affectueux et ce petit mot l’est tout autant.
    - Qu’est-ce qui ce passe? Qu’est-ce que tu as? Ne reste pas à sourire comme ça sans rien dire!
    Charmé, je me laisse emporter par sa voix grave et son accent du sud, je suis bercé par ses bras forts et chauds qui m’enlacent et par le son mélodieux de sa voix italienne. Farfalino. Je suis son petit papillon, un papillon qui trempe ses ailes multicolores dans la peinture de l’amour, qui s’envole dans une atmosphère de parfums sucrés et de couleurs ambrées.
    - Je vous aime.
    - Mira…
    Je me tourne vers lui, nos visages ne sont qu’à quelques centimètres l’un de l’autre, mon souffle crée de petits nuages de vapeur.
    - Je t’aime Alfonso...san.
    Mes lèvres glacées se collent doucement aux siennes. Il ne réagit pas tout de suite, je crois que je l’ai surpris. Mais bien vite, il ouvre la bouche pour recueillir la pointe de ma langue qui fait rapidement connaissance avec la sienne.
    C’est doux, chaud, agréable, mon corps est comme liquéfié par la chaleur de notre étreinte dans ce doux et froid matin d’hiver.
    J’ai l’impression de n’en avoir jamais assez, c’est comme si je n’avais pas mangé depuis des jours, comme si jamais je ne pourrais en être rassasié, le contact de ses lèvres sur les miennes, la douceur de sa langue contre la mienne et ce sentiment de joie mêlés me donnent le tournis.
    Bientôt, nos lèvres se séparent et nos visages s’éloignent l’un de l’autre.
    Il me tend la feuille de papier. L’homme que j’y ai dessiné me revient en mémoire, j’en rougit d’un coup, ça le fait rire.
    - Tu es mignon quand tu rougis.
    Je le regarde, et constate qu’il s’est changé. Il porte un jean noir taille basse et un pull en cachemire blanc. Une grosse écharpe de laine grise lui mange la moitié du visage et des gants de la même couleur protègent ses mains du froid.
    Il est magnifique.
    - J’ai attentivement regardé ta technique, c’est excellent! Pourquoi tu ne m’as pas dis que tu voulais faire des nus? Si tu avais un peu plus insisté…
    - Tu me vois en train de contredire quelqu’un maître?
    Son sourire est comme une bouffée d’air chaud.
    - Non en effet, je ne te vois pas faire ce genre de choses. N’empêche, si tu étais venu m’en parler, j’aurais peut-être changé d’avis et convaincu tes professeurs de te laisser essayer.
    - Peut-être.
    - Oui, peut-être.
    Toujours agenouillé dans le jardin, je ne pouvais m’empêcher de le regarder, de dévorer des yeux ses délicieuses prunelles marron chocolat, ses cheveux courts et blonds, son sourire charmeur et cet air typique des méditerranéens qui me faisaient littéralement fondre.
    Devant un tel accès d’euphorie je ne me reconnais plus, moi Osaki Mira, je suis fou amoureux d’un homme! Moi qui m’étais toujours considéré que comme quelqu’un d’irréprochable, j’étais gay!
    Non pas que j’aie quoique ce soit conte l’homosexualité, je suis plutôt ouvert d’esprit, mais ce n’est pas le cas de ma famille. Comment allait-elle le prendre? La pilule risquait de mal passer, maintenant que je passais déjà pour un excentrique aux yeux de mon père et d'un idéaliste à ceux de ma mère, je ne préfère même pas imaginer ce qu’ils penseraient de moi à cet instant s’ils me voyaient si béat dans les bras d’un homme.
    - Et puis tu sais, les vieux grincheux comme moi, pleins aux as et réputés croient souvent tout savoir. Mais avec le temps, l’argent, la gloire, on oublie qu’un jour nous aussi ont a été des étudiants très doués qui ont commencé très bas, parfois dans la misère, mais qui ont atteint des sommets parce qu’on avait de la hargne et du talent à revendre!
    - Tu n’es pas si vieux que ça! A vingt-huit ans, t’es pas encore une momie!
    Toujours souriant, il a passé une main gantée dans mes cheveux.
    - Peut-être mais tu sais, se voir rappeler à l’ordre quelques fois est bon pour nous tous quelque soit l‘âge. Cela nous permet souvent de retourner à l’essentiel, de retrouver les bases, les origines de ce que nous étions avant. Même si c’est difficile à faire, il est très important de savoir se remettre en question, de voir où sont nos défauts, car cela nous fait avancer.
    Le regard fiévreux, il m’a saisit aux épaules.
    - La prochaine fois quand tu sens au fond de toi que tu as raison, n’hésite pas, discuter de points de vues différents ne te tuera pas.
    Je suis resté un long moment silencieux, je voulais lui dire beaucoup de choses, mais il m’a semblé que les actes parlaient plus que des mots.
    Alors je l’ai embrassé. Encore et encore, jusqu’à ce que ma tête me tourne, jusqu‘à ce que le manque d‘air nous force à nous séparer.
    Il s’est mit à rire, c’était un son merveilleux.
    - Je ne t’ai pas dit tout cela pour que tu m’embrasses à nouveau Mira! Même si c’était très agréable et très mignon de ta part! Mon petit discours concernait plutôt ta future et très prometteuse carrière d’artiste-peintre, car tu es doué, très doué.
    - Je m’en doute Alfonso-san, mais ta personne est devenue plus importante que l’Art pour moi!
    Il a froncé les sourcils.
    - Je t’interdis de dire ce genre d’inepties Mira! Si ton père t’as envoyé ici c’est pour que tu puisses parfaire ta technique, pas pour rêver à propos de simples amourettes! L’Art passe avant tout dans la vie d’un artiste, ne l’oublie jamais!
    Blessé dans mon amour propre et dans ma passion, j’ai sentis une colère sourde gronder en moi. Je n’étais pas d’accord avec lui, je l’aimais et ce n’était pas qu’une simple amourette! Peut-être avait-il eu un tas d’aventures, d’ailleurs je ne sais même pas s’il est gay! Mais je suis au moins sûr d’une chose c’est que pour la première fois, je découvre ce qu’est l’amour, et le fait que je le soit d’un homme ne fait que me confirmer dans l’idée que c’était mon destin de le rencontrer et d’éprouver ce que j’éprouve!
    Furieux, je me suis dégagé de son étreinte, il a eu l’air surpris puisque jamais encore il n’a eu l’occasion de me voir dans cet état, mais j’étais trop en colère pour compatir.
    - Alfonso-san, je ne suis pas d’accord avec toi, laisse-moi te dire que ce que je ressens pour toi est plus qu’une simple amourette! Jamais encore je ne suis tombé amoureux ou n’ai ressenti des émotions aussi fortes pour quelqu’un! Pense ce que tu veux de moi, je m’en fiche à présent. Finalement, je crois que tu es un vieux grincheux mais qui a autant de cœur que les statues en granit plantées dans son jardin!
    Je me suis éloigné de lui pour me diriger vers la villa.
    Sur les premières marches, j’ai fais volte-face.
    - Je m’en vais, je retourne chez moi. Je chercherais une école dans le pays que tu blâmes tant et n’aurais plus la douleur de voir ton visage chaque jour que Dieu fait tout en sachant que tu ne ressens que du mépris pour moi, pour ce que je ressens!
    J’ai couru vers le salon et l’ai traversé à toutes jambes.
    Pour la deuxième fois de la matinée j’étais en larmes, mais pas pour les mêmes raisons.
    Comment des larmes de joies pouvaient-elles devenir si amères? Par quel sortilège ou mauvais sort tout pouvait si mal tourner?
    J’ai gravis les marches des escaliers quatre à quatre et me suis enfermé dans ma chambre.
    Les yeux brouillés de larmes, j’ai sorti ma valise de sous mon lit, l’ai remplie de toutes mes affaires.
    Forçant un peu pour la fermer, je l’ai ensuite traînée sur les marches, puis sur le sol carrelé. Arrivé devant la porte, j’ai regardé une dernière fois ce salon couleur blanc cassé délicatement relevé d’une couleur rouge carmin et d’une touche de pourpre.
    L’homme que j’avais croqué était parti, celui que j’aimais se préparait un scotch au bar près de la fenêtre et moi j’attendais comme un con devant la porte d’entrée, ma valise à mes pieds, des traces de larmes sur mes joues et la morve au nez.
    Qu’est-ce que j’attendais au juste? Qu’il me retienne et m‘empêche de partir d‘ici? Qu’il me prenne dans ses bras comme tout à l’heure et qu’il me susurre des mots doux à l’oreille?
    Son attitude froide et distante m'a fait plus mal que son rejet. Complètement collé au bar, me tournant le dos, en train de savourer son verre à petites gorgées, il ne semblait pas se sentir concerné par ce qui se passait.
    Je savais déjà à quoi m'attendre mais j'avais besoin d'en être sûr avant de prendre une décision, une décision définitive et douloureuse.
    L'estomac affreusement noué, j’ai ravalé ma fierté et lui ai demandé:
    - Dis-moi que tu ne veux plus de moi et je m’en vais. Je t’en prie dis-moi que tu regrettes ce que tu as dis, que tu ne le pensais pas et j'oublierais tout, je resterais près de toi!
    Me tournant toujours le dos, il n’a rien dit, il est resté là à siroter son verre.
    Mon coeur battant d'un dernier espoir, j'ai ouvert la porte et ai attendu encore un peu.
    Il ne s’est même pas retourné.
    Alors je suis parti.


    13 commentaires
  • Deux ans plus tard.
     
    - Osaki-sama, un homme désire s’entretenir avec vous, dois-je le laisser entrer?
    - Comment s’appelle-t-il?
    - Il n’a pas daigné me le dire.
    - Très bien faites-le entrer.
    Après quelques minutes, Hirumi Sakoto, ma secrétaire personnelle, l’a fait entrer.
    Je n’ai pas tout de suite vu de qui il s’agissait, car j’étais tourné vers l’immense baie vitrée de mon bureau, observer la vue panoramique qu’elle m’offrait sur la ville de Tokyo m’émerveillais toujours autant.
    - Mes enseignements t’ont bien servis à ce que je vois. Tu es comme un coq en pâte, presque aussi riche que moi!
    Si je n’avais pas déjà été assis, je serais tombé sur les genoux.
    Alfonso Debrezzi.
    Le seul homme que j’ai jamais aimé.
    Il était ici, dans mon bureau.
    - Qu’est-ce que tu veux?
    - Ce n’est pas très poli de parler aux gens en leur offrant leur dos pour vis-à-vis!
    - Bizarre, c’est exactement ce que je me suis dis, il y a deux ans.
    J’ai fais mouche, car il n’a rien rétorqué.
    Deux ans.
    Deux longues années passées à tenter d’oublier ce rustre et au moment où j’y arrive, il revient me hanter jusque dans mon pays! Le pays où il avait juré à tous les saints de la Création qu’il ne mettrait jamais les pieds!
    - Qu’est-ce que tu veux?
    - Te parler.
    Me parler.
    Ce salaud voulait me parler!
    Déjà passablement énervé, j’ai fait pivoter mon fauteuil pour retrouver face à lui.
    J’aurais dû m’y attendre, mais le choc a été plus difficile à encaisser que je l’aurais cru.
    Il n’avait pas changé d’un iota, à part peut-être de légères rides mais elles lui allaient plutôt bien, elles lui apportaient une certaine distinction.
    Il avait toujours les mêmes beaux cheveux blonds, les mêmes yeux d’un brun fondant, et cette bouche…
    J’ai fermé les yeux.
    Cette bouche qu’il y a deux ans j’ai à peine eue le temps de savourer, revenait me harceler, combien de mauvais rêves n’avait-elle pas peuplé? Combien de tourments ai-je enduré avant de l’oublier?
    Et la voilà qui revenait me narguer, étirée par un sourire!
    - Je voudrais m’excuser, pour tout ce que je t’ai dis de malheureux ce jour-là, je…je ne le pensais pas.
    - Tu ne le pensais pas? Et à quoi pensais-tu donc? Que j’étais un jeune et mignon puceau qui ne connaissait rien à la vie et qui cherchait à y mettre un peu de piment, hein? A faire de nouvelles expériences inédites, et que, pour que ce soit parfait, qu’il le fasse avec son professeur, très célèbre de surcroît?
    - C’est…hum…c’est à peu près ça…à peu de détails près.
    - A peu de détail près…
    Je n’étais plus en colère, mais simplement vidé. Je me suis levé de mon fauteuil pour poser mon front brûlant contre la vitre glacée. Je me brisais à nouveau, je n’arrivais pas à croire que l’homme que j’avais aimé - et aimais toujours - ai pensé cela de moi, et encore, peut-être le pensait-il toujours…
    La tête posée contre la vitre, j’ai marmonné:
    - Tu n’es qu’un putain de connard!
    - Je te demande pardon?
    Je me suis tourné vers lui, les poings serrés.
    - Tu n’es qu’un putain de connard!
    J’en pouvais plus, il fallait que ça sorte ou j’allais exploser.
    - Espèce de salaud, t’as toujours su ce que je ressentais pour toi, je suis sûr que tu le voyais dans chacun des gestes que je faisais, dans chacun des mots que je prononçais et dans chacun des sourires que je t’ai adressé! Tu le savais! Tu le savais et tu en à joué, pire même, tu t’en es moqué!
    Je ne tenais plus en place, il fallait que je bouge, je faisais les cent pas comme un lion en cage.
    - J’ai passé deux ans! Deux putains d’années de merde à essayer de t’oublier, d’oublier les sentiments que j’ai pour toi mais je n’y suis jamais vraiment arrivé. Je te voyais partout, sur les posters, à la télé, même sur les visages des hommes que je baisais, merde! J’ai souffert le martyre pendant toutes ces années et là tu arrive comme une fleur dans mon bureau pour me narguer et…
    Je n’ai pas eu le temps de terminer ma phrase, car une bouche impatiente s’est emparée de la mienne dans un baiser dévorant, brûlant et dévastateur.
    Mon corps n’a pu que réagir devant une telle passion, et une érection s’est rapidement formée dans mon pantalon, durcissant mon bas-ventre et enflammant mes reins.
    Sans interrompre le baiser, Alfonso a glissé une jambe entre mes cuisses pour les écarter et y placer son bassin, plaquant son pénis durci contre le mien, le frottant doucement mais avec fermeté. J’ai gémit comme une pucelle à ce contact, c’était si bon! Sentir ses lèvres, son parfum, son corps! Et son souffle sur ma peau qui m’effleurait comme une caresse me faisait perdre les pédales. Cette sensation de plaisir et de douleur dans mon pantalon qui se mêlait à la douceur de sa langue, à faillit me faire jouir.
    Sans prévenir, il a débouclé ma ceinture et une fois mon pantalon descendu aux chevilles, il s’est écarté de moi et m’a pris en bouche. Sous le choc, j’ai presque jouit immédiatement, mais il n’a pas cessé ses mouvements pour autant, m’offrant une seconde chance d’apprécier cette douceur.
    Je me suis laissé aller dans un long gémissement de plaisir, la tête chamboulée et le cœur en pagaille.
    Qu’avions-nous fait?
    Lorsqu’il s’est redressé pour m’embrasser, j’ai détourné la tête.
    - Qu’est-ce qu’il y a?
    Je l’ai fusillé du regard.
    - Qu’est-ce qu’il y a? Tu me demande ce qu’il y a? Je vais te le dire moi ce qu’il y a! Il y a que tu ne peux pas espérer que je vais revenir vers toi comme ça et faire comme si rien ne s’était passé! Et ce n’est pas avec une pipe, aussi géniale soit-elle que tu vas effacer deux années de souffrance comme ça!
    J’allais continuer mais il m’a interrompu, un doigt posé sur mes lèvres.
    - Tu jacasses plus qu’une pie pendant la saison des amours, laisse-moi parler aussi. Tu m’insultes beaucoup et je le mérite en partie, mais tu ne sais pas tout. Il y a deux ans, lorsque tu as entrepris des études aux Beaux-arts, je t’ai pris sous mon aile, d’abord à la demande de ton père qui est un de mes amis proches puis, parce que j’avais décelé en toi un immense potentiel…
    - Que j’aurais pu exploiter si tu n’avais pas merdé!
    - Oui, aussi. Tu es donc arrivé chez moi, jeune, émerveillé, ignorant tout de la France et de ses coutumes, et par-dessus tout tu m’attirais, tu m’attirais irrésistiblement! C’était presque une torture de tous les instants lorsque tu étais près de moi, et c’était pire lorsque tu étais à l’école, je t’en voulais d’être là-bas au lieu d’être à la maison, je te voulais auprès de moi, avec moi tout le temps, mais j’ai eu peur, et tu sais ce qui en a découlé.
    Du bout des doigts, il a caressé mes joues, mes lèvres, j’ai frissonné.
    - J’ai eu peur de te perdre, et j’ai eu peur de souffrir. Alors je ne t’ai jamais séduit, je n’ai jamais répondu à tes marques d’affection que part de l’amitié et même si j’avais deviné ton amour et ton admiration pour moi, jamais je n’en ai profité, je t’aimais trop, je t’aime trop pour ça.
    Les larmes ont débordé de dessous mes paupières que j’avais gardées closes pour essayer de les retenir. Mais peine perdue, elles ont coulé, silencieuses, douloureuses.
    - Tu étais jeune, je ne l’étais presque plus, j’approchais de la trentaine, j’avais peur qu’un jour si nous formions un couple, tu ne finisses par te lasser de moi et me quitter pour un autre. Alors j’ai utilisé la seule excuse qui pouvait être utilisée pour un artiste aussi réputé que moi…
    - L’Art…
    - Oui, l’Art, j’ai utilisé mon don le plus précieux, pour servir mes desseins les moins nobles, en voulant éviter de souffrir, j’ai causé ma propre perte. Ce jour-là tu es partis, et je n’ai pas tenté de te retenir, croyant que pour notre bien à tous les deux, c’était mieux qu’il en soit ainsi. Malheureusement, le sort s’est retourné contre moi, et j’ai souffert moi aussi de la décision que j’avais prise pour justement ne pas souffrir! Imagine-moi qui m’étais fais juge puis condamné! Ta déclaration et tes baisers me harcelaient sans cesse, ils étaient comme une litanie qui cognait contre les parois de ma tête et envahissaient mes rêves. Je t’ai cherché, longtemps, puis j’ai fini par te retrouver ici, dans cette fabuleuse galerie d’art, l’une des meilleures de Tokyo! Je me suis sentis tellement fier Mira, tellement fier à l’idée d’avoir contribué à ce que tu as battis en si peu de temps, c’est un vrai miracle!
    Mon cœur qui n’était plus qu’une immense plaie depuis notre séparation guérissait comme par magie. Les mots d’Alfonso pleuvaient sur moi dans une averse bienfaisante qui faisait disparaître tous mes maux. Ainsi il m’avait toujours aimé l’idiot! Je lui aurais donné des gifles!
    - Mais si cette galerie existe, c’est grâce à toi. Pendant deux ans, je me suis plongé dans le travail pour t’oublier, mais tout ce que j’ai réussi à faire c’est me rapprocher toujours un peu plus de toi, car inconsciemment, chaque pierre que j’ai édifiée c’était pour toi, pour te remercier de ce que tu m’avais appris, pour te montrer que je t’aimais toujours…
    - Mira…
    Le baiser qui a ensuite uni nos lèvres était plus tendre encore que le premier que nous avons échangé dans le jardin de la villa ce doux matin d’hiver. Son étreinte était encore plus chaude et parfumée, sa voix et sa langue encore plus envoûtantes.
    Nos cœurs battaient d’un même rythme lorsque nos lèvres se sont séparées.
    - Nous voilà enfin réunis.
    - Oui mon ange, je suis venu te reprendre et plus jamais je ne te laisserais partir.
    - Mmmh…Il y a tout de même une petite chose que je voudrais savoir. Qui était le type endormi sur ton canapé ce jour-là?
    Il a cessé ses baisers dans mon cou et m’a regardé droit dans les yeux.
    - C’était un de mes coups d’un soir, à l’époque, j’essayais de canaliser mes pulsions ailleurs pour éviter de te sauter dessus… Si j’avais su.
    Il a reprit ses baisers mais s’est vite arrêté.
    - Moi aussi j’aimerais savoir deux ou trois trucs. D’abord, où donc as-tu appris à parler avec un tel langage de charretier? Ensuite aimais-tu les hommes avant de me connaître? Et qui sont les hommes dont tu parlais?
    Mon sourire est devenu si large qu’il devait faire deux fois le tour de ma tête.
    Alfonso était jaloux et cela me faisais frissonner de plaisir!
    - Pour répondre à tes questions, de un: j’ai toujours parlé ainsi mais à l’époque je te respectais trop pour te dire ne serait-ce qu’un « crotte », de deux:  je crois que j’ai toujours aimé les hommes mais que tu as été l’élément déclencheur, d'ailleurs tu l’es toujours, et de trois:  je te parlerais peut-être un jour de mes conquêtes mais sache que j’ai fais pas mal de bêtises quand tu m’a rejeté. Moi aussi j’ai eu une vie après toi!
    Il a rit, son rire était le même, toujours aussi beau et mélodieux.
    - Ne t’en fais pas maintenant que l’on s’est retrouvé, on a tout notre temps pour se raconter nos exploits!

     

     


     

    Billet :

    Hem.. Alors celui-là, j’avoue ne plus me souvenir exactement des conditions ni du pourquoi de sa rédaction.
    Quand j’y réfléchis, tout ce qui me reviens, c’est que j’allais moyennement bien et qu‘il était environ 3 heures du matin. Mon humeur oscillait entre nostalgie et pensées plus ou moins contemplatives. Je ne sais plus d’où m’est venue cette inspiration sur la peinture, un maître et son élève. Peut-être d’un de mes cours de dessin suivit la veille? Ou alors, tout est partit d’une simple phrase? Une image à la télé? Je ne saurais vous dire.
    Je ne suis pas du genre a écrire des histoires tristes. Mais ce jour-là je voulais une fin qui ne soit pas heureuse, juste pour le plaisir de rédiger quelque chose de négatif, et de voir si j‘en étais capable. J’ai donc écrit une première version sans happy end.
    Mais chassez le naturel… Un peu plus tard, j’ai commencé à entrevoir une fin heureuse pour ces deux amoureux malchanceux, et j’ai fini par l’écrire puis la proposer. Elle est effectivement trop fleur bleue et sirupeuse comparée à la première partie - que je préfère d‘ailleurs, car plus sobre et réaliste - mais c’est comme ça qu’elle m’est venue. Je n’aimerais pas la modifier. Je n’en ai d’ailleurs pas envie.
    Il a fallut un peu plus d’une année pour que la condition de la publication de cette « suite » soit remplie, soit 10 commentaires de lecteurs différents.


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