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    Il nous a dit « prenez la pose », alors c’est ce que nous avons fait.
    Aveuglés par d’énormes spots, Pedro et moi nous plions à toutes les exigences de notre boss, ployant dos et genoux sous la fatigue de plusieurs heures de travail et la chaleur des ampoules qui nous brûlent les yeux. Pour ma part, mon corps tout entier est tendu, en sueur, et courbatu d’être resté cambré tout ce temps. Mes nerfs commencent à perde patience, et pour être honnête, je sens également la patience me quitter. Matéo Dembargo est  un homme exigent mais, hélas, il ne sait pas ce qu’il veut.
    « Levez la tête et courbez le dos. Oui, comme cela. Pedro s’il vous plait, ne raidissez pas votre jambe ainsi, vous gâchez l’ombre pour la photo! ».
    Des ordres que j’ai déjà maintes et maintes fois entendus, mais mon cerveau ne fonctionne plus. Je suis trop fatigué pour y faire attention. J’imagine que mon esprit est toujours là quelque part dans cette pièce enfumée, mais je ne saurais dire s’il est alerte ou semi-inconscient comme mon attention.
    Pedro lui, ne semble pas vraiment souffrir comme moi. Franchement, ça ne m’étonne qu’à moitié, cet homme est une bête, et ce dans tous les sens du terme. Nous sommes ensemble depuis quelques années maintenant, mais je m’étonne toujours de son endurance. A côté de lui, je suis une chiffe molle, une vraie chochotte. J’ai beau le supplier de me révéler son secret, il ne me dit jamais rien. Et comme après je le harcèle à grands cris, il préfère me bâillonner avec sa bouche pour me réduire au silence. Comme ça il ne se fatigue pas, puisqu’il sait que c’est un moyen sûr pour me faire taire. Le voilà qui possède encore cet ascendant sur moi, alors que je n’en ai aucun sur lui. La vie est vraiment injuste parfois.
    «  Antonio, bandez les muscles et serrez les fesses, oui comme ça. Attention! Ne serrez pas les poings, où vous aurez l’air d’avoir la diarrhée! Ah, ah! ».
    La diarrhée, rien que ça?
    Matéo a vraiment un humour décadent. Et ce qui est drôle c’est que ça ne fait rire que lui.
    Déplaçant mon poids sur ma jambe gauche pour soulager la droite tremblante et envahie de fourmis, j’inspire lentement l’air vicié de la pièce pour me détendre et m’éclaircir les idées. Le contact de Pedro contre moi, commence à m’exciter, et si jamais je me laisse faire, je vais me faire virer. Et ce n’est pas ce que je veux.
    « Bien! Maintenant on se redresse et on se tient droit! »
    Alléluia! Enfin je peux reprendre une position humainement normale!
    Redressant lentement mon corps pour ne pas chopper de crampes, je rétabli l’ordre dans mes membres et déploie mes muscles contractés par l’effort et les positions improbables que je leur force à adopter depuis des heures entières. J’ai l’air d’une mamie à prendre mon temps pour me décoincer comme ça, mais à côté de moi, Pedro est déjà droit comme un « i », et prêt à l’attaque. Ce mec me troue.
    Matéo me regarde d’un air goguenard. Je hais ce type. Si ce n’était pas pour avoir à manger tous les jours…
    «  Maintenant les garçons, je veux du sensuel. Du sexe, de la passion, du sale, du frisson! Débrouillez-vous, pour l’instant je me prends un café. Je reviens dans une heure, et je veux du résultat. »
    Ben voyons!
    Ce serpent nous dit ça comme si c’était la chose la plus naturelle du monde! Qui est le photographe ici?
    Je fulmine dans mon coin comme un volcan mais visiblement l’affront n’a pas atteint Pedro qui sourit comme un idiot. Je dis idiot parce qu’il m’énerve, mais en fait, il est tout le contraire. Il est magnifique.
    «  Bon, et bien je crois que nous avons du temps pour nous. »
    Du temps pour nous? Il déraille!
    «  N’importe quoi! Matéo nous a demandé de trouver des poses à sa place. En gros nous devons faire son boulot et le nôtre en même temps. C’est dégueulasse. Où vois-tu du temps pour nous Pedro? »
    «  Je le vois ici. »
    Sans prévenir, sa grande main bronzée, par les rayons UV du salon d’esthétique, me saisit à l’entrejambe et commence à malaxer doucement. Le souffle coupé je laisse échapper un hoquet, et mes jambes fatiguées par l’effort de toute une journée de travail se dérobent sous mon poids, me laissant sans soutiens. Evidemment, les bras de Pedro me plaquent contre son torse huilé avant que je ne touche le sol, mais quand même, j’ai l’impression d’être une fille. Je suis sans force, et ça m’agace.
    Sa main et ses doigts font des merveilles entre mes jambes, et je deviens bientôt aussi humide qu’une éponge. Je suis complètement excité, et lui aussi.
    Sa langue se balade sur mon torse et mon nombril pour me faire frissonner et gémir, mais j’arrive quand même à poser une question.
    «  Tu ne crois pas que ce qu’on fait est interdit? Baiser sur notre lieu de travail…. On va se faire virer. »
    Son rire, alors qu’il me suce langoureusement, fait trembler tout le reste de son corps. Il me fait gémir à nouveau.
    «  Bien sûr qu’on ne va pas se faire virer. Si Matéo est parti c’est bien pour nous laisser le temps de faire ça. Il a bien précisé qu’il voulait du sexe, du sale et du frisson. Quel meilleur moyen de lui donner ce qu’il veut que ça? Et puis, où est le problème? Il ne va pas revenir tout de suite.»
    Je gémis encore.
    «  Ce type est dingue. »
    «  Oui peut-être. Mais c’est lui qui signe nos chèques à chaque fin de séance. Et puis, je sais que tu en as envie. J’ai senti ton érection. »
    OK. J’ai été démasqué.
    Comme toujours, Pedro sait de quoi j’ai envie à tout instant, et comme toujours, il reste pour moi une énigme. Selon moi, ça frise la télépathie, et ça trempe plein jus dans l’injustice.
    Son corps dur et musclé contre le mien, me donne chaud. Horriblement chaud. Et l’huile sur nos corps commence à nous échauffer les sangs. Des rigoles de sueur nous coulent entre les membres, et les frottements de ses cuisses contribuent à me rendre dingue. Sentir sa présence contre moi émoustille mes sens, et son sourire me montre à quel point il est conscient de mon émoi. Je le déteste à chaque fois pour ça.
    « Vite »
    Mon cri de passion n’est finalement qu’un murmure, mais ça ne l’empêche pas de continuer ses caresses sans se presser de me pénétrer. Les feux de l’enfer se déchainent en fournaise en moi, entre mes jambes, sur ma langue et sur mes lèvres, mais lui reste stoïque. Il prend son temps, abominablement lentement, et savoure le pouvoir qu’il a sur moi. Je peux voir son plaisir dominateur dans son regard. J’ai envie de le mordre.
    Nous sommes tous les deux des hommes, mais cela ne l’empêche pas d’imposer sa force sur mon corps, son intelligence sur mon esprit, et sa séduction sur mon cœur. Je le désire impatiemment, mais ses baisers me torturent et me promettent de plus grandes émotions encore si je consens à l’attendre, si je me plie à sa volonté. Sa langue m’ensorcèle et sa force me sidère. Je ne suis plus qu’une poupée affamée entre ses bras, et je n’attends plus qu’une seule chose : que son corps s’unisse au mien pour ne faire plus qu’un.
    Mais comme pour me punir de mes désirs, Matéo revient dans la pièce à ce moment-là, et pose sur moi un regard si lubriquement malsain que j’en ai presque l’envie coupée.
    Son sourire le fait ressembler à un chat.
    «  Bien, bien, bien. Je vois que mes agneaux ont bien travaillé. Ne bougez pas, je vais vous immortaliser. »
    Autour de nous, le flash crépitent, et face à moi, se trouve Pedro que je fusille du regard. Je suis furieux contre lui, mais c‘est encore pire quand j‘aperçois cette drôle de lueur au fond de ses yeux. Pourquoi jubile-t-il de cette façon? Trouve-t-il ça excitant qu’un sale obsédé pervers nous prenne en photo alors que lui et moi sommes dans cette position? Oh, non. J’espère bien pour lui qu’il ne prend aucun pied à satisfaire les envies tordues de cet homme! Parce que si jamais ça l’amuse de m’humilier de cette façon, je sens que mes envies de meurtre vont rapidement devenir réalité.
    Luttant contre l’envie dévorante de lui faire une scène. Je ne dis rien, mais plante mes ongles dans la peau de son dos. Sa grimace et l’éclat de ses yeux me donnent un sentiment de triomphe. Sa réponse à ma provocation est sans appel. Je savais que les actes avaient plus de poids que les paroles.
    «  Je sais ta colère mon petit cœur, mais ne crois pas que tu vas t’en sortir aussi facilement. Les griffures sur la peau d’un mannequin…. »
    Je sais que je n’aurais pas dû faire ça. Mais je ne le regrette pas. Pas le moins du monde.
    Toujours allongé contre le sol, je sens contre moi son sexe gorgé de désir qui ne demande qu’à s’enfouir en moi, pour se libérer du suc qui le rend si chaud et si désirable, mais je sais que Pedro ne fera rien tant que Matéo ne nous dira pas de bouger. Et je sais aussi que c’est une torture aussi dure pour moi que pour lui. Mais cette punition m’est si douce que je le laisse souffrir sans rien dire. Sa détermination le musèle, et moi j’en profite. Finalement, il y a peut-être une justice?
    « OK, mes mignons, maintenant je veux du mouvement! De l’action! »
    Finalement, je crois que j’ai parlé trop vite. Il n’y a aucune justice dans ce monde de brutes.
    L’ordre du maître ayant été donné, il est normal que le chien obéisse. L’immobilité n’étant plus de mise, Pedro m’offre un sourire de tigre, et plaque brusquement hanches contre les miennes, sa main se déplaçant lentement vers son bas-ventre. Son chuchotement me fait frissonner.
    «  Je te l’avais dis Tonio. Tu ne vas pas t’en sortir aussi facilement »
    Ses lèvres happent tout d’un coup les miennes, tandis que son sexe me pénètre dans la foulée. Mon cri de plaisir s’évanouit alors contre sa langue, et je n’ai d’autre choix que de nouer mes bras autours de son cou et de me laisser faire. Une fois encore, il a su lire en moi, et son désir n’a d’égal que le mien.
    Les yeux fermés et la conscience partie, j’entends plus que je ne vois, les éclats de lumière qui capturent chaque image de nos ébats, chaque mouvement de notre étreinte, et chaque nouvelle ombre que nous créons au fil de nos gestes. Au fond de moi, je sais que Matéo ne rate aucune miette de notre spectacle, et cette pensée confuse me donne envie de vomir. Je crois qu’en fait je déteste ce boulot.
    Contre mon torse, je sens les mains de Pedro qui folâtrent sur mes muscles et pincent mes tétons. Mon cri s’étouffe encore une fois entre ses lèvres, mais je sais que c’est ma punition. Punition qu’il adoucit toutefois avec le plaisir qu’il me donne avec ses hanches, et qui me fait jouir si fort que j’en perds toute notion de réalité. Cet homme est un dieu. Une saleté d’enfoiré télépathe et dominateur, mais un dieu tout de même.
    Mon plaisir une fois consommé, je sens ensuite celui de Pedro m’envahir tout entier, et m’échauffer le corps. Posséder une partie de lui en moi, même pour un court instant m’émeus toujours. J’aime cet homme. Mais comme il m’agace!
    Le baiser qu’il me donne après l’amour, est tendre, sensuel, touchant. Mais malgré le plaisir qui me fait encore flotter, je n’oublie pas pour autant ce qu’il vient de faire. M’a-t-il fait l’amour parce qu’il le désirait, ou parce qu‘il savait que Mathéo nous le demanderait? Rien que de penser que cette hypothèse pourrait être vraie… J’en ai la nausée.
    Juste derrière moi, les flashes crépitent toujours, et je me fais violence pour ne pas me lever et me jeter sur ce taré. Lui qui désirait de la sensualité et du sexe est servi comme un roi, l'enfoiré!
    «  Magnifique les garçons! Vraiment magnifique! Nous allons nous arrêter là pour aujourd’hui. Rendez-vous mercredi, je vous déguiserais en soldats du IIIème Reich! »
    Matéo tape des mains d’enthousiasme, mais je ne m’occupe pas de lui. Son inclination pour cette période historique me soulève le cœur en général, et je lui en aurais fait la remarque si mon esprit n‘était pas trop préoccupé par une possible manipulation de Pedro. Son corps est encore enlacé au mien comme lorsque nous sommes au lit, mais je n’ai pas envie de sentir son contact, j’ai envie de m’en aller, de prendre une douche, et de me cacher pour pleurer. J’ai l’horrible impression qu’il s’est foutu de moi.
    «  Pedro, lève-toi »
    « Pourquoi? »
    Sa voix est ensommeillée.
    «  Je veux aller aux toilettes. Lève-toi. »
    Lorsqu’il lève la tête vers moi, je me fais violence pour ne pas fondre en larmes. J’ai envie de le gifler, mais je n’ai pas de preuves de ce que je crois. La vie est vraiment injuste.
    Il me regarde attentivement, et le jugement tombe. Implacable.
    «  Tu mens. »
    «  Non je ne mens pas. »
    «  Si, tu mens. Tu n’as jamais envie d’aller aux toilettes lorsqu’on fini de faire l’amour, au contraire, tu t’accroches à moi comme si tu craignais que je parte. Je pense que tu cherches simplement à m’éviter, et je veux savoir pourquoi. »
    Maudite sois la mémoire de ce type! Et maudites soient mes habitudes et mes satanées craintes aussi!
    «  Tu te fais des idées. J’ai simplement envie de pisser. »
    «  Tu me mens encore. Si tu en avais réellement eu envie, tu n’aurais pas attendu la fin de la pause pour y aller. Tu as une vessie de femme enceinte. Qu’est-ce qui ne va pas Antonio? »
    Vraiment, il faudrait que je pense à changer de petit-ami.
    « Rien. Maintenant laisse-moi me lever. »
    « Non. »
    Ses bras se resserrent comme un étau autour de moi. Je suis donc complètement recouvert par sa poitrine, et par ses cuisses plaquées contre les miennes. C’est plus fort que moi, et je sais que je ne devrais pas à un moment pareil, mais je trouve ça excitant. Je suis irrécupérable.
    «  Bien! Si tu veux tout savoir, j’ai l’impression que tu ne m’a fait l’amour que pour plaire à Matéo! Le minutage était trop parfait pour que tu ne l’aies pas fait exprès! »
    L’expression de son visage est impénétrable.
    «  Tu crois réellement que j’ai fait ça? »
    « Oui. »
    Pendant longtemps, nos regards s’immergent l’un dans l’autre et se jaugent. Finalement, un sourire éclaire ses traits, et un baiser se dépose sur mes lèvres.
    «  C’est vrai, je l’ai fait exprès. Mais seulement à la fin. Au début, j’avais l’intention de te prendre lentement pour qu’en revenant, le boss n’ait plus que nos corps fatigués et ton expression alanguie à photographier. Mais j’ai eu moins de temps que prévu. »
    « Donc ce que tu es en train de me dire, c’est que tu n’es qu’un odieux calculateur qui s’est fait devancer par les circonstances? »
    Son rire force nos ventres à se plaquer l’un contre l’autre. Il est à nouveau dur, et moi aussi.
    «  On peut dire ça comme ça. Mais pour être honnête, je ne m’attendais pas à ce que tu le prennes mal. Après tout, ce n’est qu’un boulot. »
    «  Peut-être que ce n’est qu’un boulot, mais si je suis payé pour servir d’outil à un photographe, je ne le suis pas pour être le tiens! Nous sommes un couple, nous travaillons tous les deux ici, et je n’ai pas signé pour y étaler notre vie intime en public! »
    Pas du tout perturbé par ma colère, sa langue suçote doucement mon lobe. J’ai des frissons.
    «  Je te demande pardon. J’ai compris, et je ne recommencerais plus. J’avais simplement pensé que faire d’une pierre deux coups serait profitable à tous les deux. Te faire plaisir et mettre fin à notre séance d’aujourd’hui dans la foulée me paraissait être une bonne idée. Mais si tu n’aimes pas ça, je m’abstiendrais à l’avenir. »
    Surpris, je retiens une exclamation.
    Alors quoi? Il a agis comme ça pour me faire plaisir à moi et pas à Matéo? Objectivement, je ne devrais pas me sentir flatté, il n’y a rien pour ça d’ailleurs, mais c’est plus fort que moi. Je suis flatté.
    «  Tu es sérieux? »
    « Hum? A quel propos? »
    « Que ce que tu as fait c’était uniquement pour moi? »
    Lentement, il abandonne mon oreille, pour pouvoir me regarder.
    «  Evidemment. Pour qui d’autre sinon? »
    Décidemment, cet homme me rendra chèvre un jour!
    «  Tu es incroyable. »
    « Oui, je le sais. »

     

     


     

     

    Billet :

    Que dire sur ce texte? Pas grand-chose à part qu’il a vu le jour un jour que je m’ennuyais, pile dans ma période la plus prolifique au niveau de l’écriture. Certains passages et réactions de mes personnages me rappellent « Le retour de M. Hamilton », un roman Harlequin que j‘affectionne particulièrement et relis souvent. Je l’aime bien.
    Comme souvent, voire presque à tous les coups, l’idée d’un shooting m’est venue de nulle part. Antonio est un personnage envers qui j’ai beaucoup de tendresse. Il me rappelle moi dans certains de mes moments de gène ou de révolte intérieure. Je ne sais pas si je l’ai fait exprès, mais lui et moi nous ressemblons beaucoup, et Pedro a énormément de points communs avec le type d’homme qui retient mon attention. J’aime son état d’esprit, c’est un être fallacieux qui nous fait craquer tous les deux. J’envierais presque ce couple fictif!


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