• Partie 1.

    Chapitre 9.1

    Il faisait sombre et froid. Humide aussi, quelques gouttes d’eau glacée tombaient régulièrement du plafond pour s’écraser sur le sol de pierre gelée et parfois sur lui, faisant naître de grandes vagues de frissons sur ton son corps meurtrit par les coups qu‘on lui avait donnés.
    Comment diable était-il arrivé ici?
    La dernière chose dont il se souvenait, était un délicieux sentiment de sécurité qu’il avait ressenti lorsqu’il s’était glissé entre les draps de son grand lit - pourtant vide de la présence qu‘il affectionnait tant.
    Il ne savait pas pourquoi cet homme encapuchonné l’avait bourré de coups au visage. Tout comme il ignorait où il se trouvait.
    D’ailleurs, quel jour et quelle heure était-il? Il se sentait sale, affamé et totalement déboussolé.
    Gémissant faiblement sous les tremblements incontrôlables qui affectaient ses membres raides et ses articulations, il entoura son torse grelottant de ses bras nus et se frictionna tant bien que mal pour tenter d’apporter un peu de chaleur à son corps déjà transi de froid jusqu’à l’os.
    Recroquevillé sur lui-même comme une bête en cage, il fit de son mieux pour ne pas céder au sentiment de panique qui toquait à la porte de son crâne. Paniquer ne ferait qu’envenimer sa situation. Perdre le contrôle de lui-même ne lui apporterait rien.
    Il commençait tout juste à sentir le sang circuler à nouveau dans ses doigts de pieds, lorsque la porte de sa geôle s’ouvrit avec fracas. Une lumière aveuglante envahit alors la pièce, et il put voir le jeune garçon blond qui venait toujours lui apporter une maigre pitance. Son visage était inexpressif, mais si plein de pureté et de beauté!
    Lorsque le garçon posa le bol au sol, il referma la porte d’un coup sec, coupant en même temps la source de lumière, le replongeant dans le noir.
    Se dirigeant vers le récipient à tâtons, il s’en saisit d’une main tremblante et dévora son contenu avec voracité. Il dû retenir un hoquet de dégoût tant la nourriture était infecte, mais il avait faim, et persista donc. Plusieurs fois, il lutta contre la nausée pour ne pas rendre tout ce qu’il venait d’ingérer.
    Mais alors que les haut-le-cœur se dissipaient enfin, une violente crampe contracta son estomac, le faisant gémir de douleur et se rouler au sol. Puis, presque immédiatement, une sensation familière se diffusa dans tout son corps, lui donnant l’impression de tomber dans un puits sans fond. Ce phénomène survenait toujours lorsqu’il avait terminé d’avaler la mixture, et durant ce qui lui paraissait une éternité, son corps succombait sous l’assaut de fièvres brûlantes, et de rêves étranges peuplés de corps nus enchevêtrés les uns aux autres, de fumée d’encens et de soupirs lascifs.
    Ces salauds… Ils font exprès de m’affamer pour être sûr que j’avale leur bouillie immonde…
    La chaleur insidieuse débutait déjà sa lente installation au creux de son corps auparavant frigorifié. Chacun de ses membres se pétrifiait et devenait lourd, si lourd… Avec un gémissement las, il se recroquevilla péniblement en position fœtale, et laissa son esprit dériver doucement vers l’inconscience, rejoignant en rêve le seul visage qui pouvait le rassurer un peu.
    - Elizia…

    ***

    Elizia fut accueilli par une semi-pénombre parcourue d’ombres mouvantes et de lumière diffuse.
    Les bougies qui brillaient aux quatre coins de la pièce tenaient l’obscurité à distance, éclaboussant les murs richement tapissés de leur lumière orangée et vacillante.
    Alors qu’il suivait Tessa à travers la pièce, le jeune homme ressentit soudain un étrange malaise. Comme si les ombres qui dansaient sur les murs étaient en train de l’épier et prévoyaient de l’attaquer sans crier gare, toutes griffes dehors. Cet étrange sentiment de gêne s’intensifia lorsque la panthère bifurqua soudainement en direction d’un sofa pour s‘y lover avec délices, le laissant planté au milieu de la pièce.
    Elizia allait la suivre pour s’asseoir près d’elle, mais alors que le grognement de la Songeuse le faisait précipitamment reculer, la voix veloutée du Maître s’éleva à quelques mètres de lui.
    - Bonsoir Elie, je te souhaite la bienvenue dans la Chambre des Plaisirs.
    Elizia sursauta, et se reprocha aussitôt sa réaction. Il n’allait tout de même pas trembler de peur chaque fois que cet homme était dans les parages!
    Tentant de calmer les furieux battements de son cœur, le baron chercha le Maître des yeux, plissant les paupières pour mieux voir à travers l’obscurité et la fumée des bâtons d’encens. Mais lorsqu’il le vit et qu’il se rendit compte de ce qui était en train de se passer, sa gorge s’assécha et sa tension nerveuse déjà élevée monta encore d’un cran.
    Fondu dans la pénombre, des ombres fugaces jouant sur son masque d’albâtre, le Maître se tenait face à lui, assis dans un fauteuil de velours à haut dossier, une intense lueur perverse brûlant dans ses yeux de glace. Il était torse nu et entre ses jambes écartées s’activait un être fin, aux membres effilés et à la peau de lait.
    Elizia luttait pour retenir un haut-le-cœur, lorsque le visage du Maître se tourna vers la panthère qui ne somnolait visiblement qu’en apparences, ses oreilles étant dressées et attentives au moindre murmure.
    - Tu as mis le temps… Mais je te remercie de me l’avoir amené. Encore un peu, et j’allais le chercher moi-même.
    Vexé, Elizia s’avança d’un pas raide.
    - Il ne fallait pas vous gêner, et je ne crois pas vous avoir autorisé à me tutoyer.
    Une lueur fugace éclaira brièvement les prunelles du Maître.
    - La provocation est un art qui doit être manié avec prudence mon cher, et je te tutoierais chaque fois que nous serons seuls… Elie.
    Le concerné releva un sourcil, une expression mi-dégoûtée, mi-sarcastique étalée sur son visage parsemé d’ombres mouvantes.
    - A votre guise Maître. Mais comme vous pouvez sûrement le voir, nous ne sommes pas seuls.
    Un moment de silence s’installa entre eux, porteur d’une étrange tension électrique.
    - Cela signifie-t-il que tu es d’accord?
    Elizia bénit l’obscurité qui plongeait son visage dans l’ombre. Cette remarque d’apparence anodine lui avait fait monter le feu aux joues, et à présent la honte le brûlait de toutes parts.
    Son ton fut plus agressif qu’il ne l’attendait.
    - Non. Mais ai-je vraiment le choix?
    - Pas vraiment.
    Après un rapide coup d’œil à l’ange qui léchait son sexe avec application, le Maître reprit d’une voix douce.
    - Et bien c’est parfait. J’ai donc ta permission et ta personne à ma disposition. Mais tu as raison Elie, nous ne sommes pas encore seuls. Adonis ?
    S’abaissant au niveau de la créature, il lui saisit le menton entre le pouce et l’index et redressa son visage afin de le regarder dans les yeux.
    - Adonis… Cela suffit pour ce soir. Laisse-nous maintenant.
    Blond comme les blés au soleil, la peau luisant d’une blancheur de lait sans défaut, le corps fin et le visage gracile, cet être ivre de plaisir sensuel ressemblait à un ange avec ses airs poupins, son petit nez mutin, ses bonnes joues rondes et ses yeux couleur de ciel d’été. Une apparente pureté qui s’évapora lorsqu’un léger bruit de succion se fit entendre, alors qu’il retirait l’imposant pénis de sa petite bouche rose en forme de cœur.
    Elizia faillit reculer sous l’impact que cette vision eut sur lui.
    Ce pénis était énorme!
    Long, monstrueusement long et épais, le phallus rosé parcouru de longues veines gorgées de sang reposait, dur et luisant de salive sur la cuisse ferme recouverte par le pantalon noir… Mais trop tôt, bien trop tôt au goût de la faim allogène à ses propres désirs qui venait d’étreindre Elizia, le Maître se rajusta, faisant disparaitre sous le tissu rêche, ce membre par trop tentateur. Pendant de – trop – longues minutes, la vision de ce sexe incroyable l’occupa tout entier, puis la discussion qui se déroulait entre le Maître et Adonis attira son attention.
    - Mais Maître…pourquoi? Je ne réussis pas à vous satisfaire? Si vous préférez, je peux aussi…faire cela.
    L’ange qui n’en était pas un commença alors à lécher ses doigts dans le but de les introduire en lui, mais l’homme masqué retint sa main humide avant qu’il ait pu entamer sa préparation.
    - Non. Pas ce soir Adonis. Maintenant laisse-nous. Tessa?
    La panthère qui tenait toujours son rôle de guet leva immédiatement la tête, le corps et les sens en alerte.
    - Accompagne-le dans les sous-sols, et vérifie qu’il ait bien fait ce qu’il doit faire.
    - Oui Maître.
    - Non! Pourquoi dois-je vous laisser avec lui? N’êtes-vous pas content de moi? N’étions-nous pas sur le point de… Aaaah!
    La main gantée de blanc du Maître saisit dans sa coupe les testicules du blond et les serra dans une poigne de fer.
    - Pantin. Je t’ai donné un ordre, et j’entends bien être obéi. Tessa!
    La Songeuse apparut alors près d’eux dans un silence des plus parfait. Puis, après avoir forcé le jeune homme à monter sur son dos, elle fila à travers la pièce, pleine de grâce et de beauté, son pelage lustré brillant sous la lueur fauve des bougies.
    Le regard noir, larmoyant et blessé qu’Adonis lança à Elizia avant de passer la porte, glaça de culpabilité. Il ne savait pas pourquoi ce sentiment particulier, envers un être qu’il ne connaissait pas, s’imposait à lui, mais il s’en voulait de n’avoir rien pu faire pour lui éviter cette douleur.
    Lorsque le scélérat avait presque blessé les parties du jeune homme, le baron avait ressenti le besoin presque viscéral de lui venir en aide. Un acte de bravoure qu’il aurait exécuté si une force inflexible ne l’avait pas cloué sur place pour l’en empêcher. Et à présent, il en tremblait de rage et de haine.
    - Bien. Maintenant que nous sommes seuls… Tu vas me dire comment ou par qui ce bleu t’as été causé.
    Le regard d’Elizia se teinta de méfiance, mais sa colère ne désenfla pas pour autant, bien au contraire. Le ton menaçant du Maître ne lui disait rien qui vaille, mais ce soir, son désir de rébellion dépassait de loin son instinct de conservation. Cet être démoniaque pourrait bien lui poser la question autant de fois qu’il le voudrait et lui infliger les pires tortures, il ne répondrait pas.

    ***

    Il avait horreur qu’on touche à ce qui lui appartenait. Elizia était à lui. A lui, et à personne d’autre.
    Le Maître n’avait pas vu tout de suite l’affreux hématome qui marbrait la mâchoire du jeune homme à cause des ombres et de l’obscurité ambiante. Mais lorsqu’il avait changé de position, son visage s’était retrouvé baigné de lumière douce, lui révélant un bleu d’une couleur et d’une largeur assez respectables pour faire naître en lui une folie meurtrière dans tout l’ensemble de son corps.
    Il avait pris sur lui pour ne pas réduire immédiatement le coupable en cendre, car il savait parfaitement qui en était l’auteur, il le lisait clairement dans l’esprit du baron. Mais pour que sa punition fasse effet, il devait d’abord le lui faire dire. L’avorton prévoyait de lui imposer une résistance farouche et butée, mais il le ferait avouer. Ils avouaient toujours.
    - Je te le répète Elie. Quelle est l’origine de cet hématome?
    Le silence qui régnait sembla s’épaissir encore de quelques tonnes, et dans les yeux d’Elizia brillait une intraitable détermination.
    - Tu penses réussir à ne rien me dire.
    Le Maître rit sous cape. La détermination ne valait rien contre un être qui lisait dans les esprits comme dans un livre ouvert. Un léger sourire moqueur aux lèvres, il entoura sa voix de charmes, l’enduisit d’excitation sensuelle et de violence, sachant pertinemment ce qu’il en résulterait.
    - Libre à toi de rester bouche close Elie, mais garder le silence à ce sujet n’allègera pas la peine d’Olsen comme tu sembles l’espérer. Mais si tu insistes, je vais me montrer magnanime et conserver ce sujet pour plus tard, nous n’en avons pas encore terminé.
    Ce fut un mouvement bref, furtif, mais le Maître distingua aisément les changements qui affectèrent brièvement l’expression colérique du jeune homme. Surprise, tristesse, colère, haine et désir, se succédaient sur ses traits virils, créant un arc-en-ciel d’émotions si pures que l’homme masqué ne put s’empêcher d’en rire. Cet homme était si ingénu…
    Surpris de cette réaction inattendue, Elizia se raidit et son regard se fit plus acéré. Son ton acide et tranchant coupa court à l’hilarité du Maître, mais n’éteignit pas la flamme moqueuse au fond de son profond regard de glace.
    - Qu‘y a-t-il de si drôle?
    - De ton point de vue? Pas grand-chose. Mais du mien… Enfin, tu n’es pas là pour savoir ce que je pense. Assied-toi.
    - Mais il n’y a pas de…
    - De siège? En voici un.
    Apparaissant de nulle part, un confortable fauteuil de velours surgit dans le dos d’Elizia et butta contre l’arrière de ses genoux, le faisant tomber sur ses coussins. Pris par surprise - encore une fois -, il poussa un cri d’animal enragé mais se ressaisit bien vite, les joues rouges de confusion.
    Le Maître gloussa.
    - Bien. A présent que nous sommes confortablement installés, nous pouvons commencer ta leçon.


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  • Partie 2. 

    - Attendez!
    - Oui?
    - Il y a des choses qui m’échappent.
    Le Maître plongea dans le doux océan de pensées du jeune homme et s’y lova avec plaisir, déchiffrant à l’avance les questions qui allaient être posées.
    - Je t’écoute.
    - Pourquoi avoir placé une rose dans mon assiette ce matin? Cette mise en scène n’était pas nécessaire. Un simple message écrit aurait suffi.
    - La rose était mon message. Elle ne t’a pas plu, et c’est dommage pour toi. Mais je n’ai pas de compte à te rendre.
    La pression sensuelle qu’il exerçait depuis un moment sur Elizia s’accentua de manière significative.
    - Autre chose?
    Le jeune homme serra les dents de colère et surtout de honte face à l’excitation qu’il ressentait. Autour de lui l’atmosphère était chargée de tension sexuelle, et son pénis avait doublé de volume.
    - Oui je désire savoir d’autres choses, et elles sont nombreuses! Pourquoi avoir traité si durement un être qui vous voue une telle adoration? Adonis est un être pur. Un tel comportement envers lui était injustifié! Et je me souviens vous avoir entendu l’appeler « Pantin », pourquoi? Qu’est-ce que c’est ? Et vous, vos capacités sont hors du commun des mortels et vous permettent de faire des choses dont aucun être humain n’est capable! Alors qu’êtes-vous ? Comment parvenez-vous, par exemple, à créer une telle… atmosphère? A maîtriser mon corps et mes ressentis? D’où viennent Tessa et Sorrel, et que sont-ils vraiment? Cette histoire d’Eléments est-elle réelle, ou juste une farce que vous avez montée de toute pièce pour nous enchaîner à vous? Où sont passés William, Norman, Daniel, Gauthier ? Qu’avez-vous fait d’eux ? Ces études, ces cours, que vos serviteurs me dispensent et m’obligent à retenir, sont-ils utiles ? Ou ne servent-ils, eux aussi, que de couverture ? Et comment, nom de Dieu, se fait-il qu’un endroit pareil existe!
    Presque essoufflé, Elizia laissa sa lourde respiration remplir le silence qui s’était établit à la fin de sa tirade. Tirade que le Maître n’avait d’ailleurs pas le moins du monde écoutée. Il y avait un moment déjà qu’il avait pris connaissance de ces questions.
    Sa voix douce brisa le calme de la pièce, telle une brise fraîche en plein été.
    - Beaucoup d’interrogations en effet. Je n’y répondrais pas à toutes, car tu n’es pas encore digne d’en connaître les réponses. Mais comme tu as été plus perspicace que tes prédécesseurs - qui n’ont pas remarqué le trois quart de ce que tu viens de me demander -, je veux bien t’accorder quelques réponses.
    Les mains croisées sur son ventre plat, le Maître sentit le baron tiquer. Ce n’était visiblement pas la première fois ce soir, qu’il était comparé à ceux qui étaient venus avant lui.
    Au fond de la chambre, la porte s’ouvrit et une ondulante silhouette se coula en silence entre leurs sièges, en direction du sofa. D’un bond souple et gracieux, Tessa se roula en boule parmi les coussins et ronronna de plaisir lorsque les doigts gantés du Maître flattèrent ses petites oreilles rondes.
    - Merci encore ma douce.
    Un doux ronronnement lui fut rendu en réponse.
    Puis reportant son attention sur son étudiant, le Maître riva son regard clair au sien, si sombre dans la pénombre.
    - Par où donc commencer...
    Se redressant lentement sur son siège, le Maître posa ses mains sur les accoudoirs, un sourire amusé étirant ses lèvres derrière son masque.
    - Pour répondre à la première partie de ta question, sache que je n’ai pas à justifier la façon dont je traite mes serviteurs. Adonis, Tessa et Sorrel, sont mes créatures, des êtres auxquels j’ai donné vie grâce à la magie que les démons maîtrisent depuis la nuit des temps.
    Le Maître observa, avec un certain plaisir, le changement de physionomie qui affecta les traits du baron : ses yeux étaient écarquillés et sa bouche si pincée qu’elle ne formait plus qu’une mince ligne blanche.
    - Adonis n’a rien de « pur » ou « d’innocent », bien au contraire. Il n’a que deux buts : celui d’être mon jouet charnel et de me satisfaire au lit. Il est dans sa nature de rechercher constamment ma présence et de désirer mon corps. Le repousser le rend génétiquement triste, je l’ai créé ainsi afin qu’il puisse satisfaire tous mes vices.
    » Comme elle a certainement dû te le dire, Tessa est une Songeuse, une créature de la nuit venant du Monde des Songes. Elle est l’équivalent de ce que dans votre monde appelez le Marchand de Sable, et son rôle est de garder en elle les rêves qui me hantent et qui risqueraient d’être un danger pour ma personne si quiconque les découvrait. Sorrel n’est qu’un simple miroir auquel j’ai donné la capacité de toujours dire et montrer la vérité. Ils sont mes Pantins, car je les contrôles. Je suis celui qui tire leurs ficelles et leur dicte quoi faire. Tout comme les êtres qui te servent de professeurs : aucun d’entre eux n’est réellement vivant et tous sont également de ma création.
    Le sourire aux lèvres, il fit une pause, afin de laisser le temps à Elizia d’assimiler toutes ces révélations. Il lisait parfaitement sur son visage que s’il ne s’était pas déjà trouvé en position assise, il en aurait eu les jambes coupées par l’ébahissement. Une vision délicieuse…
    - Vient ensuite la question de ma nature. Bien sûr, que non, je ne suis pas humain, qui voudrait l‘être? Mes pouvoirs sont spécifiques à ce que je suis, bien qu’au cours de mon existence ils aient subi quelques modifications. Mais tu n’as pas besoin de savoir ce que je suis pour le moment, l’occasion se présentera bien assez tôt.
    Tessa ronronna d’assentiment.
    - J’imagine que c'est à cause des couloirs que Tessa t’as fait traverser que tu te demandes comment cet endroit peut exister. De ton point de vue, ils ont dû te paraitre bien étranges, mais sache que bien des choses ici recèlent de secrets. Ce château est un… présent, que l’on m’a offert il y a bien longtemps. Un présent empoisonné dont je n’ai pas encore réussi à me débarrasser et dont les dimensions s’étendent bien plus loin sur les terres que tu ne l’imagine.
    L’indignation, poussa le baron à l’interrompre.
    - Vous ne pouvez pas savoir ce que je pense! Vous êtes bien loin de savoir ce que j’imagine ou non!
    Ils s’observèrent un instant en chien de faïence, et la voix du Maître ne fut qu’un murmure.
    - Comme le déni peut être pratique… Je lis en toi comme dans un livre mon petit Elie. Je sais même très exactement ce que tu penses, car à mes yeux tu es aussi transparent qu’un morceau de verre. J’ai le pouvoir de tout savoir de toi lorsque je le désire, ne l’oublie plus. Surtout lorsque tu prévois de m’interrompre alors que je parle. Tu n’es qu’un malpoli.
    La tension sensuelle qui ondulait près d’Elizia s’épaissit soudain comme un étau autour de lui et lui compressa le bas-ventre. La mise en garde pleine de menaces était si implacable qu’il crut étouffer.
    - Bien. Où en étais-je ? Ah, oui. Ce lieu… Les questions qui s’apparentent au « pourquoi », au « quand » et au « comment » n’ont pas besoin d’être explicitées. Tout ce que tu as besoin de savoir c’est que j’en ai fait ce qu’il est parce que je le désirais.
    Avec une nonchalance étudiée, le Maître se leva de son fauteuil et dirigea son long corps vers une fenêtre cachée par un lourd rideau de velours. Le bout de ses doigts galopa distraitement sur toute la longueur du doux tissu, où les ombres ne cessaient de se mouvoir en d’ambitieuses arabesques, et tout d’un coup son visage l’air rêveur.
    - Adviennent donc les dernières de tes interrogations.
    » Les Eléments de la Nature sont ce dont tu as déjà entendu parler. L’Eau, le Feu, la Terre et l’Air sont l’essence même de toute vie. Cela est la version que chacun sait. A présent, je vais t’en enseigner une autre, très différente, et plus difficile à admettre : c’est le contenu de la leçon théorique dont j‘ai fait part à ceux qui sont venus avant toi.
    Il fit une pause, et prit le temps d’admirer la flamme scintillante d’une bougie avant de reprendre d’une voix lente, douce teintée de mystère.
    - Certes, ils sont l’essence de toute vie, mais ils ne sont pas que cela. Ils sont avant tout des esprits du Bien, des esprits anciens et puissants.
    » Au temps où la Terre n’était qu’un désert partagé entre anges et démons, une troisième espèce apparut, sorte d’étrange mélange de fluides magiques et d’essences vitales tirés des deux clans ennemis. D’abord de forme incertaine, elle s’est modelée au fil du temps, et ce qui était au départ une boule d’énergie pure et dotée d’une certaine intelligence, s’est scindée en quatre parties.
    Le Maître planta son regard dans celui de son élève, puis continua, la voix emplie de sensualité.
    - Chaque partie de ce tout avait un pouvoir particulier, un don qui lui était propre, et en se combinant, elles se sont découvert la capacité de donner la vie. Le Feu avait donné la lumière, chassant les anges et les démons ; l’Eau et la Terre y avaient apporté la vie ; et L’Air avait apaisé la fournaise qui régnait sur le Monde.
    » Mais, non contents de voir les œuvres précieuses qu’ils avaient créés en commun, ses esprits se battaient les uns contre les autres afin d’obtenir le pouvoir. Jusqu’au jour où leur querelle faillit réduire en cendre le fruit de leur travail commun. Alors ils décidèrent de se séparer et d’enfouir leurs dons au plus profond d’eux-mêmes afin que plus jamais, ils ne puissent s’en servir pour se battre : c’est ainsi que naquirent les réceptacles. Des êtres mortels – humains –, à qui ils ont donné la capacité de se multiplier afin de peupler le Monde, et parmi lesquels – quatre d’entre eux – ils se sont enfouis.
    Piqué d’amusement, le Maître sourit derrière son masque.
    - Voilà donc ce que sont les humains : les enveloppes tendres, variées, et encore non utilisés des Eléments. Il y a maintenant des milliards d’années que ces êtres se cachent dans différents corps afin de ne plus jamais se rencontrer et risquer de détruire ce monde par la violence, car celui qui les réunirait, aurait sur le monde un pouvoir illimité sur toute vie existante. Un pouvoir que beaucoup de ma connaissance tueraient pour obtenir…
    Pendant de longues minutes, le Maître laissa à Elizia le temps de se recentrer et d’assimiler tout ce qu’il venait d‘entendre, attendant patiemment qu’il mette le doigt sur ce qui criait d’évidence.
    - Je vois… Cependant quelque chose ne va pas.
    - Vraiment?
    Elizia souleva un sourcil agacé, visiblement, il n’appréciait pas le ton ironique.
    - Oui, vraiment. Vous n’avez parlé que de quatre Eléments, mais vous avez convoqué cinq personnes.
    Pendant un temps, le regard d’ébène affronta le regard de glace. Si on lui avait posé la question, Elizia aurait juré que des étincelles avaient crépité dans l’air.
    - Effectivement. Bonne déduction mon cher. Tu as mis le doigt sur le détail criant de l’histoire, car c’est précisément là que tu interviens.
    Les yeux du jeune homme se plissèrent sous ses sourcils froncés.
    - C’est-à-dire?
    - C’est-à-dire…
    Crochetant son regard au sien dans une étouffante étreinte visuelle, le Maître ondula des hanches vers lui dans une démarche des plus hypnotiques, perforant son âme d’une sensualité plus effilée qu’une lame de rasoir. Puis onctueuse et lente, la voix de l’homme masqué se coula au creux du cou du baron.
    - C’est-à-dire que tu vas me servir d’incubateur, petit homme. Voilà quel est ton rôle, ton pouvoir particulier. Tu n’es pas un Elément, les autres ont déjà ce statut. Eux, je les ai cherchés pendant de longs millénaires, en utilisant de multiples ruses et parvenant, après d’interminables recherches, à retracer leur parcours. Ils m’ont donné bien du fil à retordre, mais je suis parvenu à les tromper, puis à les réunir ici-même. Jamais, ils ne s’en sortiront vivant. Mais toi…
    Figé sur son fauteuil comme une mouche prise dans de la colle, Elizia se tenait prisonnier de l’emprise qu’exerçait sur lui la douceur venimeuse de sa voix, le corps totalement pétrifié par l’éclat irisé de ces pupilles qui l’attiraient comme dans un tourbillon, et par le contact brûlant du visage d’albâtre penché sur le sien qui frôlait sa joue par intermittences. Il ne pouvait pas esquisser un seul mouvement pour se dégager. Il était coincé.
    - Toi en revanche…Elizia Von Waldorf…Tu n’es qu’un homme ordinaire qui a un jour eu le tort de me jeter hors de ta couche. Mais comme je veux te donner une dernière chance de te faire pardonner, je t’accorde l’honneur d’être mon Réceptacle. Tu seras celui qui restera à mes côtés pour l’éternité et qui donnera la vie à mon héritier lorsque j’aurai en moi tous les pouvoirs!
    D’un seul mouvement, l’homme retira son masque, et exposa son visage à la lumière des bougies, révélant au jeune homme l’horrible vérité.
    Les yeux écarquillés par l’horreur, Elizia émit un cri de stupeur et banda les muscles pour se libérer de l’étreinte du Maître lorsqu'il les entraina tous deux vers le lit.


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  • 10.

    - Lâchez-moi ! Espèce de monstre ! Lâchez-moi ! Ne me touchez pas!
    Fou de colère et d’horreur, Elizia se débattit aussi violemment qu’il le put lorsque le Maître l’attira d’une main d’acier vers le lit. Au fur et à mesure de son avancée, le jeune homme redoublait d’efforts pour se libérer, mais c‘est à peine s’il gagna quelques millimètres. L’emprise sur son bras était trop solide. Se défaire d’elle était impossible.
    - Que voilà d’intéressantes pensées… Continue comme ça, et il y aura peut-être des chances que tu comprennes enfin toute l’étendue de ta situation...
    Puis d’un mouvement puissant et rapide, il l’envoya bouler sur le lit avec une force et une facilité qui n’avaient rien d’humain.
    Haletant de colère et d’incompréhension, Elizia atterrit brutalement sur les draps et heurta de plein fouet la montagne de coussins qui s’y trouvait. Le choc fut violent mais ne l’étourdit cependant pas assez pour lui faire oublier son désir de fuir. Les bras repliés sous lui et les muscles bandés, son corps en sueur se contracta pour bondir hors du lit. Mais alors qu’il allait sauter, la poigne implacable et décidée du Maître s’abattit sur ses jambes et les immobilisa fermement contre l’amas de soie.
    - Où crois-tu aller comme cela?
    Tout en gloussant d’amusement, le Maître ramena le jeune homme au milieu du matelas d’un geste sec, et lia ses membres aux montants de l’immense couche.
    - Lâchez-moi !
    Un tourbillon de rage et d’aversion assaillait Elizia depuis le font de ses entrailles, si violent et dévastateur qu’il lui contractait l’estomac et lui donnait la nausée. Au fond de ses profonds yeux noirs, des éclairs brillant d’un éclat meurtrier foudroyaient celui qui le surplombait avec arrogance, tandis qu’il retenait difficilement les haut-le-cœur que lui inspiraient son visage désormais à découvert.
    - Espèce de monstre…Comment… Comment pouvez-vous posséder son visage! Que lui avez-vous fait ?  Qu’avez-vous fait  à mon père!
    Debout près du lit, et fredonnant comme si l’apostrophe assassine ne lui était pas adressée, le Maître se déshabilla lentement, retirant ses gants, sa chemise, et son pantalon avec la nonchalance de celui qui sait qu’il maitrise la situation, révélant avec la plus grande des tranquillités, la perfection sculpturale de son corps nu raidit par l’excitation.
    - Une autre chose à savoir  Von Waldorf : je ne supporte pas les insultes. Je ne suis certes pas humain, mais je ne suis pas un monstre. Enfin…pas selon ta conception de la chose.
    Puis jetant un à un les tissus au sol, il s’avança vers le lit d’une démarche ondulante et répandit ses charmes sensuels à travers la pièce, afin d’exciter le baron qui sentit, malgré lui, poindre en son bas-ventre un désir croissant.
    - Vous avez parlé d’un enfant, un héritier. Qu’est-ce que…
    - Chut… Tu vas trop vite. Laisse cela pour plus tard. D’abord nous allons unir nos corps, et ensuite seulement nos aborderons les sujets qui fâchent.
    Réduit à l’impuissance par les liens qui le maintenaient allongé bras et jambes écartés à l‘extrême, Elizia était incapable d’esquisser le moindre mouvement de fuite. Cette position offerte donnait accès à tous les endroits de son corps et encourageait toutes les audaces qu’un déséquilibré pourrait oser éprouver. Pareille humiliation dépassait en force toutes celles qu’il avait endurées depuis son arrivée dans ce château, et il se sentit tout d’un coup l’âme d’un meurtrier en puissance. S’il ne s’était pas retrouvé attaché, Elizia se serait jeté sur l’être immonde qui l’emprisonnait pour lui tordre le cou!
    - Oh que non Elie. Même si tu n’avais pas été attaché, tu n’aurais pas pu me tordre le cou… Maintenant sois bien sage. J’ai du temps à rattraper.
    Ses mains, nues et brûlantes, glissèrent le long de son corps en une caresse aérienne - à peine un frôlement -, puis s’enfouirent avec voracité sous la tunique, la déchirant en deux, réduisant le délicat tissu en lambeaux.
    - Mmmh…Vraiment magnifique. Ton corps est devenu celui d’un homme…Que c’est appréciable. La dernière fois que j’ai eu le plaisir de l’admirer, tu sortais à peine de la puberté.
    Ce contact non désiré fit frémir Elizia autant de dégoût que de plaisir. Il se tortilla autant qu’il le put pour tenter d’y échapper.
    - De quoi, diable, parlez-vous? Vous et moi ne nous sommes jamais rencontrés ailleurs qu’ici. Vous ne pouvez pas… Non! Ne me touchez pas !
    Il esquissa un geste violent du buste pour échapper aux caresses qui se dirigeaient vers ses hanches.
    - Je vous interdis de me toucher, vous m’entendez ? Vous n‘avez pas le droit !
    Les yeux fixés sur le corps qui s’étendait sous lui, le Maître darda la langue en ricanant doucement. Puis penché sur le torse mis à nu, il s’en servit pour en titiller longuement une pointe - qui se dressa sous la caresse humide -, pendant qu’il faisait durcir l’autre sous les pincements insistants de ses doigts froids.
    - J’ai tous les droits sur toi mon cher. Tu m’appartiens depuis que ton père et moi avons passé un accord, il y a bien des années avant ta naissance.
    - Non ! C’est impossible. Jamais…Jamais il n’aurait fait une chose pareille!
    Amusé par sa loyauté aveugle, le Maître eut un sourire condescendant.
    - Oh que si mon petit. Il l’a fait, et son empressement a été manifeste. Ton pauvre père était avant tout un homme cupide, avide et égoïste, qui nourrissait une kyrielle de rêves glorieux, mais ne possédait pas le cran nécessaire à leur réalisation. Cette misérable faiblesse l’a fait prendre la voie de la facilité : faire usage de magie noire pour m’invoquer et pactiser avec moi. Le prix qu’il a négocié pour obtenir de moi, renommée, terres et richesses ? Son corps, ainsi que celui du premier enfant qui naitrait de lui. Voici pourquoi tu es à moi, corps et âme, et ce, depuis avant même ta conception. L’air que tu respires, l’eau que tu bois, la nourriture que tu manges, les vêtements que tu portes… Tout a été fait dans un seul et unique but : t’élever, et te rendre fort, afin que plus tard, tu puisses m’appartenir et me servir.
    Un éclat de lumière joua dans ses prunelles bleutées lorsqu’il leva un sourcil moqueur.
    - Mais il ne t’en a jamais parlé n’est-ce pas? Evidemment que non. Jouer le beau rôle était bien plus agréable que de révéler la vérité. Dans sa lâcheté, ton cher papa n’a pas osé t’avouer sa plus grand honte, sa plus belle infamie ! Auquel cas, tu ne m’aurais pas rejeté de ta couche la nuit de tes seize ans. Bien au contraire. S’il l’avait fait, tu m’aurais accepté à bras ouverts !
    Pendant un long moment, leurs regards s’affrontèrent et le jeune homme sentit malgré lui, sa colère faiblir de quelques menus degrés. Sourde et lancinante, sa nouvelle compagne rugissait toujours entre ses côtes, menaçant de le faire hurler. Cependant, quelque part ailleurs, dans une autre partie profondément enfouie de son âme, la perspective que ces révélations puissent être vraies commença à se frayer un chemin en lui, teintant sa rage de méfiance.
    Se pouvait-il que ce qu’il dise soit vrai ?
    L’espace d’un instant, le doute et la crainte le submergèrent, le déstabilisant suffisamment pour qu’il baisse sa garde et relègue sa colère au second plan. Puis il se souvint très exactement des raisons pour lesquelles il se trouvait en ces lieux, et sa haine et sa fierté reprirent le dessus, marquant sa bouche d’un pli méprisant.
    - Vous êtes infâme et ne savez rien faire d’autre que mentir ! En réalité, vous n’avez plus aucun autre tour de passe-passe planqué dans vos manches et ne savez plus quoi faire pour m’effrayer ou me dominer, alors vous avez décidé de jouer la carte du pacte familial pour me faire perdre le sens des réalités et me rendre aussi docile qu’un animal ! Mais vous vous trompez sur mon compte.  C’est vrai, je crois à votre histoire d’Eléments et de commencement du Monde, mais il est hors de question que je tombe dans le spiritisme diabolique! Vous êtes un menteur, Monsieur. Un menteur ! Vous n’avez et ne savez strictement rien à propos de mon père, alors ne… Mais qu’est-ce que… Non !
    Les mains qui, pendant ce temps, caressaient lentement son ventre offert, se crispèrent en de longues serres sur sa peau et s’y enfoncèrent brutalement. Le pouvoir qui s’infiltra dans son corps fusa directement jusqu’à la partie de son cerveau qui abritait ses souvenirs et s’y enfouit. Profondément enfoncées dans sa mémoire, les mains psychiques fouillèrent, et remuèrent, explorèrent et furetèrent longuement, avant de parvenir à extirper, puis à stimuler le bien convoité. Elizia qui, auparavant, ne voyait pas de quoi parlait le Maître, fut subitement plongé dans une réminiscence bien précise et si profondément ensevelie dans sa mémoire, que la quantité d’énergie nécessaire qu’il avait usée pour l’y oublier l’étonna lui-même.

    Première nuit de Novembre. Il venait tout juste de célébrer ses seize ans. Au dehors la neige et le vent faisaient rage, tandis que l’obscurité recouvrait les terres du domaine. Son père l’ayant autorisé à veiller jusqu’à minuit pour l’occasion, Elizia avait profité de chaque minute jusqu’à l’heure fatidique. Puis la cloche de  l’immense horloge du salon avait retentit douze fois, et les festivités s’étaient terminées. Il lui avait fallu monter se coucher, et contenir en lui toute l’agitation que son nouveau statut lui conférait. Mais il l’avait fait, et non sans une certaine fierté : il était devenu un homme, et il allait veiller à se comporter en tant que tel !
    L’excitation et euphorie le tinrent longtemps éveillé sous ses couvertures avant qu’il parvienne enfin à s’assoupir. Il dormait profondément depuis quelques heures lorsqu’une sensation étrange – celle de quelque chose en train de se glisser près de lui sous ses draps, de lui murmurer des choses effrayantes à l’oreille, et de le caresser doucement sous ses vêtements – le réveilla en sursaut. Croyant d’abord qu’il s’agissait d’un cauchemar, il ne réagit pas tout de suite. Mais à l’instant même où il constata qu’il ne rêvait pas, et que ses ressentis étaient réels, son âme inexpérimentée et superstitieuse céda à la peur et le poussa à quitter sa chambre à toute vitesse. Par la suite, plus traumatisé par les évènements que honteux de sa lâcheté, il n’avait plus jamais sommeillé sans qu’une bougie n’éclaire l’obscurité de sa chambre.

    - C’était vous.
    Le corps aussi raide et tendu que la corde d’un arc, Elizia déglutit péniblement.
    - La présence qui m’a effrayé. C’était vous. Depuis le début.
    Le Maître eut un petit sourire suffisant.
    - Une de mes projections astrales, pour être exact. Mais oui, c’était moi. Me fuir fut une grande erreur Elie. Cela n’a fait qu’aggraver la faim que j’avais déjà de toi à cette époque. Bien sûr, j’avais Adonis pour pallier à l’attente, mais il n’était qu’un pis-aller en attendant de te posséder enfin. Tu évolues dans la nature depuis bien trop longtemps mon ami, il est temps que tu remplisses ton rôle à présent.
    Soudainement pris de panique et toute colère enfuie, Elizia se crispa sur le bois du lit et chercha fébrilement un nouveau moyen de s’enfuir. Mais il avait beau réfléchir, la conclusion était toujours la même : les liens autour de ses membres étaient trop serrés, et le poids du corps de son geôlier sur le sien trop important.
    - Non!
    Les légers pincements que les mains du Maître exerçaient auparavant sur ses tétons n’étaient plus des caresses, mais s’étaient muées en de violentes pressions, qui lui donnaient l’impression qu’ils allaient lui être arrachés.
    Le Maître siffla entre ses dents.
    - Oh que si, Elie. Et tu vas être bien sage.
    - Plutôt mourir ! Espèce de….Non ! Non…
    Avide et goulue, la bouche du Maître engloutit son sexe sans prévenir, et presque instantanément, Elizia sentit disparaitre toute envie de protester ou de se débattre.
    Désormais sans force sur les draps, le baron se laissa engourdir par le parfum entêtant de l’encens et la fumée des bougies qui amplifiaient toujours plus sa sensibilité et son désir, le transportant dans un monde de coton si agréable et grisant que, lorsque la langue agile et taquine du Maître glissa lascivement sur toute la longueur de son membre turgescent - s’enroulant et tournant encore et encore autour de son gland rosé, pour le lécher et le sucer avec gourmandise - puis que ses lèvres se resserrèrent pour avoir une meilleure prise et l’aspirer plus fort encore, il n’eut pas d’autre réaction que celle de gémir et de frissonner. Son esprit de plus en plus léthargique ne parvenait pas à recouvrer sa clarté originelle, et sa respiration se faisait de plus en plus laborieuse. Une fine pellicule de sueur commençait à poindre sur sa peau comme la rosée du matin sur de l’herbe fraiche, criant témoignant de son excitation qui, à son plus grand dam, prenait autant d‘ampleur que la longueur de son sexe en érection.
    Les yeux humides de honte, Elizia articula difficilement d’une voix pâteuse.
    - Si…S’il vous plait…M-Maître…Je vous en supplie…A…Arrêtez…Non!
    Comme pour le provoquer, la main qui tenait la base de son sexe glissa subitement vers l’arrière de son corps et pris en coupe ses testicules gonflés et offerts pour les caresser fermement de sa paume. La seconde, encore inactive, se positionna précisément sur le léger renflement de l’entrée, entre ses fesses, et y effectua de petits cercles de plus en plus appuyés et ciblés,  y insérant d’abord un doigt, puis un second, agrandissant progressivement l’ouverture serrée et récalcitrante.
    Ce double contact inattendu et forcé provoqua un éboulement sismique au creux du corps d’Elizia.
    Sous le choc du plaisir qui le submergeait, son regard voilé disparut subitement derrière ses paupières et un hoquet de désir s’échappa d’entre ses lèvres humides.
    Ses yeux de glace fixés à ceux d’ébène, le Maître resserra alors encore davantage les lèvres et débuta une longue série de va-et-vient énergiques et rapides, ponctués de succions et rythmés par les mouvements de ses doigts qui, plus bas, se frayaient un chemin au fond du corps de sa victime.
    Une chaleur d’enfer régnait en maître dans la bouche du Maître, et l’éclair de plaisir que provoqua ce soudain changement de cadence fut si foudroyant et puissant à la fois, que les gémissements d’extase qu’Elizia était parvenu à retenir si longtemps, s’échappèrent dans une longue complainte déchirante. Son corps, torturé par un incommensurable besoin de jouir, était parcouru de tremblements de plus en plus visibles et se recourbait violemment au-dessus des draps, tel un arc bandé. Son esprit affaiblit, tout comme sa résistance défaillante, partaient à la dérive, et menaçaient de céder au plaisir que les lèvres impitoyables lui faisaient miroiter.
    Ce ne fut qu’en apercevant la lueur moqueuse dans les yeux de son tortionnaire, qu’il sut  que celui-ci lisait ses pensées avec délectation depuis le début de leurs ébats, qu’il connaissait chacun de ses ressentis, et qu’en conséquences, il s’appliquait à les stimuler de manière très calculée.
    C’est pourquoi il ne vit pas venir l’orgasme qui lui tomba dessus.
    Brutale, impitoyable et dévastatrice, la jouissance s’imposa à lui comme une avalanche, et balaya puissamment tout ce qui lui restait de volonté, réduisant les vestiges de sa résistance à néant. Sa volupté éclata alors dans un puissant grognement d’animal en rut, tandis que sa semence brûlante échouait entre les lèvres du Maître et lui coulait sur le menton.
    - Mmmh…Tu es délicieux.
    Ce murmure de contentement retentit vaguement aux oreilles bourdonnantes d’Elizia, mais encore trop ivre et pantelant de plaisir pour y faire attention, c’est à peine s’il en comprit le sens. Voguant quelque part entre inconscience et félicité, il n’eut pas la force d’esquisser le moindre geste lorsque les liens qui maintenaient ses bras et ses jambes se défirent, et que deux mains habiles saisirent sa taille pour le retourner sur le ventre.
    - Tu es vraiment magnifique….
    D’abord insensible aux compliments et aux caresses qui flattaient la rondeur de ses fesses,  Elizia n’eut aucune réaction. Mais lorsque les doigts en lui se retirèrent, et laissèrent la place à quelque chose de chaud, de dur et d’incroyablement long, qui se frotta tout contre son intimité vierge en cherchant à y entrer, l’épais brouillard qui amollissait son esprit s’évapora d’un seul coup, laissant à nouveau régner sa lucidité. Sursautant d’effroi, il se recroquevilla péniblement sur lui-même et entoura son corps de ses bras, usant d’eux comme d’un bouclier. Il se sentait si faible, si faible… Même avec toute l’étendue de sa volonté, il n’aurait rien put tenter d’autre.
    - Laissez-moi, par pitié…
    Agacé, le Maître claqua de la langue.
    - Il suffit ! Ne fais pas l’enfant ou je serai forcé de sévir!
    Ne se souciant pas le moins du monde de la supplique, le Maître étendit à nouveau le jeune homme sur le ventre et attira ses hanches vers l’arrière de façon à ce qu’Elizia se retrouve à quatre pattes. Puis il inséra de nouveau un doigt préalablement mouillé entre ses fesses, arrachant au jeune homme, un hoquet consterné qui le fit glousser.
    - Quelle jolie fleur… Personne ne t’a encore jamais touché ici, n’est-ce pas, Elie? Evidemment que non, toi tu es l’homme, c’est toi qui domine. Ce genre de traitement, tu préfères le réserver à ton écuyer, ce cher amant qui donnerait sa vie pour toi s’il le fallait…. Comme c’est charmant.
    Faire allusion à Florent dans un moment pareil fut, pour Elizia, l’équivalent d’une épée plantée en plein cœur. Déchiré par la souffrance qui lui transperçait la poitrine, il s’interdit de laisser couler les larmes de rage, de honte et de tristesse qui lui brûlaient les yeux et menaçaient de déborder d’entre ses paupières closes. Il se refusait à faire d’avantage preuve de faiblesse devant cet être qu’il commençait à haïr plus que tout au monde.
    Au-dessus de lui, le Maître gloussa à nouveau.
    - Quel sens de la dignité!
    Le doigt qui le titillait poussa alors plus fort et le pénétra aussi profondément que cette position le lui permettait. Ferme et humide, il s’enfonça vivement puis ressortit tout aussi vite. Un deuxième et puis un troisième doigt succédèrent au premier, élargissant l’orifice en de rapides va-et-vient qui, pour Elizia, furent à la fois une source de plaisir, de souffrance et d’humiliation des plus écœurantes. Et ce, principalement pour une raison : ce que lui infligeait le Maître était une version odieusement pervertie des attouchements que lui-même dispensait à Florent lorsqu’ils faisaient l’amour.
    Des caresses qui, de son point de vue, avaient toujours été douces, affectueuses et bien accueillies par son amant, car prodiguées par amour et surtout par désir de le satisfaire. Mais à présent qu‘il était à sa place, allongé sous un autre homme et soumis à son bon vouloir, Elizia se demanda avec angoisse si son amant avait déjà vécu ces intrusions en lui comme une souffrance, plutôt que comme une union, un acte d’amour. Torturé par cette soudaine prise de conscience, il se demanda s’il en avait un jour éprouvé du plaisir ou s’il en avait toujours souffert sans le lui dire, s’il avait accepté de lui être soumis parce qu’il le désirait vraiment ou uniquement à cause de sa position de serviteur qui ne lui laissait jamais beaucoup de choix…
    Ces questions tourbillonnantes en amenèrent d’ailleurs une autre, plus essentielle et cruelle, qui entailla la chair de son âme plus profondément que  n’aurait pu le faire une lame : cet être qu’il aimait plus que tout, et pour lequel il vendrait son corps et son âme s’il le lui demandait, l’aimait-il vraiment ? Ou était-ce une façade, un rôle qu’il endossait pour mieux servir son maître ?
    Cette perspective lui fit si mal, qu’elle faillit le briser. Cet homme qui le tourmentait faisait trembler les fondations de toutes ses certitudes. A présent, il ne savait plus qui croire, et il doutait de tout.
    Soudain dégoûté de lui-même, Elizia perdit à la fois son courage et son envie de combattre. Peut-être était-il un monstre après tout ? Si tel était le cas, ne méritait-il pas ce qui lui arrivait ?
    Prostré comme un malheureux au milieu des draps, il frissonna lorsqu’un doux murmure glissa sur sa peau nue.
    - La capitulation ne  déculpabilise pas Elizia. Te punir – si c’est bien le but de tout ce mélodrame inutile – ne changera strictement rien au fait suivant : ton amant, en plus d’être ton serviteur, est le plus faible de vous deux, sa position de dominé est donc naturelle. Pourquoi la remettre en question ?
    Elizia préférait ne rien répondre. Il ne faisait pas assez confiance à sa voix pour masquer la peine qui l’habitait.
    - Aucune contestation ? Non, naturellement… C’est tellement plus commode de jouer les martyrs, de croire que tu as fait souffrir cette pauvre chose pendant des années… Tu es si pitoyable et prévisible mon pauvre Elizia… C’en deviendrait presque pathétique …
    Les doigts qui travaillaient son corps depuis de longues minutes, se retirèrent alors et laissèrent la place au membre imposant du Maître, qui glissa lentement le long de sa raie offerte jusqu’à son entrée pour s’y frotter doucement. Ce contact intime – et encore très inhabituel pour le jeune homme – fit réagir son corps de manière si positive à la perspective d’être pénétré qu’il en fut sidéré. Comment son cœur pouvait-il tout d’un coup battre la chamade, son anus se contracter en de vigoureux spasmes qui couvraient sa peau de frissons, et son pénis se durcir presque instantanément, alors que son esprit et son âme n’avaient qu’un seul désir : exprimer leur douleur dans un cri qui déchirerait le ciel ?
    Sa réaction, illogique et contradictoire, le dégoûta, et le révolta tellement que ses poings se crispèrent de rage sur les draps.
    Le Maître murmura, les yeux mi-clos :
    - Si humain dans sa misère, et si unique dans sa fierté… Tu n’es qu’une pauvre chose Elizia. Se fustiger pour ces bagatelles ne sert à rien. Accepte le fait que tu me désires. Je le sais et tu le sais, alors pourquoi lutter ? Le désir est ce qui nous définit tous autant que nous sommes. C’est la fatalité, c’est ainsi que fonctionne le monde et tu ne peux pas y échapper. Tu ne peux plus y échapper. Car tu es à moi, et tu m’appartiens.
    Puis avant qu’Elizia ne puisse rétorquer quoi que ce soit, le Maître poussa fermement son membre sur son intimité et le pénétra d’un mouvement fluide et inaltérable. Profondément.
    La bouche ouverte en un « O » choqué, le baron perdit peu à peu sa capacité à produire le moindre son. Ce qui tentait de pénétrer en lui, en écartant les chairs de cet endroit si étroit de son corps avec assurance, était si gros, si imposant, qu’il n’était pas certain d’en mesurer toute la dimension.
    A cause de son étroitesse, Elie se prit à espérer que la tentative échoue et soit finalement abandonnée. Mais au moment précis où cette aspiration vit le jour, le Maître commença à forcer réellement. Et le coup de rein qu’il lui infligea fut si douloureux, qu’il retrouva d’un coup tout ses facultés vocales. Le cri de souffrance qui franchit le barrage de ses lèvres, tel un boulet de canon, fut si puissant qu’il lui brisa la voix, et détruisit les barrières qui empêchaient ses larmes de couler. Brûlantes et amères, Elizia les sentit alors rouler et dégringoler en cascades sur ses joues tel un torrent impétueux, avant de les voir pleuvoir sous lui en gouttes cristallines et silencieuses, mouillant doucement  les draps auxquels il s’agrippait avec force.
    Sa voix était enrouée et lourde de sanglots, mais il s’obligea à supplier encore et encore.
    - Je vous en prie…. Je vous en supplie, Maître….Retirez-vous…Par pitié…
    - Chut, ne gâche pas ce si beau moment Elie….
    Puis il reçut un second coup de bassin, plus puissant et décidé que le premier, qui le fit hurler à s’en arracher la gorge et agoniser de douleur face à la souffrance cuisante qui le brûlait de l’intérieur. L’immense hampe de chair du Maître était parvenue à se glisser en lui jusqu’à la garde, le transperçant si cruellement qu’elle lui donna l’impression d’être cisaillé en deux. Et alors qu’il maintenait son visage enfoncé dans les draps, le jeune baron sentit soudain quelque chose de doux et de chaud couler le long de l’intérieur de sa cuisse. Tremblant de douleur et presque de peur, il porta donc prudemment la main à sa cuisse et affronta la vue de ce qui s’y trouvait.
    Du sang.
    L’horreur de la chose le fit suffoquer : son corps était tellement ouvert que la fine peau à l’intérieur s’était déchirée, laissant le sang s’écouler hors de lui, ouvrant une blessure qui lui serait impossible de refermer par lui-même.
    Frappé d’effroi, Elizia souhaita s’évanouir dans l’instant pour oublier. Il voulait oublier la douleur, oublier la nausée et les vertiges qui l’assaillaient, et plonger avec bonheur dans l’inconscience pour échapper à toute cette souffrance. C’est pourquoi inlassablement, il priait le Ciel pour que bientôt, sa conscience faiblisse et l’entraîne avec elle dans vapes.
    Mais malheureusement, sa conscience tint bon, et le Maître ne se priva pas de le lui faire remarquer.
    - Défaillir, c’est pour les lâches. N’est-ce pas mon beau ? Toi, tu ne me ferais pas cela, tu es bien trop fier et courageux... D’ailleurs, maintenant que j’y pense,  j’ai presque faillit oublier de te répondre : oui, les cours que dispensent mes serviteurs sont réels – ce sont des êtres très érudits et leurs connaissances sont très édifiantes –, et me servent effectivement de couverture. Tu peux choisir de continuer, ou non, à les suivre si cela t’amuse. En ce qui me concerne, je m’en moque complètement.
    Puis d’un ample et ferme mouvement de hanches, le Maître entama ses va-et-vient sans plus s’embarrasser de précautions ou de paroles. Aidé à la pénétration par le sang rependu dans l’étroit conduit - qui agissait comme un lubrifiant autour de son membre viril -, il se retira puis se renfonça totalement, de plus en plus profondément, et de plus en plus facilement, labourant, culbutant, et écartelant Elizia avec tant de force et d’emphase, qu’il lui donna l’impression d’être rempli jusque bien plus loin que le tréfonds de ses entrailles.
    Ainsi ballotté de tous les côtés par les déhanchements puissants de son violeur, comme on l’aurait fait d’une vulgaire poupée, Elizia perdit soudain tout désir de lutte et se laissa envahir par la honte et le dégoût qui lui meurtrissaient l’âme et lui rongeaient le cœur. Sa situation était si  minable. Si lâche… Comment pouvait-il à la fois pleurer celui qu’il aimait et se laisser besogner par celui qu’il rêvait désormais de tuer ?
    Il n’était plus digne de porter son nom.
    Il se haïssait.
    Cette prise de conscience le fit trembler si fort et frissonner si violemment, que les mains du Maître durent resserrer leur prise sur ses hanches pour le maintenir en place, tandis que les allers-retours prenaient plus d’ampleur. Puis, comme un courant d’air venu d’une fenêtre ouverte, Elizia sentit un souffle de pouvoir s’introduire en lui et emplir son être jusqu’à prendre possession de son esprit. Effaçant la douleur et la souffrance  physique – qu’il avait ressenties si profondément dans sa chair, si peu de temps auparavant –, s’estompèrent et disparurent de sa mémoire, et le projetant d’une chiquenaude psychique, dans un océan de sensations grisantes et vibrantes – causées par les violents coups de boutoir du sexe immense qui buttait toujours contre la zone si sensible au creux de son corps – qui le poussa, quelques instants plus tard, à crier de plaisir telle une putain dans un bordel.
    Visiblement satisfait de lui, le Maître émit un gloussement rauque au milieu de ses râles et accéléra encore la cadence de ses va-et-vient, entrainant Elizia dans un tourbillon vertigineux. Puis d’un geste vif de sa grande  main froide, il agrippa ses épaules et les tira vers l’arrière, plaquant avec force son torse glacé contre son dos brûlant,  pendant que sa seconde main se refermait autour du pénis tendu qu’elle entreprit de masturber.
    Soupirant d’extase comme un perdu, Elizia se surprit soudain à s’empaler de lui-même sur cet obélisque de chair palpitante, et s’immobilisa brusquement. A ce constat aussi étourdissant qu’un coup de massue,  son cœur loupa un battement et de nouvelles larmes aussi amères que brûlantes, inondèrent ses joues.
    Son corps choqué ne bougeait plus, chacun de ses membres s’étant aussi pétrifiés que ceux d’une statue. Mais n’ayant apparemment cure de son trouble, le Maître continua à s’agiter entre ses jambes. Et au moment précis où son sexe tapa  contre ce point si sensible de son anatomie, la résistance d’Elizia vola en éclats, et l’orgasme explosa en lui, le faisant voir un bon millier d’étoiles.
    Lorsqu’il retomba lourdement sur les draps et sentit son esprit s’enfoncer dans la torpeur, Elizia se laissa faire et savoura le plaisir de l’abandon. Mais  presque aussitôt, le visage de Florent – celui qu’il aimait tant voir rayonner de bonheur et de joie après l’amour –, s’imposa à lui avec brutalité, et lui transperça la poitrine telle une flèche envoyée en plein cœur.
    Cédant alors de nouveaux au chagrin et à la peine, Elizia murmura une prière d’une voix dénuée de force.
    - S’il te plait mon amour…Pardonne-moi….


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  • 11.

    Lentement, très lentement, le jeune baron émergea des profondeurs de sa léthargie, et reprit conscience de ce qui l’entourait. Petit à petit, le nombre de ses battements de cœur doubla, faisant circuler son sang plus vite dans ses veines, et le rythme de sa respiration accélérera. Puis après quelques battements de paupières hésitants, il ouvrit les yeux, et focalisa son regard sur le rai de lumière lunaire qui traversait la pièce. Il était réveillé.
    Plongée dans une obscurité presque totale, la Chambre, sans l’éclat chaleureux des bougies, lui parut vide, froide et hostile. Et cette chaleur ! Constatant qu’une fine pellicule de sueur recouvrait son front, Elizia s’étonna de la température anormalement élevée. Se passait-il quelque chose ?
    N’étant cependant pas certain de vouloir vraiment connaitre la réponse, le baron se contenta de rester parfaitement immobile pendant que d’un regard circulaire, il se faisait une idée de l’état de la chambre et des intentions du Maître. Plissant les yeux pour scruter chacun des recoins de la Chambre, il lui fallut plusieurs minutes avant de décider que rien d’anormal ne semblait se produire. Tout était calme, et son tortionnaire ne se trouvait nulle part dans la pièce pour l’instant. Dès lors rassuré, il se détendit sous les draps et referma les paupières, prêt à s’immerger de nouveau dans le sommeil.
    - Inutile petit homme. Je sais que tu es éveillé.
    Surpris, le concerné réprima un sursaut et grimaça sous la douleur lancinante qui lui vrilla le bas du dos.
    Le Maître l’avait déchiré.
    Les sourcils froncés par la colère, Elizia pris soudain conscience que dans les prochains jours, il lui serait impossible de s’assoir correctement sans que la douleur comprimée dans son coccyx ne soit fulgurante. Il n’avait pas d’autre choix, que de se redresser sur les coudes ou de rester allongé sur le dos ou ventre comme un nourrisson.
    Une telle contrainte était si indigne de lui.
    La haine soudaine qui enflamma son regard et fit saigner son cœur de douleur au souvenir de leur étreinte, répandit un tel désir de vengeance que tous ses membres en tremblèrent.
    Un jour.
    Un jour, il tuerait cet être infâme.
    - Mondrose…. Sais-tu pourquoi, jeune homme, j’ai baptisé cette école ainsi?
    Surgissant soudain d’entre les ténèbres comme une apparition, le Maître s’immobilisa tranquillement devant l’une des immenses fenêtres, dont il écarta un pan de velours pour mieux voir l’Astre nocturne. Alors baigné de lumière argentée, ce corps nu à la froide beauté trompeuse, devint brillant, resplendissant. Sa stature parut plus grande, plus mince, plus élancée, plus distinguée et plus….attractive encore qu’Elizia n’aurait l’imaginer. Un seul regard sur toute cette beauté mystérieuse aurait fait vaciller n’importe qui de désir et de convoitise. Mais Elizia ne s’y trompa pas. Rien de ce qui venait de cet homme n’était beau ou bon. Il n’était que poison.
    Sans toutefois se tourner vers lui, le Maître lui posa à nouveau sa question.
    - Alors ? Sais-tu pourquoi j’ai choisis ce nom ?
    Un peu plus tôt, le Maître s’était joué de lui en se rendant invisible et imperceptible à ses sens. Il avait trompé sa vigilance avec tant d’aisance et de désinvolture que tout en lui se révoltait. Evidemment, une telle interprétation était absurde, mais il ne pouvait pas s’empêcher de le ressentir comme une trahison, une violation de son sentiment de sécurité. En l’empêchant volontairement de le percevoir, son geôlier avait brisé la confiance qu’il plaçait en ses sens. Et cela il ne le lui pardonnerait jamais.
    - Non je ne sais pas, et je m’en moque. Après ce que vous venez de me faire subir, ne pensez pas recevoir de moi un quelconque intérêt pour vos affaires.
    Si les propos laissèrent l’homme de glace, il n’en fut pas de même pour la lourde insolence de sa voix.
    - Tu étais consentant Elie. Je peux te l’assurer. J’ai d’ailleurs très bon souvenir du nombre de fois que tu as jouit, gémis, hurlé… Ton plaisir à être dans mes bras était si manifeste, si touchant. L’espace d’un instant, je l’ai associé à celui d’une jolie pucelle… Vraiment rafraîchissant.
    Rafraîchissant?
    Cet inhumain l’avait violé, blessé, et humilié mille fois sans aucun remord ni considération pour sa fierté, et il trouvait cela rafraîchissant?
    La colère et la fureur s’accumulèrent en lui telles des bombes à retardement, faisant luire ses yeux noirs d’une lumineuse lueur sanguine et bander chacun de ses muscles dans l’optique de bondir sur le Maître pour l’écharper.
    Mais tandis qu’il établissait des plans de vengeance des plus créatifs, une étrange brume s’abattit sur son esprit et en balaya toute envie assassine, délayant la rage explosive et la colère noire, le laissant vide de toute émotion.
    Se sentant vaguement nauséeux, et comme si l’on venait de lui dérober quelque chose de fondamental, Elizia demanda, les yeux vitreux.
    - Vous…c’est vous qui… ? Pourquoi? Pourquoi avez-vous fait cela?
    Toujours sans le regarder, l’homme près de la fenêtre caressa lui répondit d’un ton dénué d’inflexion.
    - Viens ici.
    Rendu docile et sans force, Elizia fut incapable de lutter contre la forte attraction qui l’attirait, le poussait à quitter la couche, malgré la douleur, et à rejoindre celui qui tirait les ficelles de son nouveau corps de marionnette. Bien vite, ses pas ramollis menèrent son corps nu tout près de celui du Maître, et il bénéficia, lui aussi de la phosphorescence lunaire.
    Légère et mutine, une main glacée se mit à lui effleurer l’échine, et il frissonna.
    - Je me répète une dernière fois Élie : sais-tu pourquoi, j’ai choisi ce nom?
    Sa réponse fut mécanique, sans intonation particulière.
    - Non, Maître. Je ne sais pas.
    Il fixa son regard sur l’immensité du ciel étoilé.
    - Te plairait-il de le savoir?
    - Non merci. Cela ne m’intéresse pas.
    Imperceptiblement, le corps de l’homme se raidit.
    - Non?
    - Non.
    Un sourire sardonique étira alors ses lèvres.
    - Et bien mon cher, voilà qui est dommage pour toi. Tu viens tout juste de perdre quelques minutes de répit.
    Puis avant qu’Elizia comprenne de quoi il s’agissait, la main légère le saisit à l’épaule d’une poigne de fer et le plaqua fermement contre la vitre.
    Deux jambes puissantes écartèrent et maintinrent ensuite les siennes avec force pendant que deux doigts plongeaient entre ses cuisses, réveillant la douleur de la plaie qui n’avait pas encore totalement guéri.
    Le buste collé à la vitre glacée par le torse froid qui se plaquait contre son dos, et l’esprit encore sous emprise psychique, Elizia ne pouvait ni se débattre mentalement, ni se dégager physiquement à grand renfort de coups de poings comme il aurait souhaité le faire.
    Il priait le Ciel tout en cherchant fébrilement une porte de sortie mentale lorsque, sans aucune douceur ni précaution, le Maître le pénétra d‘un ample coup de rein. Violemment. Profondément.
    La douleur qui le transperça fut si intense, qu’elle le laissa sans voix. Hoquetant sous le choc, il fut incapable de retenir les larmes qui affluèrent et inondèrent abondamment ses joues comme un torrent. Gémissant de douleur et de honte, il senti soudain sa raison vaciller et ses jambes trembler. Puis le sol commença dangereusement à tanguer sous lui tandis qu’il perdait l’équilibre. Mais au dernier moment, les mains du Maître le redressèrent et le maintinrent fermement en place.
    Le paysage qui s’étendait par la fenêtre lui parut subitement comme le meilleur moyen d’échapper à l’enfer qu’il était en train d’endurer, et il y focalisa toute son attention, toute sa force, et toute son énergie, dans l’espoir d’y puiser du courage et de parvenir, enfin, à s’évader loin, loin, si loin… Les yeux rivés sur ce qu’il savait être un terrain calciné, ce fut pourtant la vision d’un champ de fleurs, immense et lumineux qui lui apparut tout d’un coup.
    Intrigué, Elizia fronça les sourcils et chercha à s’approcher pour mieux voir, certain de souffrir d’hallucination. Mais à cet instant, le Maître, lui lécha la gorge et il faillit perdre sa concentration.
    Oublier. Ne rien ressentir. Oublier. Ne rien ressentir. Oublier. Ne rien ressentir. Ne rien ressentir. Ne rien ressentir….
    Alors éperdu, il se focalisa sur cette anomalie pour oublier la douleur, pour oublier le dégoût, et ne pas ressentir la honte qui le submergeait. Les yeux fous et vitreux, il demeura longtemps focalisé sur le champ de fleurs qui s’épanouissait au rythme lumineux de la lune, puis avec un incroyable bonheur dont il ne comprit pas la provenance, il aperçu enfin le mouvement des roses et sur ses lèvres un lent sourire s’épanouit. Elles. Les seules, les uniques, qui étaient des milliers, étaient enfin là, s’étendant, si belles et reines, dans ce champ qui n’appartenait qu’à elles, et se présentait à lui telle une mer rougie par un merveilleux sang vermillon.
    Un rouge comme le sien.

    ***

    Relâchant un long soupir satisfait, Cèlüè se leva avec souplesse du lit dans lequel il se vautrait depuis bientôt deux jours, et caressa d’une main légère le visage au repos de son bien, ses longues lèvres s’étirant dans un sourire gourmand. Étant donné le nombre de fois où il l’avait usé cette nuit, et son appétit étant désormais repu - le dernier ébat ayant uniquement servi de coupe-faim, une sorte de collation de minuit en somme -, il savait qu’il n’en aurait pas besoin avant au moins deux jours..
    Mais il aurait encore faim. Et d’ici là, Elizia aurait tout intérêt à avoir récupéré ses forces.
    Saisissant un grain de raisin entre deux doigts d’un blanc de nacre, il observa d’un œil aiguisé l’arrondit et la brillance parfaits du fruit, tout en en appréciant sa texture ferme et lisse sur sa peau glacée.
    Son Elizia était comme ce grain de raisin : des formes sensuelles parfaitement proportionnées, une puissance d’âme tout aussi brillante, et une texture de peau si lisse qu’il devait se faire violence pour ne pas la mordre lors de leurs ébats.
    La satisfaction le fit soupirer. Quelle meilleure proie aurait-il pu souhaiter?
    Aucune bien sûr.
    Le fougueux baron était presque aussi doué qu’Adonis dans l’art de la chambre à coucher. Ce qui lui manquait n’était qu’une infime dose de soumission. Mais dès l’instant où elle lui serait inculquée, il surpasserait son Pantin en adresse, et alors…Leurs ébats deviendraient de véritables joutes sexuelles !
    Salivant d’excitation face à tant de potentiel et de perspectives, il reposa le fruit et alla s’habiller.
    Les pouvoirs qui grondait dans ses veines étaient assez étendus et puissant pour qu’il n’ait besoin que d’un claquement de doigts pour se vêtir, mais étrangement, il aimait prendre le temps de revêtir chaque étoffe sur la peau de son corps emprunté. Savourer la fluidité d’un tissu soyeux en train de glisser sur son corps, être délicatement chatouillé par la dentelle fine et belle, tenir dans ses mains la rondeur minuscule d’une multitude de boutons nacrés, voir petit à petit les vêtements recouvrir sa peau et retrouver leur place sur ses membres…. Ses frères - une bande de rustres sans manières comme il aimait les appeler - trouvaient étrange qu’un démon de son rang éprouve une telle affection pour ce qui était d’invention humaine, et qu’il désirât toujours être habillé.
    Essayez donc de passer dix millénaires sans un corps solide à palper, à toucher, et vous verrez si vous n’apprécierez pas de l’orner chaque jour des plus beaux atours !
    Envoyant silencieusement ses semblables à Dieu, il suspendit brusquement son mouvement lorsqu’Elizia se retourna sous les draps, murmurant le nom de son amant.
    Deux sentiments se disputèrent alors son attention.
    La colère mêlée de rage, qui lui imposait de filer aux cachots pour désintégrer celui qui occupait les pensées de son bien. Et Le désir, qui le poussait insidieusement vers le lit, l’incitant à se dévêtir pour rejoindre Elizia – dont le corps nu et meurtrit était comme moulé par les draps de soie – et lui rappeler fermement à qui il appartenait.
    Mais il n’eut pas le temps de décider qui l’emporterait, car à cet instant Tessa, qui somnolait sur le sofa, se leva d’un bond, tous les sens aux aguets.
    - Je pense que nous allons avoir de la visite ma douce. Préviens Belzébuth, je vais avoir besoin de lui.
    D’un pas leste, Cèlüè pénétra dans son bureau, et gagna son fauteuil de velours noir, s’y laissant tomber avec amusement. Il savait qui venait le voir, et il s’y attendait depuis quelques jours maintenant. Tôt ou tard ses manigances allaient être découvertes, et il ne pourrait pas se soustraire à la vague de contestation qui allait s’abattre sur lui.
    Sauf qu’ il s’en moquait.
    Après des millénaires d’emprisonnement, il avait enfin trouvé un passe-temps passionnant, et il n’allait sûrement pas y renoncer pour des principes.
    Des principes.
    Il rit de l’ironie de sa pensée. Depuis quand les démons avaient-ils des principes?
    Trois coups discrets furent tapés à la porte, et le visiteur entra, dépourvu de tout vêtement, un sourire narquois étalé sur son visage hideux.
    - C’est Méphisto?
    - Oui, et il ne vient pas seul.
    - Avec Lilith?
    Le sourire goguenard de Belzébuth s’effaça alors, aussitôt remplacé par une mine effarée. Lilith n’était pas du genre à se mêler de ce genre de chose, et d’ailleurs ce n’était pas ses affaires!
    - En effet. Ta mère à décidé de se mêler de la partie. Je suppose que tu vois donc le fond du problème.
    Belzébuth explosa.
    - Par tous les démons des Limbes! Cèl…Cela ne la regarde en aucune façon! J’ai choisi de travailler pour toi, et je le fais par amitié! D’autant plus qu’il est plus facile pour moi de me nourrir ici que là-bas.
    Il avait prononcé cette dernière phrase avec un sourire carnassier, passant et repassant ses deux langues visqueuses sur des canines démesurées.
    Irrité, Cèlüè soupira.
    - Crois-tu donc que je ne le sais pas? Tu es le Prince des Enfers, Belzé. Il est normal que les souverains désapprouvent le fait que tu œuvres pour un démon de caste mineure. Mais si un jour tu dois m’abandonner, sois sans crainte, je te promets de survivre à ton départ.
    Scandalisé par le ton ironique du maître des lieux, le prince posa un genou au sol, et plaqua une main sur son front en signe d’allégeance.
    - Mon ami, dit-il le ton grave, je t’ai fais une promesse, et je préférerais mourir plutôt que de la trahir!
    Cèlüè rit à gorge déployée.
    - Un serment à présent? Par l’enfer Belzébuth ! A quoi cela sert-il? Ce n’est pas comme si, nous démons, avions le sens de l’honneur!
    Le prince lui jeta un regard peu amène.
    - Ne gâche pas ce moment s’il te plait, j’essaie d’être loyal, héroïque! Alors pourrait-on faire comme si?
    Cèlüè pouffa encore, mais accepta promptement le serment - en roulant des yeux intérieurement – pour mettre rapidement fin à cette parodie chevaleresque.
    Décidément, le monde humain avait une mauvaise influence sur le Prince. Être loyal, non mais franchement! Il en riait encore quand, dans une flambée de lumière et de feu, deux autres démons apparurent dans le sombre bureau et réduisirent l’espace à très peu de chose.
    Aussitôt, Belzébuth et lui, s’agenouillèrent, en signe de respect et de soumission.
    - Majesté. Conseiller.
    - Mère. Conseiller.
    - Relevez-vous, bande d'ingrats. Je n’ai pas de temps à perdre avec des flatteries.

    ***

    Étrangement, il avait l’impression d’avoir de plus en plus froid au fur et à mesure qu’il s’habituait à cet endroit. Et comme la lumière du jour ne filtrait pas dans cette prison où il était enfermé, il avait peu à peu perdu la notion du temps. Alors pour palier à ce manque, il avait trouvé un autre moyen de repère : il comptait les jours en fonction de ses repas. Comme il avait remarqué qu’on lui apportait sa pitance deux fois dans un laps de temps assez court, il en avait déduit qu’il était nourrit deux fois par jour.
    Voilà ce qui expliquait son alarmante maigreur et sa faim constante.
    Se recroquevillant sur lui-même, Florent tenta d’ignorer les cris de son estomac en réfléchissant. Faire marcher son cerveau était la seule chose qui l’aidait à oublier sa faim, et il avait l’impression que cela durait depuis plus d’une semaine. Il se doutait bien qu’il n’était plus au manoir des Von Waldorf, et qu’on l’avait enlevé pendant qu’il dormait, car son dernier souvenir remontait à ses dernières ablutions avant son coucher. Mais il n’avait aucune idée de la raison de son enlèvement ni de l‘endroit où on le retenait captif.
    Isolé dans cette caverne de pierre depuis son arrivée, il se sentait seul et se lamentait de n’avoir personne à parler de son malheur. Son seul contact avec l’extérieur était un jeune homme blond d’une incroyable beauté, qui ne le lui adressait jamais la parole, ne le regardait jamais directement, et prenait toujours grand soin de rester dans l’aveuglante lumière afin de ne pas être dévisagé.
    Jusqu’à il y a deux jours, Florent n’avait pas tout de suite compris les raisons de tant de précautions. Puis un jour, la vigilance rigide que lui témoignait toujours son geôlier ne fut pas aussi efficace que d’habitude, et la petite partie du visage qu’il entrevit, le laissa la bouche ouverte et les yeux écarquillés de stupeur.
    La beauté de ce garçon si semblable à celle des anges, l’avait tant bouleversé qu’il avait cru à une hallucination due aux drogues contenues dans la nourriture.
    Mais à présent il comprenait pourquoi il dissimulait son visage. Et depuis, il faisait plus attention et s’allongeait discrètement dans un angle qui lui permettait de mieux le voir, ainsi, il pouvait l’observer à loisir et se rassurer chaque jour sur le fait qu’il ne rêvait pas.
    Se noyer dans la splendeur du jeune homme le distrayait de sa morosité, de sa tristesse et de la laideur de sa situation, car repenser à sa vie d’avant ne faisait que déprimer plus encore.
    Un soupir lui échappa lorsqu’il repensa à son maître et amant, désormais loin de lui pour trois longues années, qui ne savait sûrement pas ce qui lui était arrivé, et qui ne le saurait probablement jamais s’il mourait ici.
    A la pensée qu’il puisse mourir et ne jamais revoir le visage de son bien-aimé, le jeune homme sentit son cœur se serrer d’angoisse. Le garçon qui lui apportait sa pitance était certes beau et séduisant, mais il était un rêve, une chimère, qui ne comptait pas. Jamais rien ni personne ne pourrait remplacer l’amour qu’il éprouvait pour Elizia. Quelque part au fond de lui, Florent savait que son amant l’aimait par-delà la distance. Oh oui, qu’il sentait leurs cœurs battre à l’unisson! Tous deux s’étaient promis un amour infaillible, et Florent comptait bien lui rendre la pareille. Jamais il ne pourrait l’oublier, ni le trahir. Jamais.


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  • 12.

     

    Chapitre 12|X]

    Pendant ce temps, l’étrange disparition d’Elizia ne fut bientôt plus l’élément phare des rumeurs qui alimentaient les bruits de couloir et les conversations de Friedrich, d’Olivia, de Célestina et de tous les autres élèves de l’école. Car d’autres élèves, comme lui, avaient disparus.
    Cela faisait bientôt plus de deux jours qu’Elizia n’avait donné signe de vie à ses amis, personne à l’école ne l’avait aperçu nulle part depuis son évanouissement un matin au petit-déjeuner, et ils s‘inquiétaient.
    Comme bon nombre des élèves récemment disparus avec lui, il n’était plus présent aux cours ni aux repas, et la porte de sa chambre restait invariablement fermée.
    Les professeurs, au moment de l’appel, égrenaient les noms de leurs voix monocordes, accomplissant cette tâche administrative d’un geste machinal et blasé, ne semblant jamais remarquer le nombre croissant d’absences, ni même celle, récurrente d’Elizia Von Waldorf.

    ***

    Il était debout, au milieu d’un champ de fleurs d’un rouge éclatant, presque sanglant. Un peu perdu, il tournait sur lui-même, cherchant le chemin qui le mènerait chez lui, auprès de son amant et de ses domestiques, mais il ne voyait rien, trop éblouit par l’éclat rougeoyant des roses.
    La tête lui tournait, et ce vertige lui donnait la nausée. Coordonné au parfum entêtant des fleurs qui l’entouraient, ce vertige devenait une chute. Une chute vertigineuse qui l’entrainait dans des profondeurs abyssales et si sombres qu’il ne distinguait pas son corps.
    Où étaient les roses? Comment en était-il venu à tomber dans un tel précipice de noirceur après cet accès de lumière flamboyante?
    Le visage de Florent, lui apparut, et il murmura son nom en tendant la main vers lui pour lui caresser la joue. Mais le mirage disparut aussi vite qu’il était apparu, et il s’écrasa au sol.
    Elizia se réveilla en sursaut, la poitrine haletante et le corps couvert de sueur. Il se redressa sur les coudes, encore ébranlé et choqué.
    Il se passa une main sur le visage. Quel était ce rêve? Son inconscient cherchait-il à lui transmettre un message? Perplexe, il fronça les sourcils. Il devait sûrement y avoir une explication, ce genre de songe était bien trop étrange pour qu’il ne signifie rien.
    Roulant nonchalamment sur le ventre, le jeune homme agrippa les rebords du matelas, et se hissa hors du lit avec précaution, entrainant les draps à sa suite pour couvrir sa nudité. Il grimaça de douleur dès qu’il se baissa pour ramasser un pan du tissu satiné, maudissant son violeur avec une ferveur effrayante pour qui ne le connaissait pas, et chercha ses vêtements du regard.
    Sa tunique autrefois si belle et soignée, gisait au sol, déchirée en deux par la poigne du Maître, et son caleçon de soie reposait non-loin du sofa où ronronnait Tessa.
    Tout entier absorbé dans ses propres problèmes, il en avait presque oublié l’existence de la panthère qui n’avait pas bougé de place depuis qu’il avait posé le pied dans cette maudite chambre.
    Il se sentit rougir à la pensée de ce qu’elle les avait vu, et entendus faire et s’empressa de changer de sujet de réflexion.
    Il prit soudain conscience de son odeur, et chercha du regard la salle de bain. Se nettoyer lui ferait le plus grand bien, et l’aiderais sûrement à chasser les idées noires qui lui embrouillaient l’esprit, histoire de réfléchir à sa situation plus clairement.
    Raflant son caleçon au passage, il parcouru la pièce à pas lents, actionnant la clenche de chaque porte pour voir ce qu’elles dissimulaient.
    Elles étaient toutes fermées à clé.
    Il arrivait à la cinquième, lorsque la voix somnolente de la Songeuse s’éleva, paresseuse mais ferme:
    - Non petit homme, tu ne dois pas ouvrir cette porte. La pièce que tu cherches se trouve près de la fenêtre au fond de la chambre, près du lit que tu viens de quitter a pas d’éléphants.
    Elle gloussa un moment de sa comparaison peu flatteuse.
    - Pardonne ma taquinerie, mais tu n’es pas un félin, donc tes pas sont….bruyants. Tous comme ceux de ton espèce, vous ne savez pas être silencieux, car même au plus fort de son règne, votre présence est comme le bruit d’un tremblement de terre. De vrais pachydermes!
    Hésitant entre le rire et la perplexité, Elizia choisit de céder aux deux, et sourit largement :
    - Jolie comparaison tout à fait véridique. En effet, j’ai fait beaucoup de bruit, car je te pensais profondément endormie et donc sourde, je ferais attention la prochaine fois.
    Elle renifla et grogna un assentiment.
    - J‘espère bien.
    Le jeune homme se détournait de la porte non verrouillée, lorsqu’une question inopinée le fit à presque rire.
    - Tessa, comment peux-tu savoir ce que je cherche? D’ailleurs, que cherchais-je?
    Le félin daigna ouvrir une paupière lourde de sommeil, pour poser une pupille ovale sur sa personne.
    - C’est un test?
    Elizia haussa les épaules, une lueur taquine au fond des yeux.
    - Je le sais car je te sens, et ce n’est pas fameux. Je sais d’expérience que les humains ont régulièrement besoin de ce qui s’appelle une douche, ou de faire leur toilette si tu préfères. Etant donné l’arôme déplaisant que tu dégages, je pense, par déduction logique, que c‘est précisément ce dont tu as besoin et que cela se trouve tout naturellement dans la salle de bain, et non derrière la porte qui se trouve près de toi.
    A mi-chemin entre le rire et l’ébahissement, Elizia s’inclina devant la panthère alanguie.
    - Je suis impressionné par tes facultés de déduction.
    Elle feula doucement, sa queue battant l’air d’un geste vif.
    - Cesse de biaiser, va, tu empestes.
    Elizia s’inclina une seconde fois, goguenard.
    - A vos ordres ma dame.
    Puis se dirigea rapidement vers la porte indiquée par la panthère, se demandant tout de même pourquoi toutes les autres portes de la chambre étaient verrouillées sauf celle qu’il ne devait pas ouvrir. D’ailleurs, que cachait-elle qui ne devait pas être découvert? Était-ce un secret qui menaçait le Maître? Une abomination reléguée dans une pièce quelconque afin d’être oubliée de tous?
    Non, se morigéna-t-il, si une quelconque invention inhumaine s’y trouvait pour y être oubliée, le Maître ne l’aurait pas placée dans sa chambre et encore moins derrière une porte non verrouillée!
    La tête pleine de nouvelles questions et de perspectives, il entra dans la salle de bain et retira le drap qui le couvrait.
    Un miroir, probablement une des multiples répliques de Sorrel, lui faisait face, reflétant dans la psyché une image qu’il n’aurait pas souhaité voir s’il avait pu l’éviter.
    Tout son corps était parsemé d’hématomes et de suçons, infâmes marques rougeâtres qui marbraient sa peau, témoins de la violence et de la passion dont son violeur avait fait preuve durant de l’acte de cette nuit d’épouvante.
    Ecœuré de voir dans quel état se trouvait son propre corps, Elizia serra les poings et tourna violemment les robinets de la douche, laissant souler sur lui une eau brûlante qui lui ébouillanta la peau, le délestant du même coup d’une douleur émotionnelle, bien vite remplacée par une douleur physique bien plus simple à gérer. Les maux du corps se résolvaient si facilement à l’instar de ceux de l’âme!
    Elizia ne parvenait pas à garder l’esprit neutre, à mettre de côté ses sentiments et ses ressentis afin de prendre de la distance sur sa situation et en avoir une meilleur vue d’ensemble. Il ne cessait de repenser à ce que ça vie, son quotidien auraient été, s’il avait tenu tête à sa mère et qu’il était resté au manoir, auprès de Florent et de ses domestiques.
    Son cœur battit plus vite.
    Il avait rêvé de lui cette nuit, et il avait eu l’impression pendant ce rêve, qu’il s’éloignait de lui, qu’il était en train de le perdre, qu‘ils étaient en train de se perdre.
    Un étrange malaise s’étendit en lui, le doute déployant ses tentacules jusqu’aux tréfonds de son âme torturée, injectant son venin dans les recoins les plus secrets de sa conscience : et s’il était arrivé quelque chose à son amant? Que personne ne souhaitait le lui dire? Non, on l’aurait informé de l’incident, ne serait-ce que par respect envers lui et par simple éthique.
    Mais alors pourquoi n’avait-il pas de nouvelles de lui? Les élèves de cette école étaient bien en droit de recevoir du courrier de leurs familles, alors pourquoi n’avait-il toujours rien reçu?
    Elizia cessa de se savonner, le corps tendu et l’esprit accaparé par la réflexion
    Ou alors….Florent l’avait déjà oublié.
    C’était fort probable, car libéré du joug de son maître, le jeune écuyer était désormais libre d’aller et venir à sa guise dans le manoir et sur les terres, d’aller conter fleurette aux jouvenceaux encore ignorants de l’amour et ainsi, de se livrer aux ébats de son choix!
    Et ce durant trois longues années… Loin du regard de son maître et amant, et donc à l’abri de tout soupçons….
    Suffoqué par l’horreur de cette pensée, Elizia secoua violemment la tête, tentant de ramener à la raison le peu d’esprit qu’il possédait encore.
    Non, il était indigne de lui de penser une telle chose du jeune homme, car malgré les doutes qui l’assaillaient, il savait, non, il sentait, que jamais Florent ne ferait une chose pareille….
    Alors, pourquoi cette absence de nouvelles?
    Rinçant ses membres couverts de savon, il referma les robinets et se sécha à l’aide de serviettes moelleuses, l’esprit et le souffle fébrile.
    S’il admettait l’hypothèse que Florent n’était pas à l’origine de cette pénurie postale, alors il n’avait que deux autres options.
    Soit sa mère interceptait les lettres avant qu’elles ne soient envoyées, soit c’était le Maître qui s’arrangeait pour que rien ne lui parvienne jamais.

    Sortant de l’atmosphère humide et enfumée de la salle de bain, Elizia s’avança dans la chambre, hésitant devant la conduite à tenir concernant sa tenue qui ne comportait en tout et pour tout que
    son caleçon de soie, sa tunique étant trop abîmée pour être portée. Il se sentait mal à l’aise uniquement vêtu de ce sous-vêtement qui le moulait comme une seconde peau, submergé qu’il était par l’impression de ne rien porter. Non pas qu’il ait honte de son corps, loin de là, mais se promener dans la chambre du Maître dans cette tenue, risquait de lui attirer les regards concupiscents de celui-ci, ainsi que ces humeurs libidineuses. Humeurs qu’Elizia exécrait!
    Ayant probablement sentit sa tension, Tessa grogna, la voix lourde de sommeil:
    - Couvre-toi avec un drap idiot, ce n’est pas un lieu pour s’exhiber!
    Embarrassé de ne pas y avoir pensé avant et de lui-même, le jeune homme saisit un drap sur le lit et le noua autours de son corps, un peu comme une toge dont le tissu était soyeux et chatoyant.
    Quelque peu rassuré sur sa passable convenance, Elizia s’allongea sur le lit, les bras croisés sous sa nuque et repris le fil de ses réflexions.
    - Tessa?
    Elle grogna.
    - Peux-tu me dire pourquoi je n’ai pas reçu de nouvelle de chez moi? Cela va faire deux semaines que je suis ici, et aucune lettre ne m’est parvenue, pourquoi?
    La bête garda le silence pendant un si long moment qu’Elizia cru qu’elle s’était rendormie.
    Il allait répéter sa question, mais elle l’interrompit brusquement.
    - Tu ne reçois pas de nouvelles de chez toi parce que personne n’en reçoit jamais. C’est une des règles de cette Académie, pas de nouvelles susceptibles de troubler les élèves et de les détourner de leur objectif. Jamais avant leur diplôme. Jamais de nouvelles de l’extérieur pendant les trois années d’étude.
    Ainsi, il avait eu tort sur toute la ligne, toutes ses suspicions et ses soupçons étaient infondés et n’étaient donc qu’élucubrations venimeuses dictées par son manque affectif?
    Elizia était sidéré.
    - Oh, et comment fait-on pour savoir si nos familles vont bien?
    Tessa, se redressa sur son arrière-train, ayant deviné que le baron allait lui poser toute une batterie de questions à laquelle elle serait obligée de répondre, et que par conséquent, dormir lui était exclu.
    Elle le fixa de ses pupilles rouges.
    - Vous ne pouvez pas.
    - Comment ça?
    - C’est simple. Vous êtes ici, et eux sont là-bas. Tout ce qui est en dehors de l’Académie n’a pas lieu d’être ici. Ce qui est dehors ne peut entrer, et ce qui est dedans ne peut sortir.
    - Mais…c’est impensable! Tu crois qu’il est possible pour des personnes dans notre situation de rester sans nouvelles de ceux qui nous sont chers pendant trois ans?
    Tessa continua de l’observer, impassible.
    - C’est ainsi, c’est le prix à payer pour ce que tu convoites, une place de choix parmi l’élite du pays.
    Elizia se demandait comment il était encore possible qu’il soit en vie, après une telle nouvelle, il lui était quasiment impossible de respirer.
    Donc, c’était définitif, l’un comme l’autre, jamais ils ne pourraient avoir de correspondance suivie.
    Il n’aurait aucune nouvelle de Florent pour le soutenir et l’encourager pendant ses années dans cette prison de luxure, tout comme il ne pourrait jamais lui signaler son amour et son besoin perpétuel de lui.
    Son besoin de son corps, de sa chaleur, de son sourire.

    ***

    - Tu es encore allé trop loin démon!
    Lilith, reine des Enfers et Grande Prêtresse des Ténèbres aux Charmes Insondables, se tenait majestueuse, surplombant son fils, le Prince des Limbes et le meilleur amis de celui-ci, un Incube de second rang.
    - Pardon Majesté, mais que me reprochez-vous exactement?
    Les narines de la reine frémirent et les flammes de l’Enfer crépitèrent au fond de ses pupilles ambrées.
    - Ce que je te reproche Incube? La liste est longue! Tu n’es qu’un trouble-fête qui joue les imprudents pour sa gloire personnelle et qui met le secret de notre existence en péril! Tu n’es qu’un minable inconscient de seconde zone qui espère encore, qui rêve à une gloire qui ne te viendra jamais.
    Le Maître serra les dents sous l’affront, résistant à l’envie furieuse de provoquer cette dernière dans un duel où il serait à coup sûr défait.
    Il siffla, mielleux et sournois:
    - Votre présence en ma demeure m’honore, de même que vos compliments sur ma personne qui sonnent tels une mélodie discordante à mes oreilles. Peut-être votre instrument est-il mal accordé? Permettez-moi de vous suggérer quelques notes justes qui égaieraient votre partition et qui vous rappelleraient le sens réel que toute notion de gloire prend en sortant de votre divine bouche. La gloire venant de vous, est dénuée de sens, car il est pour vous signe de passé et d’aigreur. Ne raconte-t-on pas à la Cour, que le roi a pris maîtresse?
    Une poigne assassine le propulsa contre le mur opposé, serrant son cou à l’étouffer, accentuant la pression à l’extrême, déterminée à lui briser les os.
    Certes, il n’avait pas peur de mourir, mais expirer entre les mains de cette harpie lui déplaisait fortement. Bien que commençant légèrement à s’asphyxier, il admira avec un plaisir sans bornes les corps et le visage de Lilith, qui tremblaient de rage, fier de voir sortir de ses gonds celle qui avait osé l’enchainer sur Terre.
    - Par le passé, je t’ai épargné démon, mais à présent, je ne vois pas de raison de te laisser vivre plus longtemps! Je vais te tuer encore et encore, puis te jeter aux flammes de l’Enfer pour te regarder te tordre de douleur jusqu’à la fin des temps!
    Le Maître aurait ri à gorge déployée si son souffle ne s’était pas retrouvé coincé dans la cage thoracique du corps humain qu’il occupait.
    Il grogna de mécontentement.
    Maudit soit le corps humain, trop petit et trop fragile pour quelqu’un de sa dimension!
    Voyant que son ami était sur le point d’étouffer, Belzébuth se jeta au sol, implorant la grâce de sa mère.
    Aussitôt, le regard et la voix de Lilith devinrent plus doux, plus tendres, plus maternels, c’étaient là des signes d’une mère adoratrice de son enfant, des signes d’une mère qui ne souhaitait qu’une seule chose, que sa progéniture revienne auprès d’elle.
    - Bel, que fais-tu encore ici? Pourquoi ne rentres-tu pas avec moi, retrouver ton père et tes frères qui te réclament?
    - Mère, je ne rentrerais pas, je vous l’ai déjà dit et je n’ai pas changé d’avis.
    Le Maître toussa un peu, et lança une pique:
    - Oh, mais je pense que tu devrais lui obéir pour une fois Belzé! Tu dois rentrer, histoire de montrer au Roi des Ténèbres que sa femelle ne lui sert pas à rien! Histoire de montrer qu’elle peut ramener son héritier et qu’il peut chasser sa maîtresse de sa couche! Allez vas-y! Sauve l’honneur de ta mère Héritier!
    Suite à cette diatribe, la rage de Lilith enfla jusqu’à devenir meurtrière, et un vent d’une violence inouïe secoua la pièce entière, si ce n’est le château sur ses fondations.
    - JE VAIS TE TUER DÉMON DE PACOTILLE, JE VAIS RÉDUIRE TON EXISTENCE DE VER DE TERRE A NÉANT ET ME REPAITRE DU SPECTACLE DE TA DÉCOMPOSITION!!!
    Au moment où le Maître sentait les os de son cou se détacher, le Conseiller posa une main crochue sur l’épaule écailleuse mais étrangement pâle de la reine, et lui chuchota d’une voix d’outre-tombe:
    - Nous ne sommes pas ici pour cela ma reine, votre mission n’est pas de punir, mais d’avertir. Sa Majesté le roi, m’a envoyé à vos côtés pour réguler votre colère qu’il savait prompt à se déchainer en la présence de cet incube. Ne lui désobéissez pas uniquement par contrariété, ce serait puéril de votre part Altesse.
    La colère dévastatrice de la reine retomba d’un seul coup, permettant aux murs de cesser de trembler et au Maître de recommencer à respirer normalement.
    - Ah! Méphistophélès, mon ami! Depuis quand ne nous sommes-nous pas vus? Mmmh, quelques millénaires? Tu n’as absolument pas changé, tu es toujours aussi mesuré et froid!
    Le concerné toisa l’incube avec répugnance.
    - Et toi démon, toujours aussi excentrique et vulgaire! Copuler avec des humains, c’est dans ta nature, soit! Mais les parquer dans ta prison sous ce genre de prétexte immonde, et te servir d’eux comme du bétail….Tu es une honte!
    Le Maître haussa les épaules, pas le moins du monde gêné par les propos dédaigneux du Conseiller.
    - Sans parler du fait que ta liaison avec cet humain est contre nature! Tu es un incube, par les Limbes! Si tu préfères les mâles, devient succube! Mais il n’est pas tolérable que pareille infamie perdure!
    Le Maître éclata de rire, sidéré par le sermon de ce vieux démon complètement dément.
    - Seriez-vous tombés sur la tête, Conseiller? Entendez-vous le discours moralisateur que vous me servez? Auriez-vous oublié les créatures que nous sommes? Par tous les diables de l’Enfer, nous sommes des démons! Des êtres malfaisants, dénués de sens moraux et logiques! Nous sommes des bêtes vicieuses, perverses et retorses! Nous n’avons pas de compassion envers notre prochain, et nous n’avons que faire des règles! Nous haïssons sans retenue et nous servons à l’envie! Nous possédons, saccageons, tuons, massacrons! Notre seul but est de posséder ce que Dieu nous refuse! Les humains et le Paradis! Alors cessez de me resservir ce ramassis de bontés indignes de vous et repartez d’où vous venez!
    Les yeux de la reine flamboyèrent, et sa voix était méconnaissable. Grave et rocailleuse, elle s’enroula autours de lui, tel le serpent autour de la cheville d’Eve dans le jardin d’Eden.
    - Nous sommes venus te prévenir démon. Ta conduite désinvolte menace notre monde, et déshonore ta caste déjà affaiblie. Certes, quelques humains soupçonnent notre existence, d’autres la nient, mais tu leur offre par tes lubies la possibilité de nous découvrir réellement, et cela ne peut être toléré!
    D’autant plus que tes agissements contre-nature avec l’humain nommé Von Waldorf bouleversent les règles et l’ordre établis. Il est vrai que notre nature démoniaque ne nous dote pas de ce que les humains appellent la moralité, mais nous savons qu’il nous faut à tout prix garder l’équilibre du monde tel qu’il est actuellement car notre survie en dépend. Mais tu le trouble.
    Lilith se tu, laissant planer une étrange atmosphère dans l’immense bureau du Maître, puis le Conseiller prit de nouveau la parole, le regard éteint et un sourire en coin étirant les lèvres de sa gueule pleine de crocs aiguisés.
    - Tu seras jugé en fonction de tes fautes, mais en attendant, tu as une chance d’éviter cette comparution devant le roi et sa Cour. Si d’ici trois lunes, tu n’es pas revenu à ta situation initiale, autrement dit à celle d’un prisonnier enfermé pour tentative d’usurpation du trône, plus aucune échappatoire ne te sera accordée et tu seras condamné à mort.
    Le Maître se raidit à cette annonce lugubre, et quelque part dans les profondeurs de la pièce, les Eléments s’agitèrent dans leurs cocons réparateurs, pressentant l‘imminence du danger.

     


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