• Partie 4.

     

    Toi, mon amour

     

    Des bruits assourdissants retentissaient les uns à la suite des autres autour de lui. Des grondements de bêtes et des piaillements incessants l’entouraient, si horribles et colériques qu’ils le faisant frissonner d’effroi. Que se passait-il donc?
    Un tel chaos régnait alentour, qu’il sentait son corps trembler malgré lui, sous les secousses provoquées par de terribles tremblements de terre, et des trombes d’eau, de feu, et de pierres mêlées qui s’abattaient près de lui sans toutefois le toucher. Apparemment, la nature environnante s’était déchainée, mais d’après les cris de douleur et les collisions qu‘il entendait, les ondulations de pouvoir et les attaques massives de magies bienfaisantes comme malfaisantes qu’il percevait, il y avait pire : non loin de lui, deux armées bien distinctes semblaient se livrer une bataille féroce dont la violence n’avait d’égale que leur esprit de vengeance qui envahissait l’atmosphère, occupant le moindre espace encore existant, et empuantissait l’air de sa présence.
    Un combat sanguinaire et bestial que rien ne semblait être en mesure d’interrompre sinon la mort de chacun des soldats.
    Comment en étaient-ils arrivés là?
    Toujours étendu sur son lit, Elizia aurait donné cher pour pouvoir ouvrir ne serait-ce qu’un œil. Car il n’avait pas peur à proprement parler, mais ne rien voir du carnage qui semblait se dérouler tout juste à ses pieds lui donnait des sueurs froides. Que se passait-il bon sang?
    Paélia et les autres se battaient-ils? Etaient-ils en difficulté? Gagnaient-ils ou perdaient-ils? Et plus important encore : où était donc Florent?
    S’il l’avait pu, le jeune homme en aurait crié de frustration!
    Peu de temps auparavant, Elizia se souvenait avoir entendu le Maître torturer ceux qui lui résistaient et leur promettre les pires souffrances. Puis un peu plus tard, il y avait eu quelques instants d’intense agitation provoquée par les arrivées successives de démons et de plusieurs autres personnes - dont l’identité échappait encore au jeune baron -, destinés à grossir les rangs du Maître et à amenuiser les chances de Paélia et de ses comparses de le vaincre. Durant ce glaçant laps de temps où seuls les actes et paroles perfides de l‘incube avaient monopolisé l‘attention de tous, le jeune homme avait perçu les pleurs et les gémissements de ses alliés blessés. Des bruits et des sons étouffés pour la plupart, qui n’avaient d’ailleurs troublé que partiellement le silence tout relatif de la Chambre, mais qui n’avaient absolument rien de commun avec les grondements qui lui assourdissaient actuellement les tympans! Aucun signe avant coureur n’avait indiqué qu’un tel déluge apocalyptique se préparait, et Elizia éprouvait toutes les difficultés du monde à rester calme.
    Il savait au fond de lui que son enfant le protégerait de toute attaque extérieure, quelle soit naturelle ou non. Mais c‘était plus fort que lui, il ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour les autres comme pour lui-même. D’autant plus qu’il était toujours involontairement aveugle, et qu’il ne savait absolument pas si Florent et ses compagnons étaient toujours en vie ou mortellement blessés, appelant à l‘aide.
    Florent…
    Immobile et les yeux clos, le jeune homme s’obligea à respirer lentement, s’interdisant d’imaginer le pire et de paniquer. Si son amant allait mal, il l’aurait senti. Or, aucune émotion alarmante ne lui indiquait ce malheur, c‘est donc qu‘il n‘était pas à l‘article de la mort comme son esprit torturé cherchait désespérément à lui faire croire. C’était là une arme bien maigre pour lutter contre l’angoisse qui menaçait sans arrêt de l‘assaillir, mais il n’avait pas le choix. Il devait y croire, s’en persuader à tout prix, ou alors il perdrait la raison. Et aucun d’entre eux n’avait besoin de ce genre de problème supplémentaire.
    Un avis qu’il ne sembla pas être le seul à partager, car comme pour manifester son approbation, l’enfant le gratifia d’un coup de pied vif et appuyé.
    Amusé, Elie caressa doucement l’esprit du bébé du bout du sien.
    Depuis qu’il avait été contraint et forcé de rester allongé sur ces draps, tout deux avaient eu tout le temps nécessaire pour trouver un moyen de se parler, ou tout du moins, de communiquer, en se transmettant leurs émotions par le psychique. Pareille expérience l’émouvait chaque fois qu’il la pratiquait, et il ne se lassait pas de la réitérer encore et encore, pour leur plus grand bonheur à tous les deux.
    Elizia s’abîmait dans les sensations que lui procuraient ce contact psychique, lorsqu’un retentissant « cours » fit frémir les tréfonds de sa conscience. N’était-ce pas là la voix de la Gardienne? A qui sommait-elle de fuir? Et pourquoi?
    Son cœur battant soudain à tout rompre, Elie entrevit le fol espoir qu’il puisse s’agir de son amour. Et alors qu’il se sentait sur le point d’étouffer sous l‘expectative, une main poisseuse d'une substance qu'il ne reconnut pas se posa sur la sienne et la saisit puissamment, tandis qu’un souffle haletant lui effleurait la joue, et qu’un murmure, porteur de la réponse qu‘il attendait si fort, résonnait à ses oreilles.
    - Mon aimé… Je suis là maintenant. Je vais prendre soin de toi.
    Il était en vie.
    Malgré la folie qui se déchainait sur le monde autour d’eux Florent était en vie! Que le Ciel soit loué!
    Bouleversé par l’émotion, Elizia sentit monter en lui, puis déborder sur ses pommettes et ses joues, des larmes de joie mêlées d’un amour et d’un soulagement infinis.
    Comme il était heureux! Comme son bonheur lui semblait complet à présent! Il aurait donné très cher à ce moment précis, pour pouvoir ouvrir les yeux, plonger son regard dans le sien et admirer les yeux magnifiques de son amant ne serait-ce qu’un instant!
    Mais rien de ce qu‘il désirait ne lui était permis, et il maudit alors le destin traitre qui l’empêchait de bouger et de se redresser pour serrer le blond dans ses bras.
    Par pur entêtement, il tenta tout de même un geste. Mais malgré tous ces efforts, rien ne se produisit. Et de nouvelles larmes, cette fois amères et chargées de frustration comme de colère pure, s’ajoutèrent aux premières qui se tarissaient déjà sur sa peau hâlée.
    « Pourquoi m’inflige-t-on pareil supplice? N’ai-je pas encore assez donné? Assez perdu? Ou bien s’agit-il là d’une épreuve destinée à éprouver davantage ma résistance? N’ai-je donc pas assez souffert pour que je doive encore soupirer après celui que j’aime, et qui, pourtant, est si proche de moi? C’en est assez! »
    Redoublant alors de détermination dans sa lutte contre les forces invisibles qui le statufiaient, le jeune homme s’obstina et recommença, encore et encore. Longtemps… Longuement…
    En vain.
    Sa bravade inutile n’eut d’ailleurs pour effet que de le rendre plus frissonnant et transpirant qu‘auparavant, ainsi que de laisser épuisé, essoufflé, et sans plus d’autre conscience de son corps que son cœur - qui martelait sa poitrine haletante à grands coups furieux, aussi rapides et cadencés que ceux d’un cheval lancé au triple galop. Son être physique était en piteux état, mais cela n’empêcha pas son esprit buté de continuer à réfléchir. Incapable de se résigner, Elie commença à lister les multiples moyens psychiques qu’il pourrait utiliser pour se libérer. Et alors qu’il s’apprêtait à les essayer, le souffle chaud de Florent balaya à nouveau son visage et s‘immobilisa juste au-dessus de l’arête de son nez, capturant toute son attention.
    -  Mon tendre amour, si seulement tu pouvais te réveiller… Juste ouvrir les yeux et me sourire…
    Le baiser qu’il déposa ensuite sur ses lèvres fut doux, amoureux et presque timide. Mais la réaction immédiate qu’il déclencha eut sur eux l’effet dévastateur d’un coup de tonnerre.
    Pris par surprise, Elie et Florent n’eurent pas le temps de réaliser ce qui était en train de se produire, car l’instant d’après, leurs cœurs et leurs corps furent transpercés par une flèche de magie pure. Acérée et glaciale, elle plongea au centre même de leurs êtres, établissant en eux une connexion presque matérielle et plus tangible encore que tout ce qu’ils avaient connu auparavant. Quelque chose, au fond d’eux, se déchira puis se renoua, et alors ils comprirent : l’enfant avait attendu que Florent touche Elizia pour venir au monde.
    Certain de ses sentiments passionnés, de son dévouement, et de son désir de les protéger Elizia et lui, le demi-démon avait choisit Florent pour être celui qui seconderait son Réceptacle dans l’avenir et qui l’élèverait comme son propre enfant. Par son toucher chargé d’espoir, le jeune homme avait permis qu’ils soient tous liés par une magie plus puissante encore que toutes celles qui faisaient rage autour d’eux : celle d’un amour aussi pur et durable que le plus indestructible des diamants.
     
    Toutes les pièces du puzzle étant désormais à leur juste place, l’enfant libéra son père de sa magie, lui permettant à nouveau d’ouvrir les yeux. Et sur un simple coup de son minuscule talon, il déchira de l’intérieur membrane et peau constellées de veinules violacées, abattant ainsi les derniers obstacles qui le retenaient encore, et repoussaient le temps de sa venue au monde.

    ***

    Grinçant des dents, Asmodée se jeta sur le côté afin d’éviter une attaque directe du géant sur sa personne.
    Cette satanée Gardienne l’avait prit par surprise, et il n’avait rien vu venir. Encore une fois!
    Comment cette garce avait-elle pu rendre cela possible? Il était omniscient!
    Quoi que…
    Un jet de magie blanche et mortelle le prit soudain pour cible, l’obligeant à faire un rouler-bouler pour ne pas finir en cendres. Ce mouvement le propulsa dans un coin de la Chambre, une opportunité de replis qu’il mit à profit. Il avait besoin de réfléchir.
    Accroupit dans le coin, Asmodée s’enfonça dans l’obscurité et se couvrit de ténèbres. Ses yeux étaient brûlants de colère et fureur, ses dents aiguisées saillaient hors de ses gencives, démangées par le désir de déchiqueter la chair de ses ennemis, ses poings griffus se contractaient douloureusement, criant du besoin de tuer, de massacrer. Sa rage n’avait pas de limite.
    Comment…
    Ses défenses avaient toujours été impénétrables. Sa connaissance des esprits n’avait pas de limites. Personne ne pouvait se cacher de lui, ni être à l’abri de son regard psychique. Son plan n’avait aucune faille…
    Et pourtant.
    Cette satanée entité de lumière avait réussit à le berner lui! Elle avait acquis la confiance de ses propres Pantins puis en avait pris le contrôle pour mieux les retourner contre lui…
    Sa guerre prenait une tournure détestable, mais il allait la reprendre en main.
    Les yeux fixés sur la bataille qui faisait rage devant lui, l’incube regarda les créatures de lumière combattre leurs ennemis de ténèbres et mourir aux côtés de la Bête - qui massacrait ses frères et décimait à elle seule des rangées entières de son armée de démons à grands coups de pattes, de crocs, et de jets de magie brûlante. Immense et laide, elle effectuait sa tâche avec une précision redoutable et une détermination sans faille. Son corps saignait et des membres lui manquaient, mais elle poursuivait, semant sans pitié des corps sur son chemin.
    Pareille abomination n‘aurait jamais dû pouvoir naître. Il avait manqué quelque chose.
    Lui.
    Refoulant encore un peu sa fureur et la magie qui l’accompagnait, l‘incube souffla de frustration. Il lui fallait d’abord se souvenir des derniers jours passés, et réfléchir à ce qu’il avait manqué avant d‘assouvir sa soif de sang. Il ne tolèrerait plus aucune erreur. Celle qu’il avait commise serait la dernière.
    Selon ses souvenirs, Elizia et Tessa étaient encore sous son emprise lorsqu’il avait commencé à assimiler le pouvoir des Eléments. Le premier ayant enfin endossé son rôle de Réceptacle tout en continuant à suivre les cours qu’il pensait être réels, et la seconde exécutant ses ordres en gardant un œil à la fois sur le jeune homme et sur Adonis.
    Puis Belzébuth s’était rebellé. Cet imbécile inutile.
    S’étant souvenu tout à coup de son statut de prince héritier, il s’était crut en droit de remettre son autorité en question, de le défier et, oh, de le menacer! Asmodée grinça des dents à ce souvenir.
    Puis il y avait eu ce jour - Asmodée en gardait un souvenir en demie teinte - au cours duquel, dévoré par la fièvre provoquée par l’ingestion des pouvoirs élémentaires, il avait été surpris par l’arrivée inopinée d’Elizia, qui était venu le voir sans avoir été convoqué, et lui avait révélé son nom et sa véritable apparence. Oui, c’est là que tout avait commencé.
    Rien que le fait que l’humain soit venu de son plein gré aurait dû lui mettre la puce à l’oreille! Mais trop affaibli par son état, et voulant croire que son Réceptacle s’était enfin résigné à son sort - il avait su se montrer persuasif -, l’incube, tout à son arrogant orgueil, l’avait crut et était tombé tout droit dans le piège. Un piège qu’à sa plus grande honte, il avait été incapable de déceler.
    Par la suite, Elizia était devenu plus que distant et Tessa s’était montrée de moins en moins à l’aise en la présence de son Maître. Son aura ayant été en pleine transformation à cette période, Asmodée avait mis sa nervosité inhabituelle sur le compte de ces modifications perturbantes, mais il s’était trompé. Tous s’étaient joués de lui au moment même où la fièvre avait commencé à lui dévorer l’esprit et le corps, étouffant chacune de ses aptitudes à lire dans les âmes, et permettant ainsi à leurs intentions et leurs pensées de lui filer entre les doigts…
    Voilà quelle avait été sa faille, son erreur.
    S’il avait eu toutes ses facultés à cet instant, il aurait pris soin de vérifier leurs pensées, et il aurait constaté la fourberie. Mais son état maladif l’en avait empêché, et Elizia avait exploité la seule faiblesse qui s’était présenté à son avantage.
    « Par l’enfer! Comment l’avait-il su? »
    Fébrile, son regard erra sur les reliefs de la pièce qui n‘était que ruines et poussières, et tomba sur la seule silhouette dont il ne supportait pas la vue. Et il comprit.
    Paélia.
    La source de ce savoir ne pouvait provenir que d’elle. Il comptait bien lui faire regretter son acte. Laissant échapper un grondement bestial Asmodée fixa son regard sur la stature immense de la Bête. Ivre de colère, il psalmodia envers elle, des malédictions qui promettaient mille morts et autant de tortures toutes plus imaginatives et redoutables les unes que les autres. Il se jura de faire payer l’esprit protecteur de la tailler en pièces, de la réduire en cendres, et de vouer son âme aux feux de l’enfer qui la dévoreraient pour l’éternité, tandis qu’il la regarderai brûler tout en se délectant de sa souffrance éternelle.
    Un sort qu’il se ferait une joie délectable de mettre en place, une fois qu’il aurait définitivement éliminé l’humain qui tentait de protéger Elizia des débris tombant du plafond. Depuis le temps qu’Asmodée connaissait l’existence de cet homme, il avait tout fait pour l‘évincer de la vie de son Réceptacle. Mais le voir de nouveau à ses côtés, malgré tout ce qu’il avait fait pour l’en empêcher, fit monter sa rage d’un cran.   
    Son corps tremblant de fureur contenu s’avançait hors de son manteau d’ombres lorsque des pensées étrangères et belliqueuses surgirent toutes en même temps dans son esprit et l‘obligèrent à s‘immobiliser de nouveau tant elles étaient fortes.
    « Frère! Où te caches-tu lâche! »
    « Rejoint le combat où nous te tuerons également… Nous avons eut tord de t’écouter, de te faire confiance… TU VAS LE REGRETTER! »
    « Tu nous as trahis…! »
    « Comment oses-tu nous réunir ici puis nous livrer à l’ennemi! Tu nous le paieras! »
    « Viens goûter au fer de mon épée! Je te traverserai de part en part pour ta trahison! »
    Ses frères l’insultaient et le jugeaient ans avoir aucune idée de ce qui se passait. Une injustice qui ajouta du bois au feu de sa colère déjà immense.
    «  Mes frères, je ne suis ni lâche ni traitre. J’ai pris le temps de savoir ce qui a mené jusqu’à cette guerre, et dorénavant je connais les points faibles. Abattez le plus d’ennemis blancs possible et envoyez nos serviteurs noirs aux pieds de la Bête pour la distraire. Moi je m’occuperai du reste. »
    Les ordres donnés, Asmodée n’attendit pas de savoir si ses frères allaient lui obéir ou le chercher pour l‘abattre. Comme il les savait plus opportunistes que vengeurs, dans quelques minutes, ils verraient où était leur intérêt.
    Dissolvant son ombre dans la lumière d’un feu et abandonnant même le sol ce qui restait de son enveloppe humaine, l’incube fit craquer ses articulations et s’avança vivement dans la lumière des feux qui incendiaient la pièce.
    Le corps irradiant de puissance, il darda sa queue épineuse et fit scintiller ses crocs de venin tandis que ses griffes s’armaient, prêtes à passer à l’attaque, impatientes de déchirer et de déchiqueter.
    Jetant un coup d’œil reptilien sur le côté, l’incube constata que ses frères obéissaient à ses ordres, et son sourire se fit alors plus carnassier encore. Dressé de toute la hauteur de ses quatre mètres, il tendit une main griffue et formula un sort qu’il lança en direction de l’humain blond. La boule de feu atteignait sa cible, lorsqu’un jet de magie pure et blanche la fit dévier, mais hélas, avec un cran de retard. La boule coupée en deux, vit sa première moitié disparaitre en fumée, tandis que la seconde explosait au visage de Florent, lui blessant cruellement les deux yeux.
    Rugissant de fureur et de frustration, Asmodée fit volte-face et braqua son regard sur la Bête, désormais entièrement concentrée sur lui, et chargea.
    Durant sa course, tous deux échangèrent des jets de magie tantôt verte, tantôt blanche. Certains atteignirent leurs cibles, d’autres causèrent plus de dégâts alentours ou parmi leurs alliés. Mais lorsqu’ils se heurtèrent de plein fouet, la Bête était déjà entravée dans ses mouvements par Mammon et le Léviathan qui faisaient tout pour la déstabiliser. Profitant de sa gêne, Asmodée lui asséna coups de griffes et morsures, alternant les jets de magie pure et les sortilèges élaborés pour lui causer le plus de dommages irréversibles possibles. Puis très vite, ses frères se joignirent à lui, ce qui leur permit de prendre peu à peu le dessus. Usant d’épées et de sorts, de venins et de tentacules empoisonnés, de coups de queues et de pattes aux extrémités acérées, leurs attaques conjointes finirent par avoir raison de l’endurance puis des sorts de protection de la Bête. Ils œuvrèrent tant et si bien contre elle, qu’une lame tranchante et retorse parvint à lui transpercer la poitrine de part en part, l’affaiblissant tant qu’elle finit par tomber à genoux, la tête tombant sur le torse.

    Cette reddition signalant la fin de la bataille, Asmodée et ses frères s’autorisèrent un sourire victorieux.
    Toujours à genoux et à bout de souffle, la Bête croulait sous le poids de la fatigue et de ses blessures trop nombreuses pour être comptées, l’armée de lumière avait été décimée par les Entia Tenebris, dont il ne restaient que quelques créatures agonisantes, et les démons, bien qu’ils aient aussi essuyé de lourdes pertes, respiraient toujours, avaient tous leurs membres et étaient en surnombre. Blessés, mais tenant encore sur leurs jambes, le Péchés s’avancèrent vers la Bête en formant un cercle, Asmodée à sa tête.
    - Rend-toi Gardienne.
    Sa voix était caverneuse, résonnant en échos menaçants dans l’espace, telle le grondement d’un roulis de pierres en pleine montagne.
    - Supplie-nous. Demande-nous grâce. Rien ne garantit que nous te l’accorderons, mais soumets-toi à nous, demande-nous de te prendre comme esclave, ou nous nous chargerons chacun notre tour de te faire regretter d’être née! Gardienne!
    Il cracha ce dernier mot comme une insulte. Et devant le silence de la Bête, Asmodée darda la langue d’un air dédaigneux, avant d’activer au creux de sa main, une boule de magie des plus meurtrières.
    - Alors tu as fait ton choix. Meurs!

    L’incube levait la main d’un geste leste pour lancer la boule vers le cœur de la Bête lorsqu’un cri déchirant retentit dans la pièce,  immédiatement suivit par un long craquement sonore, puis par une explosion de lumière blanche, si puissante, qu’elle libéra une onde de choc et renversa tout ce qui ce trouvait sur son chemin. Sa pureté était telle qu’elle mit feu à la peau des démons et obligea les Péchés à se couvrir les yeux pour ne pas qu’ils se mettent à brûler comme leur épiderme.
    De longues secondes s’écoulèrent avant que la lumière ne commence à se résorber, mais une fois qu‘elle eut disparut et que l‘obscurité eut repris ses droits, une vision des plus étranges leur fit écarquiller les yeux.
    Un bébé, nu et en plein éveil se tenait en position fœtale sur le ventre intact, dénué de veinures ou de craquelures d’Elizia. Les cheveux blancs, et le regard violet, ce petit être pourtant innocent exsudait une puissance et une ancienneté d’âme séculaires, encore jamais vues chez un nouveau né. Pareille sagesse  - aussi effrayante que phénoménale -, n‘était pas humaine.
    Emergeant de sa torpeur, l’incube s’ébroua et tituba jusqu’au lit où se trouvait son héritier.
    - Mon fils… Si beau, si parfait… Donne-le moi… DONNE-LE MOI!
    Egalement nu, haletant et transpirant, Elizia prit l’enfant dans ses bras et se redressa en position assise. Durant un instant, ses yeux papillonnèrent pour s’adapter à la lumière chiche que les flammes qui crépitaient toujours autour d‘eux diffusaient…et une pensée fugitive le traversa tandis qu’il regardait l’incube se précipiter vers lui.
    « Je n‘arrive pas à croire que j’ai pu le désirer la première fois que je l’ai vu »
    Dégoûté, il déplia le poing où se trouvait un morceau de papier froissé et murmura :
    - Je t’avais dit qu’un jour je te tuerais, espèce de monstre. Maintenant tu vas payer pour toutes nos souffrances!
    Un sourire carnassier fleurit alors sur les lèvres d’Elizia. Sa gorge était sèche et parler lui était douloureux, mais il sa détermination était plus forte. D’une voix rauque où perçait la jubilation et la victoire, il s’écria, triomphant :
    - Paélia! Ceci est pour toi! Notre ennemi se nomme Asmodée!
    - NOOOOOOOON!
    Les yeux écarquillés, l’incube s’élançait vers le lit à toute allure, hurlant des ordres à tue-tête, des boules de magie meurtrière dans chaque main :
    - Empêchez-là de parler vous autres! Bâillonnez-lui la bouche!
    Mais c’était trop tard.
    En un instant, Paélia se dissocia de ses alliés, mettant ainsi fin à l’existence de la Bête, et repris sa véritable apparence. S’élevant dans les airs tel un esprit vengeur, elle étira ses bras diaphanes et tempêta de sa voix cristalline :
    - ASMODEE! PAR LE POUVOIR DE TON NOM JE T’INVOQUE ET TE POSSEDE! PAR LE POUVOIR DE TON NOM, JE POSSEDE LE LIEN QUI TE LIE A TES FRERES! SOYEZ REDUITS A MOINS QUE POUSSIERE ET QUE L’EXILE DANS LE NEANT SOIT VOTRE PENITENCE POUR LES SIECLES DES SIECLES! QUE VOS NOMS SOIENT OUBLIES ET AINSI VOS EXISTANCES, EFFACEES! DISPARAISSEZ!
    Puis comme un claquement de fouet, l’ordre prit effet immédiatement.

    Ainsi prononcés par une entité du Bien, leurs noms révélèrent leur véritable essence et se retournèrent contre leurs propriétaires. Le Mal ne pouvant être invoqué par le Bien sans en subir une profonde modification au niveau originel, les Péchés ne purent demeurer ce qu’ils étaient et se muèrent en Vertus. Progressivement, Avarice, Convoitise, Colère, Orgueil, Gourmandise, Paresse, et Luxure devinrent respectivement Charité, Générosité, Humilité, Modestie, Tempérance, Courage et Chasteté.
    Déformé par la douleur causée par le sortilège et par l’essence des Eléments qui s’extrayait brutalement de son organisme, l’incube hurla et jura jusqu’à ce que sa voix se brise.
    - SOYEZ MAUDITS! SUR MON NOM, JE JURE DE REVENIR, ET DE VOUS POURSUIVRE DE MA VENGEANCE JUSQU’AUX TREFONDS DE L’ENFER!
    Les échos de leurs cris retentirent longtemps parmi les décombres de la Chambre Bleue après  que leurs enveloppes charnelles aient pris feu, et soient devenues cendres puis néant.

    Le silence s’installait enfin de nouveau dans les décombres enflammées de la Chambre, lorsque quatre âmes purifiées, vestiges des Eléments que l‘incube avait maintenu en son pouvoir, se manifestèrent sous la forme de corps vaguement humanoïdes. Silencieuses et lunaires, les silhouettes semblèrent s’attarder un instant, comme pour leur transmettre un dernier adieu. Puis s’élevant doucement vers les nuées, elles s’unirent d’un mouvement gracieux et disparurent dans une pluie d’étoiles.

    ***

    D’un geste las de la main, Paélia renvoya par des portails, Mammon, le Léviathan, et ce qui restait de l’armée des ténèbres aux Enfers. Puis elle redonna un aspect convenable au château, avant de se pencher sur les blessés pour aider à les soigner. Sauf qu’elle se rendit bientôt compte qu’il n’y avait pas grand-chose qu’elle puisse faire tant les dégâts étaient grands.
    Le coup d’épée qu’elle avait reçu en plein cœur sous sa forme de Bête, ne lui avait pas été fatal - son corps n’étant pas matériel dans ce monde -, mais ce n’était malheureusement pas le cas de tous ses alliés.
    Mortellement blessée, Alouqua gisait, inanimée sur le sol de la Chambre.
    Ce qui l’avait tuée n’étaient pas les coupures ou les lacérations qui meurtrissaient sa peau et défiguraient son visage à de multiples endroits, mais la plaie béante et suintante qui perçait le centre de sa poitrine et qui laissait couler un intarissable flot de sang. Si Paélia l’avait prise en charge plus tôt, la démone aurait eut plus de chance de s’en sortir. Mais hélas, son pouls ne battait plus depuis longtemps, et ressusciter les morts n’était pas en son pouvoir.
    Prostré aux côtés  de sa femme et blessé au flanc droit, Belzébuth la tenait dans ses bras en pleurant à chaudes larmes. Son grand corps écailleux parcouru de tremblements et de sanglots, tressautait par intermittences, courbé sous le poids du chagrin.
    - Elle… Elle était toute ma vie… Ô ma si douce…Jamais plus je ne retrouverais une démone pareille… Ma si belle Alouqua… Ma si belle…
    Son cri de désespoir fut si déchirant, qu’il ébranla les murs du château nouvellement dressés. Le cœur brisé et la patte trainante, Lilith, qui avait perdu un œil dans la bataille, entoura son fils et sa bru défunte de ses bras pour pleurer avec lui.
    La scène, émouvante et cruelle, nécessitait une certaine intimité que Paélia et Elie s’empressèrent de fournir. Les larmes aux yeux, ils se détournèrent donc pour cesser de les regarder.
    Plus loin, dans la pièce, Tessa elle aussi pleurait un être cher.
    - Un jet de magie à faillit m’atteindre lorsque vous avez défait le sortilège qui maintenait la Bête. Il s’est jeté sur moi pour me protéger, et le sort l’a atteint à ma place… Quel idiot… Je lui avait pourtant dit de ne pas…
    Sa voix se brisa. La tête posée sur le visage d’un Adonis blême et sans vie, elle laissait glisser des larmes cristallines sur la peau craquelée de son ancien compagnon qui n’était désormais plus qu’une enveloppe vide. Sans la magie de leur créateur, les Pantins ne pouvaient pas espérer garder leur apparence dans cette réalité, ni même continuer à y vivre. D’ailleurs, Tessa elle-même commençait doucement à disparaitre.
    Elizia, quant à lui, tentait tant bien que mal de soigner les blessures de Florent tout en surveillant d’un œil son fils qui somnolait entre les draps, occupé à suçoter ses petites lèvres en orme de bouton de rose.
    Le sort qu’Asmodée lui avait lancé et que Paélia avait fait ricocher ne l’avait pas tué - Dieu soit loué! -, mais l’avait tout de même atteint aux yeux. Le jeune baron ne savait pas si les dégâts étaient graves ou irréversibles, mais il était reconnaissant. Son amour était blessé, mais surtout en vie.
    - Mes amis.
    La voix était emprunte de fatigue et de chagrin, mais aussi douce que la caresse d’une plume. Et c’est cette douceur qui aida les endeuillés à lever la tête de leurs aimés perdus pour l’écouter.
    - Nous avons gagné la guerre, nous sommes victorieux. Mais nous sommes aussi perdants car des êtres chers nous ont été enlevés. Mon temps parmi vous est bientôt écoulé. Le Mondrose étant détruit, par conséquent, je me dois de retourner d’où je viens. Mais avant de vous quitter, je compte effacer ce qui c’est produit ici de la mémoire des humains innocents qui ont été enlevés. En outre le fait que je compte pleurer les disparus pour l‘éternité, c‘est le moins que je puisse faire pour les aider maintenant, puisque je n’ai pas pu être là pour les protéger avant leur massacre. Je peux faire ce même cadeau à ceux, qui parmi vous, le désirent.
    L’air triste, elle consulta chacun du regard, mais tous refusèrent d’un signe de tête accablé et elle comprit aisément pourquoi.
    Belzébuth voulait conserver le souvenir de son épouse défunte. Ainsi, il n’oublierai jamais ce que lui avait coûté la duperie de l’un de ses sujets à qui il avait donné son amitié et son affection, et l’empêcherait de refaire la même erreur.
    Lilith préférait se souvenir de ces instants alliés avec son fils. Il y avait si longtemps qu’ils n’avaient été si proches!
    Tessa, désirait chérir et garder en mémoire les moments partagés avec son frère de création. Personne d’autre que lui - même pas Sorrel - n’avait pu comprendre à quel point leur vie de servitude était pesante. Durant toute leur existence, ils s’étaient soutenus l’un l’autre, et il était hors de question qu’elle efface des siècles de vie commune à cause d’un seul souvenir malheureux. La douleur finirait par s’estomper un jour, mais les bonnes choses du passé continueraient à réchauffer son cœur jusqu’à la fin de ses jours, et ça, ça n’avait pas de prix.
    Elizia quant à lui, refusait son offre car les derniers mois passés faisaient désormais partie de celui qu‘il était devenu. Sa vie toute entière en avait été transformée. Florent, cet enfant, et même son propre corps. Rien ne serait plus jamais pareil. Son amant et lui avaient vécu des tribulations, mais ils les avaient affrontées ensemble, ils avaient montré un front uni et cela avait renforcé leur amour mieux qu’aucune autre épreuve n’aurait su le faire, leur apportant en prime, un cadeau qu’ils n’auraient jamais pu espérer avoir : un enfant de leur sang.
    - Paélia, merci mais nous refusons. Ton offre est généreuse, mais nous tenons à nous souvenir de ce que nous avons vécu, de qui nous sommes devenus, de ce que nous sommes capables de faire et de ce qu’on nous a pris. Tout cela nous a façonné et fait désormais partie de nous. Chacun d’entre nous fait partie de l’autre dorénavant. Nous formons un tout, et je ne tiens pas à en supprimer le moindre morceau.
    Tous acquiescèrent d’un geste imperceptible et la Gardienne s’abstint d’insister.

    Quelques heures plus tard, Belzébuth et sa mère finirent par ouvrir un portail donnant sur leur antre. Sur un dernier adieu, la Reine et son fils s’engouffrèrent en rapatriant Alouqua à leur suite, de grosses larmes inondant toujours leurs joues.
    Tessa quant à elle, s’arracha difficilement à la dépouille de son défunt compagnon de vie. D’un coup de patte, elle réduisit la carcasse en poussière, puis fit volte-face, fixant sur Elizia son regard d’un rouge rubis flamboyant.
    - Petit homme… Florent et toi allez-vous bien?
    A demi surpris qu’elle pense à s’adresser à lui à un moment pareil, le jeune homme mit un certain temps à répondre.
    - Je pense que oui Tessa. Je te retourne la question : vas-tu bien?
    Elle émit un son de gorge à mi-chemin entre le grondement et le miaulement.
    - Je pleure la perte d’un être cher, et je te jalouse d’avoir échappé à ce sort. Prend soin de cette chance petit homme. Ne te sens pas permis de la négliger ou de la prendre pour acquise, ou je reviendrai te rappeler à quel point c’est inexact.
    Elizia aurait facilement pu s’offusquer de la menace, mais il comprenait sa peine. La Songeuse souffrait et l’injustice la rendait simplement folle de rage. Il estimait donc normal qu’elle se venge sur lui qui ne souffrait pas autant qu’elle.
    - C’est bien compris, je la chérirais. Tu as ma parole.
    - Bien. Alors adieu.
    - Adieu mon amie.
    Et sur ces dernières paroles, Tessalimarya Dael’Bassem et Songeuse de rêves, s’en fut rejoindre le monde des chimères, la tête haute.

    Après que Paélia a effacé puis remplacé les derniers évènements des mémoires des humains survivants, les ai renvoyé chez eux, et ait enseveli la prison et ses portails démoniaques plusieurs kilomètres sous la mer déchainée, elle s’occupa de soigner Florent au mieux puis de le ramener, ainsi qu’Elizia, chez eux, sur la terre des Von Waldorf.
    - Elizia, Florent, ma tâche est terminée. Vous avez été vaillants et courageux. Il m’est arrivée de vous juger durement, mais vous avez toujours eut à cœur de me prouver que vous étiez bons. Il se trouve parfois que j’ai tord.
    Enlacés, les deux jeunes hommes se serraient l’un contre l’autre pour tenir leur enfant au chaud. Ils portaient des vêtements épais, mais le vent du nord dans cette région avait toujours été frigorifique et vicieux.
    - C’est surtout grâce à toi que nous avons réussi. Sans tes pouvoirs et ton savoir nous n’aurions jamais pu réussir à arrêter ce démon ni à nous en libérer. Alors merci.
    Le vent la traversant sans lui faire aucun effet, Paélia se sentit malgré elle, touchée par la déclaration d’Elizia. Ne sachant trop comment les quitter, elle posa les yeux sur le petit enfant qui la scrutait de son regard intelligent, tout emmailloté dans ses couvertures.
    - Lui as-tu donné un nom?
    Elizia jeta un regard tendre à son fils.
    - Je comptais l’appeler Zéphir.
    Songeuse, elle hocha la tête.
    - C’est un nom puissant. Tout comme les pouvoirs qui se révèleront dans quelques années.
    Sur son bras, Elie sentit se resserrer les doigts de Florent.
    - N’y a-t-il pas un moyen de faire en sorte que cela ne se fasse pas?
    La Gardienne fronça les sourcils.
    - Tu souhaites lui retirer ses pouvoirs?
    - Pour son propre bien, oui. La nature de Zéphir est à moitié démoniaque. Qui sait ce dont il pourrait être capable en grandissant? Elie et moi ne seront pas de taille à l’élever si nous lui laissons ces capacités inconnues. Nous ne sommes que des humains, et nous serons incapables de lui enseigner comment s’en servir! De plus, nous vivons dans un monde sans magie, comment ferions-nous pour le cacher? Les gens ne comprendraient pas ce qu’il est, ce que nous avons vécu. Ils nous prendraient pour des fous, ou pour des adeptes de la magie noire, et nous serions obligés de le brimer, de l’empêcher de se servir de ses dons. Il finirait par nous détester, pire même, par se détester lui-même. Alors oui, Paélia, je veux que vous supprimiez ses pouvoirs. Il ne mérite pas un tel fardeau.
    Pensive, la Gardienne resta silencieuse quelques minutes. Puis avec un grand soupir, elle acquiesça.
    - Très bien. Tes arguments sont valables. Donnez-moi l’enfant.
    Dans ses bras de déesse, le petit paquet qu’était Zéphir sembla encore plus minuscule. Etant placé contre un corps étranger, Elie craignit un instant que l’enfant ne se mette à pleurer, mais heureusement le petit resta silencieux.
    Psalmodiant des paroles anciennes, Paélia passa une grande main brillante sur le front, les joues, les tempes et le coeur du petit garçon. Attiré par sa lumière, celui-ci s’agita, tendant les mains pour essayer d’attraper ce qui luisait autant. Tant d’avidité fit sourire ses pères.
    Quelques secondes s’écoulèrent encore, puis l’entité de lumière leur rendit l’enfant.
    - Voilà. Zéphir est désormais humain, du moins sur le plan strictement physique. Je ne garantit rien concernant ses futurs aspirations ou traits de caractère. Il pourrait tout aussi bien tenir de l’humain que du démon pour ces choses-là.
    Florent borda le nourrisson avec un sourire.
    - Le temps nous le dira. Merci encore Grande Gardienne.
    Elle inclina élégamment la tête, et entama sa lente ascension vers le Ciel.
    - Je vous offre un dernier présent. Florent, je n’ai pu te rendre la vue car ce sortilège démoniaque empêche mes pouvoirs d’agir. Mais je t’accorde le don de double vue, ainsi pourras-tu toujours voir l’aura de ton enfant, ainsi que les dangers qui le guettent. Sert-en à bon escient, c’est un don aussi dangereux que bienfaisant. Soyez toujours unis durant l’épreuve, car il se peut qu’un jour, je vienne vérifier que vous l’avez été. Adieu petits hommes. Adieu…
    Et dans un éclair de lumière, elle disparut de leur vue.


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     Epilogue...

    [X]

    Dix-huit ans plus tard.

    La musique et les conversations battaient leur plein.
    Éparpillés par petits groupes dans le grand salon et la salle de réception, les convives s’entretenaient et riaient les uns avec les autres, des coupes de champagne ou des petits fours à la main.
    Nombreux étaient les membres de la haute société qui n’auraient manqué cet évènement sous aucun prétexte! Les réceptions mondaines organisées par Célestina Lagarde et Olivia Davantis faisaient fureur, et ce depuis de longues années, car pour une raison obscure, il s’y passait toujours un évènement intéressant ou extraordinaire, et les absents s’en mordaient toujours les doigts.

    Adossés au mur d’un couloir donnant sur le grand salon, Elizia et Florent se tenaient à l’écart du brouhaha enfumé par les cigares des messieurs et alourdit par les parfums des dames. Ils n’avaient aucune envie de se joindre à leurs conversations rébarbatives. Ce soir, c’était leur anniversaire, et une seule envie les gouvernait : rentrer chez eux pour se retrouver en tête-à-tête sous les draps.
    Un désir qu’ils n’auraient malheureusement la possibilité d’assouvir que dans trois bonnes heures. La réception ne prenant fin qu’à minuit, ils peineraient énormément leurs amies s’il prenaient la décision de s’éclipser avant l’heure dite.
    Avalant une gorgée de champagne, Elie caressa d’un regard affectueux la silhouette énergique de Célestina en pleine conversation avec Sir Turnbride, et qui appuyait ses propos avec de grands gestes désordonnés, sans toutefois se rendre compte du regard énamouré que son interlocuteur posait sur sa personne. Il eut un petit rire.
    - Regarde comme il soupire après elle, ce grand dadais! C’est un homme agréable, mais il ne se rend pas compte à quel point elle n’est pas faite pour lui. Celly est bien trop…
    Florent eut un petit sourire espiègle.
    - Vive?
    - Parfaitement! Selon moi, je pense qu’Olly lui conviendrait mieux. Son caractère est beaucoup plus serein et accommodant que celui de notre tornade brune! Mais manifestement, ce pauvre homme n’a aucune conscience concrète de ce dont il a besoin.
    Florent gloussa.
    - Et toi, manifestement, oui.
    - C’est évident.
    Devant eux, une bande d’enfants rieurs passa en courant, des bâtons à la mains, et l’un d’entre eux ouvrant la marche en agitant une veste rouge, tel un révolutionnaire guidant les foules. Amusé, le couple les suivit du regard pendant quelques secondes.
    - Tu te souviens du temps où Zéphir avait leur âge?
    - Mmh, oui. Un adorable fripon. Trop turbulent et insolant pour son propre bien, mais adorable tout de même.
    - Il sait de qui tenir mon amour.
    - Mmmmh… Peux-tu me rappeler pourquoi nous sommes là, à attendre que l’heure passe, au lieu d’être chez nous, dans notre lit à nous embrasser furieusement?
    Florent sourit largement.
    - Et bien, parce que mon ange, ce soir, c’est notre anniversaire, mais aussi celui de notre fils, et que les filles se sont démenées pour lui organiser cette soirée. Il célèbre sa majorité pleinement méritée, et nous serions de bien indignes parents si nous nous en allions avant même qu’il ait soufflé ses bougies et ouvert ses cadeaux.
    La mine boudeuse, Elizia trempa à nouveau ses lèvres dans son verre et bougonna :
    - Oui, mais c’est aussi notre jour et personne n’organise de fête pour nous!
    - Tu sais très bien ce que pense la société de notre mode de vie. Si elle nous tolère, c’est avant tout parce qu’Olivia et Célestina ne lui laisse pas le choix. Nous sommes leurs amis et elles le font savoir à qui tente de l’ignorer. Nous leur devons beaucoup.
    - Oui, j’en ai conscience.

    Après que Paélia les ait ramenés chez eux dix-huit ans auparavant, les deux jeunes hommes avaient dû partir de rien et tout reconstruire. Le manoir et les terres ayant brûlés, le couple avec enfant ne possédait que les vêtements qu’ils avaient sur le dos.
    C’était la fortune, sous la forme de Miss Davantis et de Miss Lagarde, qui leur avait permis de s’en sortir.
    Aux questions qu’on leur avait posées, ils avaient toujours répondu en racontant l’histoire officielle : un élève pyromane avait mis le feu à l’école où ils avaient été en pension, et isolés du reste du monde, ils avaient dû tout abandonner et se débrouiller par eux-mêmes pour rentrer chez eux - une version, que bien évidemment, les deux jeunes hommes ne croyaient pas, puisqu’ils étaient les seuls à connaitre la véritable histoire, mais qu’ils n’avaient pas démentie, préférant garder secrète cette épopée qui les aurait fait passer pour des fous.
    Faisant partie des rares rescapés de l’hécatombe du Mondrose, les deux jeunes femmes, saines et sauves, et dotées d’une mémoire fraichement modifiée, avaient retrouvé leurs familles et les avaient convaincues de recueillir le jeune couple. La Gardienne, leur ayant heureusement laissée en tête leurs amitié pour les deux hommes, c’est ainsi qu’ils avaient pu trouver un toit et une famille de substitution, malgré l’étonnement qu’avait causé la présence de Zéphir, dont ils prétendaient ignorer les origines, l’ayant soit disant trouvé au bord de la route durant leur fuite.
    De nombreuses années leur avaient été nécessaires pour retrouver une situation financière correcte. Il leur en avait fallut quelques une de plus encore pour s’enrichir et acquérir la somme d’argent nécessaire pour mener à bien la reconstruction du manoir Von Waldorf et du domaine tout entier. Aujourd’hui, grâce au charbon, au transport commercial, et au soutient et aux conseils très judicieux de leurs amis, Florent et Elizia avaient recouvré la fortune. Ils avaient désormais un héritage à léguer à leur fils, ainsi qu’aux enfant que celui-ci pourrait avoir plus tard s’il en désirait. Ils ne lui avaient d’ailleurs jamais révélé l’histoire de sa naissance, et ne comptaient pas le faire.

    - Elie! Florent! Enfin, voyons messieurs! Venez danser! C’est soir de fête!
    Leurs considérations tout d’un coup brisées par la voix pétillante de Célestina, le couple eut un bref sursaut.
    - Oh, Celly chérie, pardonne-nous, mais nous ne dansons pas.
    - Balivernes!
    Le corps moulé dans une vaporeuse robe de soie jaune cumin qui mettait ses hanches et la pâleur de sa peau en valeur, la jeune femme se tenait devant eux un brin échevelée, les joues roses d’émotion et les mains calées sur les hanches dans la même attitude qu’une poissonnière vantant son étalage. Un rôle qui lui allait si bien qu’Elizia s’étouffa de rire avec son champagne.
    - Elie! Au lieu de rire, accorde-moi une danse! Tu m’en dois une depuis que Zéphir m’a fait tomber dans la fontaine l’été dernier!
    - Touché.
    Adressant lors un sourire d’excuse à son compagnon, il grimaça d’abord pour la forme en direction de la jolie brune avant de l’accompagner de bonne grâce vers la piste de danse.
    Pendant qu’ils s’éloignaient, Florent étouffa un soupir et décida d’aller prendre l’air sur la terrasse.

    Aveugle comme il l’était - son don de double vue ne lui permettait de voir que ce qui concernait directement Zéphir, et rien d‘autre -, danser représentait pour lui défis pénible. Pourtant il avait aimé cela, avant. Virevolter, tournoyer, se mouvoir en rythme avec l’être aimé. D’autant plus qu’il savait à quel point son aimé pouvait maintenir une cadence qu’elle quelle soit. Il avait un sens du rythme…redoutable.
    Souriant au souvenir de certains de leurs ébats qui auraient fait rougir la plus libertine des courtisanes, le jeune homme offrit son visage à la brise et savoura l’air nocturne de cette nuit d’été.
    Il en était là de sa méditation sensorielle lorsqu’une paire de bras forts et musclés enserra sa taille, froissant ainsi sa chemise et sa veste de costume.
    - Si tu savais comme je suis fatigué de toutes ces femmes qui me tournent autour… Depuis le temps que nous sommes ensemble, que nous vivons ensemble, pourquoi n’ont-elles toujours pas compris que toi et moi, c’est pour la vie?
    La voix de son compagnon était chaude, teintée d’un désir qu’il connaissait bien et qui faisait écho au sien. Ses lèvres frôlaient son oreille et son souffle humide s’insinuait sous le col de sa chemise amidonnée. Le contraste avec l’air frais le fit frissonner.
    - Il me semble qu’elles refusent d’admettre cette réalité parce que dans leurs esprits, une aventure entre deux hommes c’est passager. Un peu comme un genre de lubie qu’entretien un gentleman oisif en quête de sensations fortes, avant d’emprunter le chemin du mariage et de la convenance pour la fin de sa vie…
    L’étreinte d’Elizia se raffermit.
    - Eh bien, c’est une lubie qui dure depuis presque vingt ans, il me semble!
    - Je sais.
    - Et nous avons élevé un enfant ensemble par les dieux!
    - Je sais.
    - Ah! J’en ai assez de toujours avoir cette même conversation. Chaque année c’est la même chose…
    - Je sais mon amour…
    Amoureux comme au premier jour, Florent se tourna dans les bras de son amant pour lui faire face et leurs lèvres se joignirent dans un baiser brûlant, sensuel et impudique qui leur donna des envies interdites. Mais gênés par leurs vêtements, leurs corps ne purent entrer en contact direct l‘un avec l‘autre, et c’est ce qui les obligea à reprendre conscience de l’endroit où ils étaient puis à s‘éloigner un peu l‘un de l‘autre.
    Le regard sombre et le souffle court, le baron dévorait son amant du regard.
    - Florent, j’ai envie de toi. Tout de suite.
    Le concerné se passa la langue sur les lèvres, conscient de la tension qui tendait son bas-ventre.
    - J’en ai envie aussi, mais je ne vois pas où nous pourrions aller pour être tranquilles.
    Le regard du brun se fit canaille.
    - Moi je sais. Viens.
    Entrainant le blond à sa suite, Elizia traversa la terrasse jusqu’au jardin, puis s’enfonça dans le labyrinthe de haies taillées dans le buis qui abritait souvent les jeux de cache-cache de d’Olivia lors de ses Garden Party.
    - Où m’emmènes-tu?
    - Chut. Fais-moi confiance et tu sauras bientôt.
    Ils mirent quelques minutes à atteindre l’endroit souhaité, et lorsqu’il parvinrent au centre du labyrinthe, l’odeur des roses chatouilla les narines de Florent, et un sourire magnifique éclaira ses traits.
    - Le puits des roses! Elizia Von Waldorf, tu veux faire l’amour sur des pétales de reine!
    Elizia sourit à son tout.
    - Rien n’est trop beau pour l‘homme qui partage ma vie.
    Puis l’attirant dans ses bras, le brun entraina son amant dans un baiser sauvage, et dominateur. Affamé de ses lèvres et de son goût, de son toucher et de sa chaleur.
    Leur impatience guidée par le besoin était compréhensible : ayant dû se rendre à Irème,  la capitale du pays, pour régler quelques affaires commerciales concernant le domaine, Elizia avait passé trois mois dans la plus totale abstinence, et là, il atteignait son seuil critique.
    Privé de l’amour, de la présence et de la voix de sa moitié depuis trop longtemps, le baron se sentait sur le point d’exploser. Il était revenu de son voyage tout juste avant le début de la réception, et c’est dévoré par le désir et l’impatience qu’il s’était rendu chez leurs amies communes, retrouvant enfin son compagnon près du buffet au grand salon, mais ne devant se contenter que d’une pauvre malheureuse caresse sur sa joue pour tout salut, afin de respecter les règles de bienséance…
    Il en aurait mit le feu à la pièce s’il l’avait pu!
    Arrachant leurs vêtements sans se soucier de les mettre en pièces, le couple finit rapidement nu et allongé sur les pétales de roses séchés. Les baisers furieux qu’il échangeaient leur faisaient perdre la tête et le souffle, leur donnant le tournis et l’impression de tanguer sur un navire perdu en pleine tempête. Les mains caressaient chaque centimètre carré de peau disponible, les doigts pinçaient et titillaient doucement, enserrant des extrémités rigides, douces et de plus en plus humides, pénétrant des orifices impatients et fébriles qui se faisaient plus souples sous les caresses. Puis dans un grognement sauvage, Elizia, pénétra enfin Florent d’un ample mouvement de bassin et se déhancha fermement en lui. Allongé sur le dos, le blond cala ses jambes sur les épaules de son compagnon et s’offrit tout entier, s’ouvrant le plus possible pour recevoir au plus profond de son cœur et de son corps le plaisir et l’amour que lui prodiguaient ce membre chaud et terriblement dur.
    Leurs bouches soudées l’une à l’autre empêchaient leurs cris de s’élever au-dessus de leurs corps en sueur, et lorsque la jouissance les surpris, ils étouffèrent leurs cris mutuels sous les coups de langue, ne laissant échapper que de petits gémissements d’extase qui révélèrent à quel point l’expérience avait été fabuleuse.
    - Oh mon Dieu…
    Se laissant tomber sur le côté pour laisser Florent respirer, Elizia repoussa ses cheveux trempés en arrière et posa son bras sur ses yeux. De son côté, Florent prit le temps de retrouver son souffle avant de se blottir contre son compagnon.
    - C’était…
    - Oui.
    - Oui.
    Epuisés, mais rassasiés - du moins pour l’instant -, les deux hommes restèrent allongés au milieu du labyrinthe, les yeux fixés sur les étoiles d’un ciel que l’un regardait sans le voir et que l’autre voyait sans le regarder.
    - Tu m’as manqué.
    Le blond eut un petit rire.
    - C’est ce que j’ai crus remarquer en effet.
    Le brun lui jeta un regard de côté.
    - Je suis censé croire que ce n’était pas ton cas?
    Florent se tourna vers lui.
    - Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai adoré chaque minute de nos ébats.
    Ils gardèrent le silence quelques instants, puis Florent repris la parole :
    - Elie, je pense à une chose depuis très longtemps déjà, et je voudrais que tu y réfléchisses avant de refuser.
    - Je t’écoute.
    Un peu nerveux, le jeune homme se mordilla les lèvres mais se lança tout de même.
    - D’accord. Il se trouve que depuis toutes ces années, je t‘ai secondé de façon exemplaire. J’entends par-là que malgré ma cécité, je suis capable de me déplacer seul, de faire des comptes, de veiller au bon ordre du manoir, de diriger les domestiques, de conclure certaines affaires qui te…
    - Viens-en au fait mon ange.
    Florent prit une grande inspiration.
    - Je veux te prendre. Être celui qui te fera l’amour. J’en ai le droit. Enfin, je crois. J’estime que j’ai acquis suffisamment de compétences et de connaissances, de maîtrise de moi-même et des autres, pour dire que je suis ton égal. Ce n’était pas le cas avant, à cause de nos statuts différents en société, mais désormais, tout à changé. Je suis convaincu que j‘ai droit à une chance.
    Abasourdi, Elizia ne sut comment réagir. Seule la demande préalable de Florent - à savoir qu’il réfléchisse avant de prendre une décision -, le retint de refuser tout net.
    Objectivement, les propos de son amant n’étaient pas absurdes. Ils étaient même très sensés et fondés. Mais il avait beau y penser de cette manière, tout son corps de mâle dominant se cabrait à cette idée. Dans leur couple, c’était lui qui dirigeait lorsqu’ils étaient au lit! Imaginer l’inverse ne lui plaisait pas du tout. Mais alors pas du tout.
    - Florent…
    - Oui?
    - Je ne sais pas.
    Inquiet, le blond fronça les sourcils.
    - C’est-à-dire?
    - C’est-à-dire que je ne sais pas ce que j’en pense. Je ne refuse pas tout net - c’est ce que tu m’as demandé -, mais il me faut un peu plus de temps pour y réfléchir, je pense. J’imagine qu’il faut que je me fasse à l’idée. Tu ne m’en a jamais parlé avant. Je ne savais pas que nos positions respectives te posaient problème.
    Doucement, Florent passa son doigt sur un des pectoraux d’Elizia.
    - Ce n’est pas un problème en soi. Simplement, de temps en temps, j’aimerais que tu nous permette de faire l’amour de cette façon aussi. J’aime que tu me prennes, mais je me sens incomplet en quelque sorte. Un peu comme si je n’accomplissais pas ma part masculine.
    La part masculine… Vu sous cet angle, Elie commençait à visualiser l’idée générale, sauf qu’il ne savait pas comment il allait réussir à surmonter les traumatismes que l’incube lui avait infligés pendant leur détention. Au fond de lui, il savait qu’il associerait toujours le fait d’être pénétré au différents viols qu’il avait subis. Peut-être qu’un jour il en parlerait avec lui, mais pour l’instant, il ne se sentait pas prêt à aborder la question.
    - J’y réfléchirais, je te le promets. Mais je ne garantis aucune réponse constructive avant nos noces d’or…
    Indigné Florent s’étrangla.
    - Nos noces d’or? Tu ne peux pas être sérieux! Ce n’est pas… A ce moment-là, je serais bien trop vieux et cacochyme, voire déjà mort pour te posséder! Ce n‘est pas… Rah, Elizia! Cesse de rire!
    Rouge de colère, le jeune homme commença à chercher ses vêtements pour les enfiler dans le but de s’éloigner le plus vite possible de son compagnon hilare. Elizia savait que Florent détestait qu’on se moque de lui, mais c’était plus fort que lui. Cette petite pique avait été la seule échappatoire à cette discussion, et tant pis si son amoureux le prenait mal. De plus, le baron avait d’autres projets pour lui.
    Rattrapant le blond par la taille, il eut tôt fait de le dépouiller de ses vêtements mis à l’envers et de l’étendre à nouveau sous lui malgré ses efforts pour se débattre.
    - Elizia, lâche-moi!
    - Seulement lorsque tu auras jouit si fort que tu auras du mal à tenir debout sur tes jambes. Autrement, d’ici-là, tu es à moi.

    Lorsqu’ils finirent par ressortir du labyrinthe, Célestina et Olivia venaient tout juste de lancer une partie de cache-cache nocturne. C’est donc avec un naturel feint, qu’il donnèrent l’impression de participer au jeu, alors qu’en réalité, ils s’éloignaient discrètement de la partie du jardin exposée aux regards.
    Ils arrivaient près d’une fontaine entourée de saules pleureur, lorsqu’un frémissement dans les branchages les fit sursauter et les mit sur leurs gardes.
    - Bonsoir petits hommes, que la nuit vous soit douce.
    Cette voix si particulière les prit tellement par surprise, qu’ils ne purent retenir une exclamation choquée.
    - Tessa!
    - Ce n‘est pas possible…
    Elizia crut voir jouer l’ombre d’un sourire sur les babines de la Panthère, mais il n’en fut pas certain à cause du manque de lumière.
    - Cette nuit célèbre l’anniversaire du petit. Je suis venue vous voir car elle est ma dernière parmi vous. Après celle-ci, je m’en irais définitivement de ce monde. J’ai résisté aux Songes durant tout ce temps afin de m’assurer du  bien-être de Zéphir et pour voir si tu prenais effectivement soin de ta chance. Je constate que tu as réussi Elizia. Les rêves du garçon sont purs et heureux. Je peux partir l’esprit tranquille, vous n’avez plus besoin de moi.
    Perturbé, Florent s’approcha lentement.
    - Que vas-tu devenir?
    Son regard rouge de félin plongea dans ses pupilles aveugles.
    - Je ne peux te le dire car je l’ignore moi-même. Mais sache que je serais toujours présente dans vos rêves, quelque soit ma forme. A présent je dois y aller. Que la nuit vous soit douce petits hommes et que vos rêves perdurent. Adieu.

    Epilogue... Epilogue...

    Cette rencontre inattendue les laissa tous deux si perturbés, qu’il leur fallut plus d’une heure et deux coupes de champagne chacun, pour retrouver une contenance. Il y avait dix-huit ans qu’ils n’avaient vus de Pantins et leur esprit assimilait difficilement le choc. Se rappeler un passé cruel au moment où on se sentait le plus en sécurité avait de quoi rendre nerveux n’importe qui dans leur situation. Autant dire que leur réaction était on ne peut plus normale!
    De retour dans leur coin de mur près du grand salon, les deux hommes attaquaient leur troisième coupe lorsqu’une voix de ténor les interpella, les faisant sourire d’un air tendre.
    - Ah! Vous voilà enfin! Cela doit bien faire deux bonnes heures que je vous cherche!
    S’extirpant hors d’un groupe de jeunes personnes qui riaient à gorge déployée à la blague que l’un d’entre eux venait de faire, Zéphir, grande silhouette fine, pâle et distinguée aux yeux d‘un violet pur et saisissant, s’approcha vivement de ses pères en trainant à sa suite, une fille de son âge dont le visage leur sembla familier.
    Comme à son habitude lorsqu’il le voyait, Elizia ressentait pour son fils, ce petit tiraillement au creux du ventre, à cet endroit même où il l’avait porté et sentit grandir. Ce lien, qui allait dans les deux sens, le brun savait que son fils le ressentait aussi. Mais jamais il ne lui en avait parlé, car cette discussion entrainerait immanquablement des questions auxquelles ni Elizia ni Florent ne voulaient être obligés de répondre.
    Parvenant enfin à rejoindre ses pères, Zéphir replaça une longue mèche de cheveux blanc derrière son oreille, et les fusilla du regard.
    - Mais où diable étiez-vous? Ca vous amuse de vous cacher sans me laisser au moins une indication me disant où vous chercher? Ce n’est pas drôle, Père!
    L’indignation de son fils désormais majeur, fit sourire Elizia. Ce grand et beau garçon était désormais un homme, et son caractère bien trempé lui rappelait tellement le sien qu’il ne put s’empêcher de ressentir un violent élan de fierté masculine. Un caractère dont son amant prenait toujours soin de marquer clairement les limites.
    - Jeune homme, ce n’est pas ainsi que l’on s’adresse à son père. Tu es officiellement un homme ce soir, mais tu restes notre fils, ce qui ne soustrait pas le respect.
    - Oh… Mes excuses Papa.
    Florent distingua le repentir de son fils par un halo bleuté autour de sa silhouette élégante. Pour ainsi dire, il ne voyait que les formes de son corps mais pas les couleurs réelles. Il percevait sa présence ou son absence, ses humeurs, et ses émotions ainsi que leur intensité, des bribes d’expression faciale et parfois quelques images éclair concernant son futur, mais guère plus.
    Croisant les bras sur son torse, Elizia lui lança un sourire encourageant.
    - Bien, maintenant que tu nous as trouvés, si tu nous présentais ta jeune amie?
    S’empourprant joliment mais sans perdre sa confiance en lui, Zéphir attira la demoiselle à son côté et la présenta aux deux hommes…
    - Pères, je vous présente mon aimée : Paéliana DeMonterosa.
    …dont les sourires chaleureux vacillèrent dangereusement lorsque le visage de la belle se montra en pleine lumière.
    - Je suis honorée de vous rencontrer messieurs. Zéphir ne me parle que de vous, si bien qu’il m’a transmis son admiration pour vous. Vous êtes ses plus grands héros.
    Elle avait revêtu une apparence humaine, mais la ressemblance était si frappante qu’elle en devenait aveuglante. Frissonnant d’effroi de la tête aux pieds, Elizia dût se faire violence pour ne rien laisser transparaitre de son émoi. Il savait que Florent ne voyait pas son visage, mais en entendant son prénom, il avait immédiatement compris comme lui.
    Ils avaient devant eux la réincarnation humaine de la Gardienne.
    De petite taille et de constitution délicate, la jeune fille, inconsciente de leur trouble, s’inclina dans une révérence des plus élégantes. Sa peau de porcelaine, ses cheveux blonds argentés, ses yeux gris, ses lèvres carmin, son corps gracile, et sa voix douce, étaient absolument ravissants. Et toutes ces qualités les auraient immanquablement conquis si, dans le regard de cette jeune femme d’une beauté éblouissante, le baron n’avait pas reconnu ce regard unique, témoin d’une vie ayant duré des millénaires….
    Paéliana DeMonterosa… Si semblable à Paélia du Mondrose...
    - Ses parents sont Benedict et Salvana DeMonterosa. Vous avez traité avec eux des derniers contrats négociant le prix du lait, il y a deux ans. C’est à cette occasion que nous nous sommes rencontrés.
    Assommé par ce second rappel du passé, Elizia se sentit devenir fiévreux et chercha discrètement du regard, un endroit où s’asseoir. Il était en sueur et ses jambes tremblaient.
    Derrière lui, Florent s’était raidi, le cœur battant la chamade et les mains moites de panique.
    - Nous sommes tombés amoureux presque tout de suite après notre première conversation. Mais j’ai préféré attendre d’atteindre majorité pour vous la présenter enfin et demander à son père l’autorisation de lui faire ma cour!
    D’abord Tessa, puis Paélia… A quelles autres mauvaises surprises devaient-ils s’attendre?
    Réalisant soudain qu’un silence gênant s’installait car c’était à lui de dire quelque chose, le baron s’éclaircit la voix et articula lentement pour contrôler les tremblements qui l’affectaient :
    - Mademoiselle DeMonterosa, c’est un plaisir pour nous de faire votre connaissance. Nous sommes ravis de découvrir enfin ce qui rendait notre Zéphir d’humeur si rêveuse ces derniers temps. Voilà le mystère désormais levé!
    Souriant jusqu’aux oreilles, Zéphir étreignit ses pères.
    - Comme je suis heureux qu’elle vous plaise! Vous verrez, avec le temps vous apprendrez à la connaitre, et comme moi, vous ne pourrez plus vous passer d’elle!
    - Hem, oui. J’en suis certain. A présent, si vous voulez bien nous excuser, Florent et moi allons prendre un peu l’air. Mais nous nous retrouverons plus tard, tu n’as pas encore soufflé tes bougies!
    Puis sans un mot de plus, le baron fit volte-face et entraina son amant à sa suite, en direction de la terrasse, manquant de peu renverser un serveur et son plateau qui croisaient leur route.
    - Oh! Attention messieurs!
    Nouveau choc. N’était-ce pas Adonis?
    Bouleversé, Elizia abandonna là Florent et couru derrière le serveur affairé afin de mieux voir son visage. Mais une fois qu’il l’eut bien en vue, son cœur repris brusquement un rythme normal. Il s’était trompé.
    L’air hagard, il retourna auprès de son compagnon qui n’avait pas bougé mais qui tremblait de nervosité.
    - Je… J’ai cru entendre sa voix… Adonis… Je…
    - Oui… Moi aussi j’ai crus que c’était lui.
    Serrés l’un contre l’autre, ils atteignirent tant bien que mal les rambardes de la terrasse et se laissèrent tomber sur l’un des bancs de pierre qui jalonnaient le jardin.
    Toujours aussi frissonnant, Florent laissa échapper un léger gémissement.
    - Mais bon sang, que se passe-t-il? Elie, sommes-nous en train de devenir fous?
    Il s’écoula plusieurs minutes avant que le concerné ne puisse à nouveau prononcer le moindre mot. Mais quand il y parvint, sa voix avait quelque chose d’éteint.
    - Non mon amour, nous ne devenons pas fous. Je pense au contraire que nous sommes tout ce qu’il y a de plus lucides. Toi et moi sommes terrorisés parce que des vestiges de notre passé refont surface et que nous n’y sommes pas du tout préparés. Mais souviens-toi, lorsque tout s’est terminé : Tessa m’a averti qu’elle viendrait vérifier que j’avais bien pris soin de toi, sous peine de me le faire payer.
    - C’est possible, mais j’étais très certainement dans les vapes à ce moment-là. Mes yeux me faisaient si mal, j’ai préféré m’évanouir.
    - Oui, mais tu étais conscient lorsque Paélia nous a ordonné d’être toujours unis durant l’épreuve, car il se pouvait qu’un jour, elle vienne, elle aussi, vérifier que nous l’avions été.
    Florent s’en souvenait oui, et pendant un instant, il fut troublé de constater qu’Elizia était capable de réciter mot pour mot les avertissements de l’entité. Puis au bout d’un long moment, il eut un haussement d’épaules et poussa un grand soupir.
    - Nous sommes surpris, mais nous oublions que Paélia a toujours été la gardienne d’Asmodée, et que par conséquent, surveiller son rejeton est sûrement son devoir.
    - Tu n’as pas tord. Mais c’est étrange, j’ai l’impression qu’elle ne semble pas nous reconnaitre.
    - Peut-être est-ce le cas. Après tout, sa couverture est parfaite. Pourquoi la gâcherait-elle dans le but de nous rassurer? Si Paéliana est vraiment la manifestation physique de la Gardienne, alors c’est qu’elle est là pour protéger Zéphir. Autrement, elle n’est qu’une humaine qui lui ressemble fortement.
    Esquissant un demi-sourire amusé, le baron saisit le menton du blond et s’en approcha pour l’embrasser.
    - Une fois de plus, tu as raison.
    Puis levant les yeux sur une impulsion, le jeune homme capta le regard vert intense d’un homme à la carrure de géant et dont les cheveux flamboyaient à la lumière des lampes. Celui-ci lui adressa un clin d‘œil espiègle, avant de courir se cacher dans les fourrés pour semer ses poursuivants hilares. La partie de cache-cache poursuivait toujours son cours semblait-il.
    Emu jusqu’aux larmes, au souvenir de Friedrich - son ami perdu avant même d’avoir pu apprendre à mieux le connaitre -, le jeune homme déglutit difficilement et plongea son visage dans les cheveux si doux de son aimé.
    - Elie? Que se passe-t-il?
    Le baron renifla. Son cœur battait douloureusement.
    - Je viens de voir un fantôme. Un vrai cette fois, mais d’une personne pour qui j’avais beaucoup d’affection.
    Une main blanche et chaude se posa sur son visage marqué par le chagrin.
    - C’était le fantôme d’une personne que tu aimais d‘amour?
    - Bien sûr que non!
    - Et pourquoi pas? Tu es resté coincé longtemps dans ce château avant qu’on puisse se retrouver, et il y avait d’autres hommes avec toi. Tomber amoureux de l’un d’entre eux aurait été tout à fait possible.
    - Non. Impossible.
    - Et pourquoi?
    - Parce que jamais je ne pourrais aimer un autre homme comme je t’aime Florent. Et la Lune ce soir m’en est témoin : en ce jour, et ce, pour le reste de ma vie, je jure de ne garder cette partie de mon cœur que pour toi…Car tu es mien et je suis tien… Car depuis toujours, c’est toi mon amour et je t‘appartiens.

     

     

     

    Fin

     

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    Billet

    Débutée en mars 2009, TMA a été ma première histoire longue.

    J'ai mis quatre ans pour terminer la rédaction de ces pages. Ce n'était pas prévu. La vie, les difficultés, les empêchements et mon caractère peu rigoureux aidant, j'ai pris bien plus de temps que voulu pour le rédiger. Néanmoins, comme je le dis souvent, quand je commence une chose, je la termine! Et je vous avais promis une fin, la voici donc.
    Avec ces deux derniers articles, c'est une page de ma vie qui se tourne. Cette histoire, je l'ai commencée au début de mes années de lycée, et maintenant je la termine au début de ma vie active de jeune adulte. C'est une histoire pleine de bon souvenirs, qui m'a fait connaitre auprès de beaucoup de lecteurs du web, qui m'a fait rencontrer et aimer énormément de personnes vraiment géniales, et qui m'a fait grandir, aussi bien dans mon écriture que dans ma vie concrète.
    J'en suis assez fière.
    Ces presque deux cent pages sont pour moi un monument. Les personnages, l'histoire en elle-même, le déroulement des évènements, les décors... Je ne sais pas comment tout m'est venu ni comment tout à fini par si bien s'emboiter. Je me souviens que pendant la rédaction de certains chapitres, la trame que j'avais prévue se transformait toute seule, devenant complètement différente de ce que je voulait au départ. Ca aurait pu être une catastrophe au niveau de la logique de l'histoire, mais en réalité, le rendu final était encore meilleur que ce que j'avais en tête au départ. Et je ne cesse jamais de m'étonner, car en gros, toute l'histoire s'est faite comme ça. Comme quoi, certaines histoires s'écrivent vraiment toutes seules...

    Inspiré au départ par un combo Harry Potter / une fiction de Elle Sid / et de romans érotiques divers, ce récit est plein de significations diverses :

    • La Mondrose High School, ou l'Académie Mondrose

     A l'origine baptisée Mondrose High School, l'école du démon Asmodée a finalement été rebaptisée " Académie Mondrose ". Cette dernière appellation fait beaucoup moins référence à la série télé High School Music Hall dont je me suis effectivement inspirée pour le titre. Oui, désolée, à cette époque ça venait de sortir, je commençais à écrire, et je manquais d'inspiration! 

    • Le Mondrose

    Mondrose signifie " Lune de Roses " en allemand. Beaucoup en seront peut-être étonnés, car ils savent que je n'aime pas cette langue, mais ce choix à une raison. Comme d'habitude, lorsque je donne un nom à une chose ou une personne dans mes écrits, il y a toujours plusieurs sens. Pour le jardin magique de Paélia, je voulais que le nom de ce lieu serve à le désigner mais aussi à le décrire sa fonction. Les roses parsemant la terre calcinée durant les nuits de pleine lune, je trouvais justifié de les baptiser ainsi. Et comme je ne voulais pas que ce soit évident au premier abord, j'ai traduit Lune de Roses dans des langues différentes. L'allemand avait la traduction la plus jolie, alors je l'ai gardée.  

    • Le Château

    Naturellement, le Château/Prison qui sert d'école ressemble à celui de Poudlard. Les innombrables escaliers, des portes secrètes, une salle de banquet avec de la nourriture à profusion, des étudiants pensionnaires sur une durée de trois ans qui arrivent en train, des professeurs à l'aspect étrange qui font preuve de magie, des fleurs qui ne vivent que la nuit, des démons grouillant sous les pièces, des formules magiques et des sortilèges... Du pur jus HP! 

    • La grossesse d'Elizia

    Un jour, quand j'avais assez de temps pour lire toutes les fictions de toutes les auteurs de yaoi que je trouvais, je suis tombée sur une fiction géniale mettant en scène Drago Malfoy et Harry Potter. Ces deux garçons étaient en couple, mais ce qui rendait l'histoire vraiment super, c'était que Harry portait un enfant. Lorsque mon imagination a capté cette idée, ça ne m'a plus jamais lâchée. C'est pourquoi j'ai adoré inclure cette dimension impensable dans mon histoire, c'est vraiment ce que je préfère. 

    • Sorrel

    Si vous ne l'avez pas deviné - j'espère pour vous que vous n'êtes pas un inconditionnel de Disney, sinon honte à vous -, Sorrel le miroir magique m'a été inspiré par celui de la méchante reine dans Blanche-Neige. C'était une idée parfaite, qui m'a permis de bien construire la base de mon histoire. D'ailleurs, j'ai beaucoup d'affection pour lui, pauvre délaissé...  

     


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