• Partie 2.

    La première pensée qu’eut Elizia en écoutant le Maître parler fut que celui-ci était fou.
    Il voulait concevoir un enfant? Avec lui? Allons bon!
    Toute cette histoire était si improbable, si impossible et incroyable, qu’il avait presque envie de rire!
    - Vouloir un héritier est très honorable Maître. Mais vous voyez bien que je suis un homme! Je ne peux donc pas concevoir d’enfant! Seules les femmes peuvent le faire, et je pense que vous le savez-vous aussi.
    Le rire profond du démon balaya ses propos comme l’aurait fait un ouragan d’une brindille.
    - Idiot, je sais parfaitement que tu es un homme! Ta nature ne pose d’ailleurs aucun problème pour moi. Ma semence et mon sang se mêleront à ton organisme qu’ils remodèleront afin que tu puisses être en mesure de porter notre enfant sans difficulté. Tu n’as certes pas voulu signer le Pacte de Sang avec moi Elie, mais sache que la Conception comporte à peu près les mêmes entraves.
    Sur ces mots, le Maître plongea sur les lèvres du jeune homme d‘un geste adroit qui l’empêcha de réfléchir correctement aux paroles qu’il venait d’entendre.
    Sa langue impatiente se mêla à la sienne dans un ballet des plus enivrant, fouillant sa bouche avec un appétit vorace et sensuel à l’extrême, ravivant ainsi le feu endormi de son corps, et faisant battre plus furieusement que jamais la pulsation entre ses fesses.
    Malgré la résistance de son esprit, Elizia n’avait aucun contrôle sur son corps qui se collait à celui de l’incube sans aucune pudeur, ni sur les émotions qui le submergeaient par vagues.
    Bien trop stimulé par le Sort d’Attraction qui excitait les zones érogènes entre ses cuisses, le jeune homme eut du mal à lutter contre l’évidence de son plaisir, et réprimer les gémissements que provoquaient en lui les caresses expertes du Maître.
    - S’il vous plait….Pitié…Non, pas ça!
    Les lèvres rouges du démon dégustèrent longuement un téton brun avant de s’étirer en un sourire taquin.
    - Pourquoi résistes-tu? Ne m’as-tu pas offert ton corps il y a quelques mois? N’as-tu pas d’ailleurs certifié que tu m’appartenais lorsque je t’ai fait l’amour tout à l’heure?
    Des larmes de rage, de frustration, et d’horreur s’écoulèrent de dessous les paupières du jeune homme. Tous les propos de cet être infâme étaient rigoureusement exacts, et il ne pouvait pas les contredire.
    Bien que les émotions aient toujours altéré son jugement aux moments où il avait prononcé ces mots, il n’avait pas réalisé, à ces instants, le pouvoir qu’elles pouvaient avoir sur sa vie et sur son corps.
    Il avait creusé sa propre tombe sans le savoir, et encore une fois, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même.
    Un sanglot s’étouffa dans sa gorge lorsque le Maître fit pénétrer deux doigts humidifiés en lui, caressant doucement les parois chaudes et sensibles de son intimité encore dilatée. Cette cajolerie était une torture de par sa tendresse, alors qu’elle participait à son viol!
    - Non! S’il vous plait!
    Les doigts appuyèrent doucement sur la prostate, stimulant vivement cette zone où la pulsation se faisait si puissante qu‘elle en devenait insupportable.
    Elizia cria de plaisir à ce contact, mais ne sentir que deux doigts en lui n’était pas suffisant. Son corps affamé ne réclamait qu’une seule et unique chose: accueillir en lui le membre dur et chaud de l’incube, même s’il savait qu’au moment exact où cette hampe de chair entrerait en lui pour le transformer de l’intérieur, son destin serait irrévocablement scellé sans aucune possibilité d’un retour en arrière.
    Déçu et blessé au-delà de ce qu’il avait pu imaginer, Elizia découvrit que ces sentiments avaient un goût amer. Lui, qui avait cru que l’incube avait changé, se trouvait une fois de plus cruellement désillusionné sans pouvoir faire autre chose que se résigner au sort qui l‘attendait.
    A quoi s’était-il vraiment attendu au juste? Que du jour au lendemain, et sans explication valable, le Maître perde son masque de froideur et de méchanceté pour devenir quelqu’un d’honnête? Qu’il abandonne sa nature démoniaque pour ne se consacrer qu’au Bien? Cet incube était une créature du Mal depuis des temps immémoriaux. Alors comment avait-il pu croire qu’un être tel que lui pouvait changer et devenir bon?
    De telles idées utopiques étaient d’un pathétique à mourir de rire, et pourtant, elles reflétaient plutôt bien l’étendue de sa naïveté.
    Lui qui était venu dans le but de jouer les chats dociles afin d’obtenir ce qu’il souhaitait sans plus subir l’humiliation d’un viol, venait de se faire avoir. Ruser comme un humain n’était apparemment pas suffisant, car le Maître avait joué sa partie plus rapidement que lui.
    Trop confiant et trop ignorant, Elizia était lui-même tombé dans le piège qu’il avait voulu tendre. Et sans avoir rien vu venir, il y était tombé tête la première, permettant ainsi au Maître de lui montrer une fois de plus, combien son pouvoir sur lui était inaltérable.
    Un gémissement coupable jaillit hors de sa bouche lorsqu’il sentit une langue chaude autours de son sexe durcit, et il ne mit pas longtemps à jouir sous le plaisir que lui apportaient ces caresses humides.
    Perdu entre les brumes d’un plaisir diffus, le jeune homme ne perçu la voix du Maître qu’au moment où il lui murmura ces mots à l’oreille :
    - C’est très bien Elie, tu es un bon garçon. Maintenant passons aux choses sérieuses.
    Allongé sur le dos, et les jambes placées de parts et d’autres des épaules de son violeur, Elizia comprit alors que si les doigts qui le caressaient se retiraient de lui, c’était que le moment qu’il redoutait tant était arrivé.
    Les larmes sur ses joues redoublèrent alors d’intensité, et il détourna le visage lorsque le Maître lui présenta son bras entaillé, et déjà suintant d’une étrange liqueur noire.
    Il refusait catégoriquement d’ouvrir la bouche, mais la voix lente et chaude du démon tout contre son oreille, lui murmurait des choses bien trop sensées:
    - Je te conseille vivement de le boire si tu ne veux pas mourir dans d’atroces souffrances. Une Conception habituelle entre un démon et une humaine exige déjà une relative quantité de sang. Mais dans notre cas, tout est différent, et cette règle prend une tournure plus importante. Tu es un homme, et par conséquent, le processus de fécondation comporte bien plus de dangers et de complications. Alors bois si tu veux espérer une chance de survie, et ne lésine pas sur la quantité. Quels que soient les litres perdus, cela ne m’affaiblira pas.
    Peu enclin à jouer les vampires, mais ne souhaitant pas encore mourir, Elizia tourna la tête de mauvaise grâce vers la plaie, et y colla ses lèvres.
    Au moment où il commençait à aspirer le sang à petites gorgées, les chairs de son intimité furent brusquement écartées, et un éclair de plaisir inouï le transporta au-delà de tout ce qu’il avait pu, ou cru un jour ressentir en matière de jouissance.
    Qu’était-ce donc que ça?
    Il sentait pourtant bien les coups de butoirs du Maître entre ses cuisses, mais il les percevait d’une étrange manière, comme s’il n’était plus dans la chambre avec lui, mais dans un autre monde, dans une autre réalité, parallèle à celle dans laquelle il était ancré.
    Flotter pour l’éternité dans cette atmosphère paraissant n’être constituée que de plaisir et de bien-être, était une idée qui le tentait énormément. Mais alors que coulait encore dans sa gorge, le sang noir et amer du démon, un nouvel éclair le pétrifia, lui faisant lentement perdre connaissance.

    ***

    Lorsqu’il se réveilla quelques heures plus tard, Elizia découvrit qu’il mourait de faim.
    Parcourant la pièce à la recherche d’un met à se mettre sous la dent, son regard tomba sur un plateau chargé de victuailles qui se trouvait justement à côté du lit. Salivant à l’avance du festin qu’il allait faire, le jeune homme ne réfléchit pas longtemps, et se jeta sur la nourriture avec un appétit décuplé.
    Une fois qu’il eut terminé, il s’essuya la bouche avec une serviette de tissu blanc, et constata que le Maître l’observait depuis son réveil, allongé au loin sur le sofa.
    Habillé avec soin et les cheveux nattés, il se tenait à bonne distance de lui, et le fixait de ses yeux de glace sans qu’aucune expression ne vienne troubler la perfection de ses traits finement ciselés.
    - Comment te sens-tu?
    Sa voix profonde provoqua chez Elizia une incontrôlable pulsion meurtrière, et il montra les dents comme un animal dès qu’il sentit des frissons de désir parcourir son corps.
    - Je suis repu, mais je sens brûler en moi un profond désir de vous tuer…
    - Rassure-toi, c’est tout à fait normal.
    Puis, comme s’il s’agissait d’une évidence la plus élémentaire, le Maître opina et continua:
    - Les effets secondaires d’une Conception entre un être humain et un démon sont toujours un peu déstabilisants. Il vaut mieux que je te prévienne maintenant des différents stades que tu vas sûrement traverser lors la gestation de notre fœtus. Sache que ta faim va se décupler, et que des douleurs musculaires bénignes pourraient commencer à faire leur apparition d’ici quelques jours. Tu seras également parfois irrité, ou à l’inverse, totalement perclus de désir envers moi. Mais je ne prendrais pas le risque de te toucher, car avec la quantité de sang que tu viens d’ingérer, tes forces sont bien plus grandes qu‘auparavant, et je ne tiens pas à me battre contre toi. Te blesser est la dernière chose que je souhaite.
    Se battre n’était peut-être pas le souhait du Maître, mais c’était exactement l’envie qui démangeait les entrailles d’Elizia. Sa force n’était plus la même? Qu’à cela ne tienne! Cela ne ferait que rendre meilleurs le massacre qu’il se sentait à deux doigts d’exécuter pour lui faire payer tout ce qu’il lui avait fait subir!
    - Je ne crains pas réellement pour ma vie, mais pour plus de précautions, je préfère m’absenter le temps que tes émotions retrouvent leur train initial. Tu peux choisir de rester dans cette chambre si tu le désires. En ce cas, Sorrel te fera parvenir la nourriture à ta demande, et je pense que Tessa pourra être de bonne compagnie si tu te sens seul. Mais si cela ne te conviens pas, tu peux également retourner dans ta chambre. Dans tous les cas, tu es libre de choisir l’endroit où tu vas passer la nuit, et de te rendre en cours ou non. Sache que malgré ton état particulier et tes humeurs plutôt instables, tu n’es pas un danger pour les autres, mais uniquement pour moi qui suis l’instigateur de cette Conception.
    Le jeune homme réalisa qu’il disposait d’un large champ d’action, ce qui était plutôt positif.
    Mais restait tout de même un point important.
    - Et si je veux me rendre de votre chambre aux salles de classe? Comment suis-je supposé me débrouiller?
    L’incube et lui se mesurèrent du regard un long moment avant qu’il ne lâche :
    - Et bien je pense que lorsque ce sera le cas, tu devras faire appel à Sorrel encore une fois.
    Sceptique, Elizia battit des paupières.
    - Je ne vois pas en quoi votre Miroir pourrait m’aider à sortir d’ici.
    - Mais c’est là que tu te trompes.
    Le Maître esquissa un petit sourire.
    - C’est un secret que je divulgue rarement, mais mes Miroirs de Vérité peuvent aussi servir comme portail pour se déplacer dans différents endroits du château. C’est une fonction particulière que je leur ai attribué pour palier à ma magie en cas de problème. Mais étant donné la circonstance, il me semble que je peux t’octroyer le droit de les utiliser de cette manière.
    Croisant ses longs doigts, il poursuivit néanmoins :
    - Si tu veux te rendre quelque part, il te suffira de le demander et de donner le nom exact du lieu. Mais tu vas devoir être prudent. L’endroit que tu invoqueras devra impérativement être lui aussi muni d’un Miroir, car pénétrer dans un flux qui ne débouche sur aucune sortie devient une prison mortelle pour celui qui y est entré, et une dimension inaccessible pour tout être extérieur, moi y comprit.
    Posant ses longs doigts les uns contre les autres, le Maître termina, une étrange lueur dans le regard:
    - En d’autres termes, je te déconseille fortement d’essayer d’aller dans des endroits qui te sont inconnus, si tu ne veux pas risquer de rester enfermer pour l’éternité dans un entre-deux que tu auras créé.

    ***

    Quelques jours après le départ du Maître, Elizia avait repris sa routine habituelle.
    Chaque matin, il se levait, se douchait, prenait ses repas dans la salle en compagnie d’Olivia et de Célestina - qui le boudaient encore mais qui toléraient néanmoins sa présence, et se rendait en cours juste après. Ces activités étaient plutôt banales, mais elles réglaient sa vie comme du papier à musique, et il s’y accrochait comme l’aurait fait un noyé devant une bouée de sauvetage. Mais malgré la lucidité qu’il était parvenu à conserver grâce cette monotone répétition des choses, il lui était de plus en plus difficile de garder contact avec la réalité, et de ne pas céder à la folie qui menaçait de le submerger face à ce qu’il savait pourtant devoir être impossible de pouvoir se produire, et ce qui se produisait pourtant bel et bien : lui, un homme non originellement capable de porter un enfant, était enceint!
    Se retournant pour la énième fois dans son lit, Elizia posa une main hésitante sur le léger renflement qui avait commencé à arrondir son ventre…pour la retirer aussitôt. Bien trop dégoûté à l’idée qu’en le touchant, une sorte de lien pourrait se créer entre lui et ce qui grandissait en lui si rapidement.
    Ecœuré, le jeune homme fut brusquement saisit de nausée, et se précipita aux toilettes pour y vomir le dîner qu’il venait d’ingérer. Une fois qu’il eut tiré la chasse, et qu’il se fut rincé la bouche, il s’installa à même le sol, le dos appuyé contre un pied du lit, pour regarder les étoiles en train de briller dans le ciel nocturne.
    Ce qui lui arrivait était tout bonnement incroyable! Il était le seul homme au monde à se trouver dans cet état contre nature, et alors qu’il s’était à peine écoulé quelques jours depuis que le Maître et lui avaient entamé le processus de la Conception, son corps ressentait déjà les premiers effets d’une grossesse de deux mois!
    La situation était effrayante, et Elizia était seul pour l’affronter. Tous ces changements en lui - la faim insatiable, les sautes d‘humeur imprévisibles et violentes, les chaleurs sexuelles qui échappaient à son contrôle et qui le saisissaient à n‘importe qu‘elle heure du jour et de la nuit -, le terrorisaient littéralement. Cette irréductible peur de l’inconnu créait en en lui une sorte de rejet envers le fœtus dont il sentait battre le cœur quelque part au plus profond de lui. Cela l’empêchait de l’aimer pour ce qu’il était : un petit être à demi démon contre son gré, mais également en partie homme, car il était aussi le fruit de ses entrailles.
    En fixant son regard sur la Grande Ours, Elizia réalisa qu’en venant au monde, cet enfant bouleverserait complètement la vision que le monde avait des démons, et des relations qu‘ils pouvaient entretenir avec les humains. Il serait le premier descendant d’une union contre nature entre ces deux mondes - à la fois si opposés dans leurs valeurs, et si semblables dans le comportement de leurs habitants -, et les enjeux pour son avenir étaient colossaux!
    Paralysé d’angoisse à l’idée que toute cette histoire pourrait finalement mal tourner, le jeune baron se prit à penser à Florent et à son si beau visage qui l‘avait tant séduit au premier regard.
    Puis comme s’il avait été ravi de trouver un sujet plus plaisant, son esprit se mit soudainement à fourmiller de question à son égard : comment allait-il? Où était-il maintenant? Dormait-il et mangeait-il correctement? Finirait-il par le retrouver un jour? Et si oui, comment lui annoncerait-il la nouvelle?
    Quelque peu tourmenté, Elizia eut du mal à avaler la boule d’angoisse coincée au fond de sa gorge. Il aurait tellement aimé pouvoir le retrouver afin qu’ils puissent s’expliquer l’un l’autre! Mais ce désir semblait être éloigné, si impossible, et si inaccessible tout d’un coup!
    Renversant la tête vers l’arrière, le jeune homme délaissa la beauté des étoiles, pour laisser dériver son attention au gré de ses pensées. Son regard balaya l’ensemble de la pièce de façon circulaire, avant d’être attiré par l’éclat argenté d’une lumière astrale sur la surface polie d’un miroir posé sur la cheminée.
    Des souvenirs particulièrement précis lui revinrent alors par flashes, datant de quelques jours à peine, mais également de sa toute première fois dans la Chambre des Plaisirs.
    « Sorrel n’est qu’un simple miroir auquel j’ai donné la capacité de toujours dire la vérité…C’est un secret que je divulgue rarement, mais mes Miroirs de Vérité peuvent aussi servir comme portail pour se déplacer dans différents endroits du château… »
    C’est alors que le déclic se fit dans son esprit.
    Contacter Florent était possible! Il lui suffisait de le demander à Sorrel!
    Se maudissant mille fois pour sa lenteur d’action et son manque flagrant de réflexion, Elizia sauta sur ses pieds, et s’approcha à grands pas vers la psyché, l’empoignant à deux mains, et exigeant d’une voix forte et claire:
    - Montre-moi où se trouve Florent!
    Presque immédiatement, une lumière bleue illumina la pièce, et trancha l’obscurité de la pièce de sa clarté colorée. Plusieurs images se succédèrent sous les yeux écarquillés d’Elizia, et il comprit leur signification à mesure qu‘elles se juxtaposaient : il y eu d’abord le visage solitaire d’Adonis, qui fut ensuite associé à l’apparition d’une porte dérobée située non loin de la Chambre des Plaisirs, et dont les contours se dessinaient puis s’effaçaient au gré du Néant, et enfin s’imposa le visage de Florent, toujours aussi beau et rayonnant que le soleil en plein mois d’Août, à ses yeux .
    En rassemblant les pièces du puzzle que Sorrel venait de lui donner, le jeune homme constata que sa théorie était fondée : son ancien amant se trouvait bien dans la chambre du Pantin, qui se trouvait, ô surprise, au même endroit que celle du Maître!
    La trahison de celui-ci n’était d’ailleurs qu’un détail qu’Elizia préférait ignorer dans l’immédiat. Tout ce qui comptait à présent, était de se rendre dans la chambre du Pantin durant son absence, afin de pourvoir s’entretenir avec Florent sans risquer d’être dénoncé au Maître, ni d’être dérangé si la discussion se faisait plus complexe que prévu.
    Son plan d’attaque était donc simple comme bonjour! Il allait simplement surveiller les allées et venues d’Adonis grâce au Miroir, et attendre qu’une bonne occasion se présente et lui permette de s‘infiltrer en douce dans la chambre.
    Après tout ce temps passé à se morfondre et à chercher tout un tas de solutions inapplicables, il détenait enfin le moyen de tenter quelque chose, et il ne comprenait pas comment, ni pourquoi cela avait pu lui prendre autant de temps avant d’échafauder un plan aussi simple! C’était vraiment insensé!
    Reposant le Miroir de Vérité sur le manteau de la cheminée, Elizia retourna se mettre au lit, tout en sachant qu‘il ne trouverait pas le sommeil dans l‘immédiat.
    Maintenant qu’il était rassuré et fixé sur chemin qu’il devait bientôt suivre, il ne parvenait pas à calmer ses pensées qui fourmillaient encore d’excitation. Conscient des difficultés qu’il avait à rester tranquille, et du fait qu’il ne trouverait jamais le sommeil, s’il continuait sur ce mode, Elizia relâcha toute la tension contenue dans l’ensemble de son corps, et fit un effort pour détendre ses muscles crispés et respirer profondément.
    Un haut-le-cœur inopportun succéda à cette séance de relaxation et failli le faire vomir une nouvelle fois. Encore peu habitué à ce genre de manifestation corporelle, le jeune homme fut pris par surprise et eut presque envie de sourire. Visiblement, le fœtus n’appréciait pas vraiment que son papa soit tendu, et il ne se gênait pas pour le lui faire savoir!
    Elizia savait parfaitement que porter un enfant en soi demandait du repos, et un certain calme organique et environnemental. Néanmoins, même si son corps le rappelait à l’ordre, il se devrait d’être prudent lorsqu’il utiliserait le Miroir. Le Maître avait d’ailleurs été très clair sur les risques qu’il encourait s’il ne faisait pas attention, et puisqu’il n’était plus seul dans son corps, et qu’il vivait pour deux, il serait donc tendu, et sur le qui-vive à ce moment-là. Il n’était donc pas question que le bébé-démon s’en mêle!

     


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  • 23.

    Les jours suivant cette découverte et la mise en place de son plan, Elizia ne perdit pas de vue le couple formé par Adonis et Florent.
    En prévision, il avait emporté avec lui, un bout du Miroir qu’il avait brisé à l’aide d’un objet quelconque, et qui ne le quittait jamais. Son regard n’en déviait pas pendant les cours, encore moins à table, et plus du tout lorsqu’il était dans sa chambre. Au fil des jours, il ne faisait plus rien d’autre que de fixer le bout de Miroir et à travers lui, le couple contre-nature, négligeant ses devoirs au point de s’en faire faire la remarque par ses professeurs, et délaissant ses amies qui elles aussi, ne tarissaient pas de reproches.
    Plusieurs semaines s’écoulèrent à ce régime, mais ses efforts finirent par payer.
    Par un pluvieux matin d’hiver, alors que les nuages et les éclairs s’amoncelaient dans le ciel, Elizia s’éveilla en sursaut. Il venait de faire un cauchemar particulièrement réaliste, et il se sentait très agité, presque furieux. Le sang battant à ses tempes, il tenta d’éliminer le brouillard qui embrumait son esprit, et de recouvrer un rythme respiratoire beaucoup plus lent, histoire de rassurer le « bébé » qu’il sentait vivement bouger dans son ventre.
    Plus tard, en s’habillant devant le miroir, il observa sa silhouette déformée par la Conception. Le regard presque attendrit, il passa une main fébrile sur son ventre arrondis, caressant du bout des doigts cette partie de lui qui enfermait un être si hors de l’ordinaire. Mais alors qu’il s’apprêtait à laisser retomber le pan de sa tunique sur son abdomen, il aperçut un étrange mouvement s’effectuer à la périphérie de son regard. Se penchant sur le Miroir jusqu’à le toucher, il scruta l’image que celui-ci lui renvoyait.
    Son esprit mit plusieurs secondes avant de comprendre le message que ses yeux lui envoyaient.
    Quelque chose dans la Chambre Bleue avait changé : Adonis n’y était plus!
    Soudainement fébrile, Elizia senti ses mains se couvrir d’une moiteur atroce. L’angoisse et la peur faisaient trembler ses jambes sans discontinuer, mais pourtant il lui fallait se mettre à bouger dès maintenant s’il voulait profiter de cette opportunité inespérée!
    Le bébé donna un coup de pied contre son ventre, comme pour l’encourager. Alors prenant une longue inspiration, Elizia ferma les yeux pour mieux visualiser le lieu où il souhaiter aller, et murmura doucement:
    - Sorrel, amène-moi dans la Chambre Bleue!

    ***

    Le transfert ne fut ni agréable, ni particulièrement douloureux. Mais imprégna le jeune homme d’une désagréable sensation de malaise, comme celle que laissait la sensation d’avoir oublié quelque chose de fondamentalement important sans parvenir à se souvenir de quoi il s’agissait.
    Sorrel l’avait « déposé » en plein milieu de la chambre, entre un lit gigantesque et une baie vitrée tout aussi immense. La lumière entrait à flot, et illuminait de façon presque aveuglante la moindre parcelle bleutée de la pièce.
    Quelque peu intimidé malgré son impatience, le brun parcouru lentement du regard l’espace peu aménagé : les murs déclinés de toutes les nuances de bleu possibles et imaginables, le lit couvert de tissus vaporeux, une petite table servant visiblement pour les repas - qu’à son avis seul Florent devait prendre, une ottomane placée près des fenêtres et une petite pièce placée à l’écart, devant certainement être la salle de bain…et d’où s’échappaient des bruits mouillés.
    Quelqu’un occupait cette salle de bain.
    Et ça ne pouvait être que Florent.
    Déglutissant à grand peine, Elizia tenta de prendre une inspiration - tremblante - avant de rassembler tout son courage, et de s’avancer vers la porte, main tendue vers la poignée.
    Fou de joie, mais également de terreur, il ne parvenait pas à renflouer le flot de questions et de doutes qui l’assaillait : Comment va-t-il réagir? Allons-nous tomber dans les bras l’un de l’autre comme auparavant, ou alors rester face-à-face sans rien oser nous dire? Devrais-je commencer à parler le premier, ou faut-il que je le laisse commencer? Et comment vais-je lui expliquer mon état? Sera-t-il dégoûté? Bien sûr qu’il le sera! Mais autrement? Que faire s’il ne l’est pas? Et si…
    Toutes ses questions s’évanouirent à l’instant où la porte s’ouvrit.
    Sa main venait à peine d’enserrer la poignée, mais Florent l’avait faite tourner avant lui, et c’est face-à-face qu’ils se retrouvèrent, la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés.
    Florent semblait être tout droit sorti de la douche, et la vision de son corps nu et encore luisant d’eau fit jaillir de nombreux souvenirs incluant des nuits torrides et romantiques au bord d’un lac ou dans leurs salle de bain, à faire l’amour avec passion dans une eau rendue mousseuse par leurs ébats.
    Plusieurs secondes s’écoulèrent avant que l’un et l’autre ne puisse prononcer la moindre syllabe. Ils avaient tant de choses à se dire, et si peu de temps pour le faire!
    Les larmes vinrent aux yeux d’Elizia en voyant le visage de son tendre amour. Ses cheveux étaient toujours aussi blonds et fins. Ses yeux vibrant d’un vert toujours si lumineux et perçant. Sa peau de lait semblait être toujours aussi douce au toucher. Mais l’innocence et la gaieté avaient déserté son sourire et son regard, et les cicatrices - petites et peu nombreuses cela-dit - parcouraient son corps comme des épines sur la tige d’une rose. Qui lui avait donc fait ça?
    Il avait tant changé, tant mûri! Jamais pareille expression n’avait entamé sa physionomie si juvénile, et le brun se rendait compte avec douleur que lui aussi était passé par de terribles épreuves.
    Plongeant son regard dans celui tout aussi embrumé du blond, Elizia vit qu’il partageait la même vision à propos de lui. Il le voyait tel qu’il était : porteur d’un être contre-nature, souillé et brisé. Mais à son plus grand soulagement, il n’y décela ni horreur ni dégoût, juste un amour insondable qui n’avait jamais trouvé de fin, et un soulagement infini d’avoir enfin retrouvé l‘homme qu‘il aimait plus que tout.
    - Mon amour…
    Le premier mot avait finalement été dit, mais aucun des deux n’aurait pu ou su dire par qui il avait été prononcé.
    La première caresse de leurs mains sur leurs visages entraina la rencontre de leurs lèvres qui s’unirent dans un même mouvement. Cette étreinte fut lente, douce, délicieuse et terriblement libératrice. Se joignirent à elle, les larmes. De bonheur, de soulagement, d’abdication et de réjouissance.
    Ce bouquet de sensation fût si puissant que le couple se laissa tomber à genoux, s’embrassant avec de plus en plus de passion à même le sol, se jurant en silence des mots d’amour dans un langage qu’eux seuls pouvaient comprendre.
    Leurs mains caressaient leurs corps - nu pour Florent, encore vêtu de sa tunique pour Elizia -, la fièvre et le manque les faisant gémir de plaisir. L’un comme l’autre étaient déjà durs de désir, et les vêtements du brun finirent rapidement au sol. Mais soudain Elizia eut un geste de pudeur qui trahit son malaise et la honte qu’il avait de son état. Recroquevillé comme un insecte, il entoura son corps de ses bras, et s’éloigna le plus possible de Florent, tachant de cacher son ventre rebondit par l’enfant qu’il sentait sans cesse bouger en lui.
    - Je…Pardon mon amour, mais je ne peux pas.
    Blessé, Florent tenta de s’approcher de lui, mais s’immobilisa quand le brun recula.
    - Tu ne peux pas quoi?
    Elizia baissa les yeux.
    - Tu vois de quoi j’ai l’air? Suis-je encore un homme à tes yeux? Florent, nous ne sommes plus qui nous étions! Il y a six mois, je t’aurais saisit sans douceur pour te faire l’amour jusqu’au petit jour! Mais maintenant, regarde-moi! Je ne suis plus que l’ombre de moi-même! J’ai été réduit à moins qu’humain! Tu ne mérites pas qu’un être tel que moi pose la main sur toi. Je ne te mérite pas. Alors je…Je suis désolé, mais je…Je ne peux plus te faire l’amour.
    Sidéré, Florent considéra son ancien maitre d’un regard dur, un pli amer barrant le dessin de sa bouche autrefois si rieur.
    - Crois-tu être le seul à avoir été souillé? Moi non plus je n’ai rien fait de salutaire ou d’honnête! Tu portes l’enfant d’un démon, qu’importe! Moi je suis bien devenu l’esclave sexuel d’un Pantin! Il y a quelques semaines, je priais pour éviter qu’il ne me touche, à présent, je supplie qu’il me prenne! Alors d’après toi, qui est le plus impur de nous deux?
    Il fit une pause afin de réduire la distance qu’Elizia avait imposée entre eux, et ce ne fût qu’une fois assis en face de lui qu’il reprit d’une voix plus douce:
    - Et depuis quand es-tu devenu si vulnérable, si abattu? Où sont donc parti la volonté de fer, la légendaire fierté, et l’entêtement sans failles que je t’ai toujours connu? La loque que j’ai devant moi n’est pas l’Elizia Von Waldorf que j’ai rencontré et dont je suis tombé follement amoureux dès le premier regard! Rend-moi le vrai Elie, celui que j’aime et qui me fait vibrer depuis le premier jour de notre rencontre! Je t’en supplie, j’en ai tant besoin!
    Malgré lui, Elie eut un choc. Manifestement, Florent n’avait pas subi de changement que d’un point de vu physique, mais également à un niveau psychologique! Il était bien plus mature qu’à l’époque où ils vivaient au manoir, et bien plus autoritaire et cynique aussi. Mais bien que ce discours fût pour lui l’un des plus beaux qu’il ait jamais entendu de toute son existence, il ressentait tout de même un petit pincement au cœur. Son innocence s’était définitivement évaporée, et la maturité qui teintait ses paroles pénétrait en lui comme un baume réparateur, délicieux, chaud et réconfortant. Rétablissant en lui sa fierté, soignant son amour-propre par trop de fois blessé et remettant sur pied la combattivité qu’il avait cru avoir perdu tant de fois déjà.
    Emu jusqu’aux tréfonds de son âme, Elizia Von Waldorf leva les yeux vers le blond et murmura d’une voix rauque:
    - Seigneur, comment ai-je pu vivre sans toi jusqu’à présent?
    Florent lui rendit son regard avec amour, une main tendrement posée sur sa joue.
    - Tu as vécu de la même façon que je l’ai fait: en pensant constamment à nous deux et à la perspective de sortir un jour d’ici en un seul morceau. Maintenant laisse-toi faire, ne te soucie de rien, je m’occupe de tout.
    - Florent non! Attend…
    - Chut…
    Elizia se senti doucement poussé vers l’arrière, et tenta de résister. Mais Florent avait d’avantage de motivation que lui, et il cessa bientôt de lutter lorsqu’il comprit que la flamme dans ses yeux verts ne pourrait pas s’éteindre autrement que par ce qu’il désirait à cet instant : faire l’amour avec lui.
    - J’ai envie de toi Elizia, ne me prive pas de ça alors que tu en as autant envie que moi, tu n’as pas ce droit…
    Dieu qu’il avait raison! Mais le brun se sentait si embarrassé! Allongé ainsi au sol, il exposait son ventre nu et gonflé aux regards affamés du blond, et il avait si peur que cela ne le dégoûte!
    Glissant sur son corps avec une incroyable sensualité, le plus jeune mordilla son oreille et susurra:
    - Dans mon esprit et mon cœur tu es toujours cet homme brun et ténébreux, merveilleusement fort et intelligent, doté d’une confiance en lui inébranlable. Peu importe ce que ce démon t’as fait, pour moi rien a changé. Je t’aime toujours autant, et tu m’excites plus que jamais.
    Vaincu, Elizia se laissa faire, savourant avec délices la chaleur de la bouche de son amant sur ses lèvres, sur son torse, et sur son sexe durci. Ils allèrent délibérément lentement, comme d’un commun accord, appréciant chaque seconde passée ensemble avec un plaisir inouï.
    La jouissance du brun arriva sans prévenir, mais Florent pris soin de ne rien en perdre, sa gourmandise n’atteignant aucune borne.
    Au-delà de la simple satisfaction physique, ils flottaient sur un petit nuage de plaisir sans limite, apaisant la faim discontinue de tous leurs sens. Mais ce monde de coton s’évanouit lorsque, s’accroupissant au-dessus d’Elizia, Florent voulu s’empaler sur son membre à nouveau gonflé.
    Mais il ne pouvait tout simplement pas le faire.
    Inquiet de cet arrêt soudain, le brun se redressa sur un coude.
    - Qu’est-ce qu’il se passe? Quelque chose ne va pas?
    Florent lui jeta un regard brûlant.
    - Je ne sais pas. On dirait que quelque chose ou quelqu’un m’empêche d’aller plus loin. Tu ne ressens rien toi?
    Pendant un instant, ils essayèrent différentes positions, pour finalement tomber d’accord sur un point : il leur était physiquement impossible d’aller plus loin que de simples caresses.
    - C’est étrange, on dirait qu’une barrière est dressée entre nous.
    - C’est d’un frustrant!
    Elizia se retint de rire. La réaction de Florent était si enfantine! Elle lui rappelait le Florent d’avant, qui souriait et riait de tout.
    Avisant le lit, il proposa qu’ils s’y lovent, histoire de compenser leur tentative sexuelle avortée par des câlins sous la couette. Florent accepta, trop content de pouvoir se coller à l’homme qu’il aimait plus que tout, mais voulu d’abord changer les draps : il refusait catégoriquement qu’Elizia et lui se couchent sur les mêmes tissu où Adonis l’avait violé!
    Durant l’opération, tous deux se racontèrent leur histoire. Elizia relatant son arrivée dans l’école et des conditions et de vie et d‘étude, sa première rencontre avec le Maître, du pacte qui liait sa mère, son père, le Maître et lui-même, ses harcèlements et ses viols, l’histoire de la Création du Monde, sans oublier les Eléments et leurs porteurs. Il parla également de Sorrel et de l’une de ses différentes fonctions qui lui avait permis de se transporter jusqu‘ici, du rôle des Pantins ainsi que la scène de rejet qu’il avait vu se dérouler entre le Maître et Adonis, de l’existence d’une entité prénommée Paélia et d’un monde appelé le Mondrose, des desseins du Maître à son égard et du pourquoi de son état sans oublier un seul détail.
    Florent ne commença son récit qu’une fois qu’ils furent allongés sous les draps, collés l’un a l’autre comme les deux moitiés d’un même objet. Il lui parla d’abord de la solitude qu’il avait ressenti lors de son départ du manoir, puis son enlèvement et les conditions dégradantes de sa captivité dans les cachots de l’école, les évènements qui l‘avaient conduit à sa position actuelle d‘esclave sexuel d‘Adonis, sa rencontre avec Tessa et les conditions de son sauvetage lors de l’attaque du Léviathan. Il lui parla également de Paélia et de sa première rencontre avec elle, et lui révéla les plan finaux du Maître à propos des élèves de cette prison, ainsi que la raison pour laquelle le Maître empêchait quiconque de sortir une fois la nuit tombée.
    Faire leurs récits respectifs avait pris plus de deux heures, mais au moins, ils savaient tout.
    Blotti entre les bras nus du brun, le blond demanda, la voix ensommeillée :
    - Et les rêves? N’en as-tu pas fait? Moi je n’arrêtais pas de faire des songes étranges, où toi et moi faisions l’amour dans un champ de roses, avant d’être séparés par un gouffre où nous tombions sans discontinuer jusqu’à nous perdre dans l’obscurité la plus totale…
    Elizia déposa un baiser sur son front avant de répondre.
    - Moi aussi mon cœur je faisais les mêmes rêves...

    ***

    - Je vous attendais.
    Elizia et Florent se retournèrent vivement à l‘entente de cette voix mélodieuse. Leur corps minuscules faisaient face à une lune gigantesque lune argentée et brillante, tout aussi spectaculaire que le champ de roses qui s’étendait sous leurs pieds.
    Ils se trouvaient dans le Mondrose.
    - Vous nous attendiez?
    Paélia, divine et majestueuse, leur adressa un étrange signe de tête, mais ne répondit pas à la question de Florent.
    - Je vois que vous êtes parvenus à vous retrouver. C’est bien. Le courage de deux est bien plus fort que celui d’un. Avez-vous trouvé son nom?
    Les deux jeunes hommes se regardèrent, gênés. Ils avaient oublié cette partie de leur mission.
    Encore une fois, Florent se risqua à répondre.
    - Oui et non Dame Paélia. Le Maître s’est présenté comme se nommant Idalgo, mais je doute que ce soit cela que vous cherchiez.
    Bien que cela ne soit pas visible pour un œil humain, le brun eut l’impression qu’elle plissait les yeux d’un air mécontent. D’autant plus qu’elle semblait le détailler de haut en bas avec une répulsion palpable.
    - En effet, ce n’est pas ce que j’attendais. Finalement, confier ce genre de travail à des humains, n’est pas recommandé, mais à qui d’autre de fiable puis-je m’adresser? Je n’ai que vous! D’ailleurs, humain, je vois que tu portes en toi une infamie! La honte doit te cuire n’est-ce pas? Ne souhaites-tu pas ardemment en être débarrassé?
    Cette question fût comme la chute d’une pierre dans l’estomac d’Elizia : voulait-il être débarrassé de ce qui lui causait tant de honte?
    N’était-ce pas ce qu’il avait tant souhaité ces dernières semaines? Pouvoir se défaire de ce fardeau anormal? Alors maintenant qu’il en avait enfin l’occasion, qu’allait-il faire? Accepter ou refuser?
    Mais avant qu’il ne puisse répondre, il vit Florent s’interposer entre lui et Paélia, formant à lui seul une bien fragile et mince barrière.
    - Vous êtes peut-être infiniment puissante Dame Paélia, mais vous ne pouvez décider de la vie d’un enfant!
    - Cette créature n’est pas un enfant ordinaire, elle n’a rien d’humain. Elle doit être détruite, pour le bien de l’humanité.
    - Bien sûr que si elle est humaine! Enfin, juste en partie, mais elle l’est! Et elle fait partie d’Elizia tout comme il fait partie d’elle! On ne peut la détruire elle sans le détruire lui!
    Elizia se senti chanceler. Depuis quand Florent pensait-il cela de lui? C’était inimaginable! Et lui qui croyait bien faire en se fustigeant!
    Mais il avait raison, cet enfant, bien qu’en partie démoniaque, était également une partie de lui, et il se devait de l’accepter. C’était maintenant ou jamais.
    - Je refuse.
    Un silence de mort suivit sa réplique. Mais il prit une grande inspiration et répéta:
    - Je refuse. Il est hors de question que vous touchiez à mon enfant.
    La Gardienne ne dit rien pendant un moment qui leur paru interminable leur coupant partiellement le souffle. Puis la tension qu’elle faisait planer dans l’air s’atténua peu à peu, leur permettant de respirer un peu mieux.
    - Réalises-tu toute la portée de ta décision humain?
    Le regard dur, le brun enserra dans sa main, celle du blond, lui transmettant sa force par ce contact unique.
    - Oui je la réalise, et je me porterai entièrement responsable des conséquences. Cet enfant est le nôtre.
    - Très bien. Alors je vous renvoi, avec pour but cette mission très claire cette fois-ci : rapportez-moi le nom de ce démon ou votre enfant ne verra jamais le jour. Il en va de votre survie.
    Elizia s’avança d’un pas.
    - Nous trouverons son nom, mais par pitié, accordez-nous une faveur! Brisez les liens qui nous enchainent à eux! Rendez-nous à nouveau libres de nos mouvements!
    Un vent de compassion les enroba suite à cette supplique, suivit d’un sentiment de déception si intense qu’il les fit chanceler.
    - Je vous trouve bien prétentieux. Me demander des faveurs alors que vous ne m’apportez que du vide… Pauvres petits hommes, je vous aurait bien délivré de vos fardeaux si cela avait été en mon pouvoir, mais les sorts ne peuvent être défaits que par ceux qui les lancent, je ne vous suis donc d’aucune utilité. Néanmoins, je peux passer un marché avec vous. Si vous m’apportez le nom réel de ce démon incube, alors je délivrerai Adonis de sa condition de Pantin de Luxure, ce qui rendra sa liberté à Florent. Cela vous convient-il?
    Cette proposition de libération partielle était plus qu’ils n’avaient osé espérer, et il s’empressèrent d’accepter.
    - Alors marché conclu. Mais je vous préviens, à la lune suivante, je veux une réponse.
    Ils avaient donc un mois.
    Et ils n’avaient pas intérêt à trainer!

    ***

    Lorsque Elizia se réveilla, se fut aux bruits de sussions.
    Florent lui baisait tendrement le corps, éveillant ses sens endormis d’une façon si agréable qu’il senti ses membres se détendre instantanément. Ses caresses sur son sexe étaient délicieuses, et il durci lentement dans sa main jusqu’à atteindre l’orgasme.
    Ses soupirs de plaisir attirèrent l’attention du jeune homme qui se redressa pour mieux fixer ses émeraudes dans ses onyx, échangeant avec lui un message amoureux connu d’eux seuls.
    - J’adore quand tu me réveilles comme ça…Huuum!
    Florent étouffa un rire.
    - Oui, et moi j’adore te réveiller comme ça mon amour…
    Puis il l’embrassa.
    Et les portes de la chambre s’ouvrirent avec fracas, les faisant sursauter tous les deux. Mais d’un bond, Florent fut à genoux sur le lit, et fixa le nouveau venu d’un regard triomphant.
    Adonis se trouvait juste devant l’entrée de la chambre, la colère défigurant la beauté de ses traits, les poings sur les hanches et les cheveux en bataille.
    Il était absolument hors de lui, complètement furieux et fou de rage. Mais Florent riait à gorge déployée!


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  • 24.

    Initialement, son intention n’avait pas été de revenir aussi vite sur ses pas lorsqu’il avait débuté une de ses promenades ponctuelles dans les Abysses. Mais la fluctuation, légère mais néanmoins bien réelle et présente, qui avait affecté le lien qui le rattachait à Florent quelques instants après son départ de la chambre l’avait fortement inquiété. Ne connaissant pas sa provenance ni la raison pour laquelle elle l‘affectait lui, Adonis avait préféré faire rapidement demi-tour.
    Paniqué et inquiet, il était entré en trombe dans la pièce, craignant le pire pour la vie et la sécurité de son jouet. Mais alors qu’il tentait de retrouver son souffle perdu dans sa course effrénée, son regard chercha la silhouette de Florent parmi les meubles, et ce qu’il vit lui causa un choc absolument fatal.
    Douleur. Colère. Haine. Désespoir. Souffrance. Trahison.
    Il n’y avait pas de mots pour définir le maelstrom d’émotions qui envahit d’un même mouvement son corps et son esprit déjà bouillonnants d’une rage incommensurable.
    Bien qu’il connût déjà ces sentiments pour les avoir déjà ressentis maintes et maintes fois à cause des trahisons et des infidélités du Maître à son encontre, il se sentait sur le point d’arracher le cœur et la tête à ces deux énergumènes qui osaient le défier ouvertement sur son propre territoire!
    Comment Florent, son objet, sa chose acquise de droit, osait-il batifoler avec le jouet du Maître, celui qui lui avait fait perdre sa place dans son lit et condamné à une faim perpétuelle ?
    Le corps tremblant de colère, Adonis serra violemment les poings et s’avança vivement d’un air menaçant vers le couple encore enlacé sous les draps.
    - Vous êtes morts.

    ***

    Lorsqu’il vivait encore au manoir des Von Waldorf, Florent aurait dit de lui qu’il était un homme particulièrement doux et docile, mais également doté d’une fierté si peu affirmée qu’elle en était presque inexistante.
    Or depuis qu’Adonis avait fait de lui son esclave sexuel, le contraignant ainsi aux pires ignominies, qu’Elizia avait été enlevé et avait été lui aussi rendu esclave avant d’être violé et d’être contraint à porter la progéniture d’un démon, toute douceur et soumission s‘étaient évanouies, ne laissant derrière elle qu‘ironie et sarcasme dans leur splendeur la plus totale.
    Cessant brutalement de rire, Florent glissa lentement une jambe hors de la couche, et entraina les draps avec lui lorsqu‘il sorti du lit. Il entendit vaguement les protestations de son compagnon qui n’avait rien pour couvrir sa nudité, mais n’y prêta pas d’attention réelle, car c’était Adonis qui monopolisait tout son intérêt.
    Avançant vers lui d’une démarche sûre, il plongea son regard, étrangement calme et détaché, avec un aplomb sans bornes dans celui, si brûlant de haine et de pulsions meurtrières du Pantin. Il aurait, logiquement, dû trembler de peur devant un tel étalement de fureur et de flux magiques, mais Florent ne craignait plus Adonis, plus après ce que Paélia leur avait promis s’ils réussissaient la mission qu’elle leur avait donné, plus après avoir pris Elizia dans ses bras, plus après avoir retrouvé son amour, sa chaleur, ses baisers…
    Pris d’un délicieux vertige, le jeune homme se laissa aller à rire à plein poumons. Si d’un point de vue purement physique, il était encore lié au Pantin coléreux, qu’elle différence il y avait au niveau de son esprit et de son cœur! Il les sentait palpiter en lui, pleinement libérés de tout joug extérieur. Oh, comme il se sentait léger!
    Alors qu’Adonis était pratiquement sur lui, le poing levé dans l‘intention visible de le frapper au visage, Florent décela une lueur d’incompréhension au fond de ses pupilles bleues: son hilarité et son absence de peur le perturbaient. Le jeune homme sourit.
    - J’ai un marché à te proposer Adonis.
    Le concerné marqua un temps d’arrêt, le regard troublé, et Florent pu y lire toutes les émotions et les questions qui l’assaillaient : se moquait-il de lui? Pourquoi riait-il et n’était-il pas effrayé? Était-ce un piège? Devait-il écouter ce qu’il avait à lui dire ou devait-il au contraire le tuer sans plus attendre?
    Amusé, Florent sentit ses lèvres s’étirer davantage. D’une voix suave où perçait toutefois une dureté nouvelle qu’Elizia fut à la fois étonné et peiné d’entendre, il murmura:
    - Tu ferais une erreur en me tuant tout de suite Pantin. Ce que j’ai à te proposer vaut surement à tes yeux toutes les morts du monde.
    Ravalant difficilement sa fureur, Adonis se força à prendre une grande inspiration pour se calmer un minimum et le considéra d’un œil soupçonneux. En voyant son air goguenard et sûr de lui, il ressenti une pulsion absolument meurtrière. Oh oui, il était bien plus que tentant de tuer son esclave renégat dans l’immédiat! De se repaitre de son sang et de sa douleur jusqu‘à plus soif! Mais il y avait quelque chose de mystérieux dans la manière qu’avait cet insecte de présenter les choses, et cela l’attirait. Il subodorait que ce quelque chose avait un goût d’interdit, et sans réellement savoir comment ni pourquoi, il sut que ce serait dangereux. Or si c’était dangereux, il y aurait forcément des pertes non?
    Adonis eut un sourire carnassier. S’il devait y avoir des morts, il s’assurerait que ces victimes soient les bonnes! Mais avant toute chose, il devait savoir de quoi il retournait.
    - Je t’accorde un sursis. Si l’idée me plais, je te laisserais vivre jusqu’à la prochaine occasion que j’aurais de te tuer moi-même. Autrement, j’espère que tu as déjà fait des adieux à qui de droit. Je n’use pas de pitié avec la vermine et les traitres.
    Florent s’adossa nonchalamment au rebord d’une commode derrière lui.
    - Étrange, c’est pourtant ce que tu as fait en ce qui concerne le Maître. Il t’as trahit, et pourtant il vit encore…
    Dans un mouvement si rapide que ni Elizia ni Florent ne purent voir, Adonis plaqua sa proie contre le mur le plus proche. Il y enfonça le châtain avec tant de force et de brutalité que la forme de son corps s’imprima à sa surface, faisant tomber des plaques de plâtre du plafond et se fissurer les autres murs de la pièce.
    Le visage situé à moins de deux centimètres de celui de son esclave, Adonis siffla entre ses dents:
    - Prend garde à toi humain! Je ne suis pas d’humeur patiente, et tu pousses déjà bien au-delà de ce que permettent les limites! Maintenant soumet-moi ta proposition, ou je mets fin à ta vie ici et maintenant!
    Florent aurait préféré qu’Adonis ne soit pas si près de lui, car la magie qui le liait à lui opérait encore sur son corps, et il se refusait à céder au désir qui montait lentement en lui.
    Inquiet, il leva les yeux vers Elizia qui était à demi assis au bord du lit et qu’il devinait être sur le point de sauter à la gorge d’Adonis pour le libérer. Mais s‘il lui venait en aide, il risquait de se blesser lui, ainsi que l‘enfant qu‘il portait, et c’était hors de question!
    Espérant que son amant comprenne qu’il était important qu’il ne s’interpose pas entre le Pantin et lui, pour leur propre sécurité à tout deux, Florent plongea son regard dans le sien et lui fit silencieusement comprendre qu’il n’était pas blessé et qu’il fallait qu’il lui fasse confiance.
    Reportant son attention sur Adonis qui le clouait toujours au mur d’un bras sous son menton, Florent articula d’une voix hachée par sa respiration erratique:
    - Desserre…un peu…ta prise…. J’ai du mal…à respirer!
    Il continua d’une voix plus lisse lorsque la pression sur son cou s’atténua.
    - Ce que je te propose, c’est une opportunité de te libérer définitivement de l’emprise du Maître. En échange de quoi, tu nous aidera à découvrir son véritable nom et à nous échapper de cet endroit.
    Puis il fit une pause avant d’ajouter :
    - Sains et saufs.
    Stupéfait par la hardiesse de ce qu’il venait d’être dit, Adonis éclata d’un rire froid qui se répercuta en échos puissants à travers toute la chambre et laissa d‘étranges frissons sur la peau de tous les occupants.
    - Par les tous Saints de la Création Florent Berscham tu ne manques pas d‘aplomb! Jamais encore je n’ai vu pareille arrogance! Me prends-tu pour un demeuré? Penses-tu que je vais te croire, toi qui n’est qu’un vulgaire humain, un insecte, un grain de poussière par rapport à moi? A nous, autres démons et Pantins dotés de pouvoirs inimaginables? Alors quoi, tu penses avoir assez de pouvoir pour me libérer du Maître? Et définitivement de surcroit? C’est impensable et impossible.
    Faisant craquer les articulations de ses doigts, Adonis eut un sourire carnassier.
    - Bien, tu as eu tout le temps de t’exprimer. Maintenant passons aux choses sérieuses, la plaisanterie à assez durée. J’espère que tu as fait tes adieux dans les règles Berscham, parce que je vais te tuer ici-même, et ce avec une lenteur plutôt extrême.
    Alors qu’il exécutait un pas vers le jeune homme, la main d’Elizia s’abattit sur sa joue en une gifle retentissante, et soudain, la tension accumulée dans la pièce sembla monter de plusieurs crans.
    - Adonis, tu ne tueras personne pour l’instant. Florent et moi avons rencontré la Gardienne du Mondrose, et elle nous a confié une mission. Nous devons détruire le démon de luxure qui se cache sous le pseudonyme d’Idalgo, et pour cela nous avons besoin de ton aide.
    Florent qui avait bien sûr assisté à toute la scène, restait figé de stupeur. A demi caché par le corps imposant de son compagnon, il ne parvenait pas à se souvenir d’à quel moment celui-ci était parvenu jusqu’à eux. Elizia avait réagi avec une telle vitesse! Il ne l’avait pas vu venir, et sa réaction montrait qu’il était encore son merveilleux protecteur de toujours, que l’homme déterminé et dominateur n’avait pas encore été totalement annihilé par les épreuves qu’il avait subies.
    Elizia Von Waldorf était bel et bien encore de ce monde, et il était devenu plus fort qu’auparavant.
    - Comment oses-tu!
    Cachant sa joue meurtrie d’une main, il pointait un doigt accusateur de l’autre sur Elie, crachant vers lui avec hargne.
    - Tu as eu tort de t’interposer ainsi Von Waldorf, et pour cela tu vas mourir toi aussi!
    Furieux, il laissa retomber la main qui couvrait la partie rougie de son visage et laissa couler sur le corps du brun un regard empli de dédain.
    - Il semble bien que porter la progéniture de ce monstre t‘apporte une certaine fierté à ce que je vois. En d’autres circonstances petit baron, jamais je n’aurais pas osé porter la main sur toi. Mais depuis les choses ont changées, et je n’accorde plus aucune espèce d’importance à ce qui appartient à ce démon! Il y a bien longtemps, j’aurais donné ma vie pour sauver la sienne. Mais à présent, je n’ai qu’un rêve, être celui qui lui ravira son souffle!
    Elizia s’avança d’un pas.
    - Toi et moi avons le même désir Adonis. Tous deux, nous désirons la mort de ce démon, alors pourquoi ne pas t’associer à nous? Nous serons bien plus fort en étant unis contre lui, et Paélia peut nous aider de bien des façons! De plus elle a promis que….
    - Cela suffit.
    D’un pas leste, Adonis se mit à déambuler dans la pièce, les mains jointes dans le dos, et une trompeuse expression de calme sur le visage.
    - Je ne veux plus vous entendre, car je crois avoir assez soupé de vos balivernes. Vous, comme moi, êtes incapables de tuer le Maître! Rien ne me fera envisager le contraire, et surtout pas cette Gardienne du Mondrose! Le Maître est bien plus retord que vous pouvez l’imaginer, et il cache bien des tours et des secrets en son sein. Il a œuvré tellement dur ces derniers siècles pour conduire à bien le plan qu’il a formé! Mais c’est dommage pour lui, après tout le mal qu’il s’est donné pour vous attirer à lui Elizia, jamais il ne verra la naissance de son fils…Car je ne le laisserais pas voir le jour!
    Souriant, il tendit les mains vers les deux hommes qui lui faisaient face.
    - Saluez donc Paélia pour moi quand vous la verrez…Là-haut. Et dites-lui bien que je n‘ai que faire d‘elle et de ses si honorables missions!
    Et sans plus de palabres, le Pantin incanta une formule magique, une insatiable folie meurtrière prenant possession de son regard bleu, avant de lancer le sort sur le couple acculé contre le mur, ne leur laissant aucune chance de s’enfuir.

    ***

    Elizia voyait très bien le jet de magie qui s’apprêtait à les réduire en cendre d’une minute à l’autre, mais il ne voyait pas comment y échapper. Florent et lui étaient coincées dans les replis d’un mur, et quoi qu’ils tentent, ils ne seraient pas assez rapides pour l’éviter.
    Derrière lui, il sentait bien la tension qui habitait son amant, et tenta tant bien que mal de le protéger en faisant barrière de son corps. Mais cela ne serait pas suffisant pour le sauver, il le savait.
    Ils avaient échoué.
    Tous deux avaient failli à la mission que la Gardienne leur avait confiée, et ils allaient mourir ici, dans cet endroit maudit et plein de souffrances sans avoir eu le temps, ni la possibilité de changer quoi que ce soit à leur situation. Rien n’avait été accompli, et c’était de leur faute.
    Enserrant Florent dans ses bras avec force, Elizia plongea une dernière fois son regard dans le sien et articula un silencieux « je t’aime », au moment même où éclata une puissante déflagration.
    Une lumière aveuglante envahit soudainement tout l’espace de la pièce, et Elizia se prépara au choc imminent du sort qui allait s’abattre sur son corps exposé et qui devait les détruire tous les deux.
    Mais rien de se produisit.
    Et un long moment s’écoula avant que les deux hommes ne le réalisent.
    Surpris d’être encore en vie, ils se redressèrent avec prudence et méfiance, avant de jeter un coup d’œil circulaire à la pièce.
    Tout avait été carbonisé, sauf eux et Adonis qui gisait au sol.
    Les murs, le sol et le plafond, ainsi que tout ce que contenait la chambre, avaient été détruits et réduits en tas de cendre. Il ne restait plus grand-chose de la splendeur de la Chambre Bleue, à part le coin de mur où se trouvaient Elie et Florent et qui était resté mystérieusement intact.
    Inquiet, le plus jeune demanda d’une petite voix :
    - Elie, est-il mort?
    Pas plus rassuré que son amant, Elizia répondit :
    - Je n’en sais rien, mais j’espère que ce n’est pas le cas, car autrement, jamais plus nous ne pourrons sortir d’ici.
    En effet, Adonis n’avait pas donné à Florent, la permission de sortir de la chambre, et concernant Elizia, le cas n’était pas plus optimiste. Il était arrivé par l’une des dupliques de Sorrel et celle-ci avait aussi été détruite. En cela, il lui était impossible de retourner à sa chambre par ce moyen-ci.
    - Oh Seigneur! Qu’allons-nous faire?
    Elizia n’avait pas de réponse, mais en revanche, un tas de questions fourmillait dans son esprit. Certes, il était heureux d’être encore en vie et qu’Adonis soit hors d’état de nuire, mais à quoi ou à qui le devait-il? Il aurait été impossible au Pantin de les manquer étant donné la distance si restreinte qu’il y avait entre eux, et personne n’aurait pu survivre à une attaque magique d’une telle puissance!
    Soucieux, le jeune baron fronça les sourcils. Etrangement, le sort semblait s’être retourné contre son invocateur, or Adonis ne semblait pas être du genre à échouer en magie, alors qu’est-ce qui avait bien pu causer un tel retournement de situation?
    Il en était là de ses réflexions lorsque Florent lui montra Adonis du doigt.
    Apparemment, celui-ci n’avait été qu’assommé, car il se releva avec peine et boitait un peu. Mais visiblement, il n’avait rien perdu de sa hargne, car lorsqu’il vit que tous deux étaient encore en vie, il braqua sur eux un regard meurtrier et hurla :
    - POURQUOI ÊTES-VOUS ENCORE EN VIE? VERMINE INSOLENTE! NE VIENS-JE PAS DE VOUS TUER?
    Croisant les bras sur son torse, Elizia garda un visage impassible.
    - Nous ne le savons pas, et d’ailleurs, il est inutile de hurler ainsi contre nous Adonis. Effectivement, nous sommes encore vivants, mais ce n’est pas de notre fait. Apparemment, ton sort semble s’être retourné contre toi, mais je ne sais pas comment, ni pourquoi cela s’est produit.
    Adonis, la tenue vacillante, tanguait quelque peu sur ses pieds alors qu‘il parcourait la pièce du regard d’un mouvement lent.
    - En effet oui, mon Destructus ne vous a pas tué, mais semble avoir ricoché sur quelque chose, ce qui a eu pour résultat de réduire en cendre tout le reste. Qu’à cela ne tienne, ce ne sont que des objets, rien de bien irrécupérable.
    Puis il remis tout en l’état d’un geste négligeant de la main. Ce fût comme si l’explosion ne s’était jamais produite, et bientôt ils baignèrent à nouveau dans un environnement de coton et de ciel bleu.
    Reportant son attention sur Elizia qui avait passé un bras autours des hanches de Florent d’un geste très possessif, Adonis plissa les yeux et murmura.
    - Ne vous croyez pas si vite sorti d’affaires humains. Vous avez survécu une fois, cela ne signifie pas que cela va se reproduire. D’ailleurs, Florent m’appartient encore, alors sache que ce genre de comportement ne m’impressionne pas.
    Furieux à son tour, Elizia montra serra les poings.
    - Florent ne t’appartient pas! Il est mien et je suis sien, et ce depuis qu’il est à mon service! Nos cœurs et nos esprits sont liés de bien des manières que tu n‘es pas capable d‘imaginer, alors ne crois pas pouvoir nous séparer si facilement!
    Elizia se comportait comme un mâle dominant contraint de rugir et de montrer les crocs pour défendre son territoire et revendiquer son pouvoir ascendant sur sa femelle. Mais bien malgré lui, Florent tirait un certain plaisir de son attitude ouvertement dominatrice. Lui qui avait été un long moment revendiqué comme la propriété d’un autre, cela lui faisait du bien de retrouver ses vraies attaches. Et voir qu’Elizia l’énonçait tout haut, lui était bien plus que précieux et lui donnait des frissons partout.
    A ce discours, les yeux déjà plissés du Pantin se muèrent en deux fentes minces.
    - Tu oses encore me défier Von Waldorf! Cette fois c’est assez!
    Sous son incantation, un nouveau jet de magie s’échappa d’entre ses mains, et fonça droit sur le couple en lacé.
    Mais celui-ci n’atteignit jamais sa cible, car il s’écrasa contre un mur invisible, et s’y évanouit en de misérables gerbes de lumière.
    Stupéfait, Adonis laissa retomber ses bras le long de son corps d’un mouvement flasque, balbutiant d’une voix plate :
    - Tu as…Tu es…Oh Seigneur, cet enfant!
    Puis il leva les yeux vers le baron, une étrange lueur dans le regard.
    - Elizia, cet enfant te protège! C’est lui qui fait dévier mes sorts, car il créé un champ de force autours de toi! Par tous les saints, cette créature possède déjà des pouvoirs immenses!
    Incrédule, le baron observa son propre abdomen. D’une main tremblante, il en caressa l’arrondi, appréciant de sentir sous ses doigts, les petits coups du bébé, comme s’il le saluait.
    Souriant avec amour, Florent caressa lui aussi le ventre rond, et recouvrit doucement la main de son aimé de la sienne, partageant ainsi ce moment de tendresse qui n’appartenait qu’à eux.
    Un peu groggy de bonheur, Elizia murmura pour son enfant :
    - Merci mon grand, grâce à toi papa est encore vivant. Je vais essayer de ne pas gâcher cette seconde chance!
    Puis il repris son sérieux et s’adressa au Pantin :
    - Quoi qu’il en soit, cela m’arrange, puisque je ne tenais pas particulièrement à mourir avant d’avoir réussi à m’échapper d’ici et de t‘avoir libéré de l‘emprise du Maître.
    L’esprit encore tout entier plongé dans la frustration et la stupéfaction, Adonis ne réagit pas tout de suite. Mais lorsqu’il comprit les paroles du baron, la méfiance teinta sa voix et se peignit sur son visage.
    - Vous…pensez encore à me libérer? Je viens de tenter de vous tuer et vous songez toujours à m’aider? Ses paupières se plissèrent.
    - Pourquoi?
    Florent lui offrit un sourire dont l’aspect indulgent fut démenti par la lueur dure qui brillait dans ses yeux.
    - Oui nous y pensons toujours, mais sache que ce n’est pas par pur altruisme. Comme Elizia te l’a dit, la destruction du Maître est notre désir commun, mais pour y parvenir, nous avons besoin de ton aide car nous n‘y parviendrons pas tout seuls.
    Bien sûr, les deux hommes ne disaient pas toute la vérité. La libération future d’Adonis de sa condition de Pantin n’était qu’un appât destiné à le convaincre de joindre ses forces aux leurs. Car en définitive, ce qu’Elizia et Florent espéraient, c’était la destruction du lien qui unissait les deux blonds.
    Certes, ils mentaient à moitié, mais c’était pour maintenir l’illusion d’une bataille unique, il ne fallait pas qu’il se doute qu’autre chose se tramait derrière tout cela.
    Gardant le silence pendant un long moment, Adonis s’accorda un temps de réflexion.
    Il savait que se dresser ouvertement contre le Maître, c’était risquer la mort à tout instant. Celui-ci était capable de deviner ses pensées avant même qu’il en ait pris conscience, et c’était d’ailleurs étrange que tout ce qui se tramait ne l’ait pas encore amené jusqu’ici.
    Mais après tout, que risquait-il? Sa santé physique et sa santé mentale étaient déjà vacillantes depuis le rejet du Maître, et le substitut que présentait Florent ne serait valable que pour un temps. Il était humain et finirait un jour par s’éteindre comme tous ceux de son espèce.
    Peut-être valait-il mieux en effet, de se rebeller maintenant et de se joindre à la mutinerie naissante?
    Sa loyauté ne tenait pas à grand-chose ni à qui que ce soit à par Tessa, et ce qu’ils lui proposaient valait en effet, toutes les morts du monde : se venger du Maître et ne plus être un Pantin.
    C’était un rêve, une chimère qu’il avait à peine osé caresser depuis les premiers jours de sa création, mais à présent, il existait une chance qu’il se réalise, et ne pas la saisir…serait folie!
    Dardant un regard circonspect sur les deux hommes qui lui faisaient face, il demanda d’un ton neutre :
    - Ne vous faites pas d’illusion, faire affaire avec vous n’efface en rien la haine que j’éprouve envers vous. J’accepte votre offre à la condition que Tessa soit saine et sauve quoi qu’il arrive. Je ne veux être certain qu’il ne lui arrivera rien en cas d’imprévus, sinon vous pouvez être sûrs que je vous traquerait jusqu‘à votre mort.
    Elizia et Florent échangèrent un rapide coup d’œil. Ils n’avaient pas prévu cela.
    - Et bien, nous n’avons pas pensé à elle lorsque nous avons passé ce marché avec Paélia. Mais nous ferons tout notre possible pour que Tessa n’aie pas à souffrir des conséquences. C’est une promesse.
    C’est alors qu’une voix féline les fit tous sursauter.
    - Et qu’elle est cette promesse petit homme?
    Tessa venait de passer la porte de la chambre, et elle n’avait pas du tout l’air d’apprécier ce qu’elle voyait.

     


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  • Partie 1.

    S’avançant dans la pièce de la démarche gracieuse qui lui était coutumière, la Songeuse fixa son regard rubis dans les pupilles ébène d’Elizia.
    - Te trouver ici…est une surprise. Je te croyais à l’abri dans l’une des chambres du château, et non dans l’une de celles des Abysses. Que fais-tu donc ici?
    Dressant les oreilles et la queue, Tessa n’attendit pas la réponse et parcouru la pièce d’un regard circulaire, murmurant d’avantage pour elle-même que pour le jeune homme.
    - Vu ton état tu devrais être en train de te reposer, et non te trouver debout, à demi nu auprès du…
    Mais lorsque son regard se posa sur le couple qu‘Elie formait avec Florent, elle marqua un temps de pause, avant d’ajouter, le ton cassant :
    - Pourquoi te trouves-tu ici auprès de l‘esclave d’Adonis, et non aux côtés du Maître petit homme?
    Faisant une nouvelle fois barrière de son corps pour protéger Florent d’une éventuelle attaque, Elizia planta son regard dans celui de Tessa et répondit :
    - Bonjour Tessa, cela faisait un moment. Comment te portes-tu?
    L’impatience brillant dans ses pupilles rubis, elle battit l’air de la queue d’un air agacé.
    - Cela fait en effet un certain temps que l’on ne s’est vus toi et moi, mais discuter de la pluie et du beau temps n’est pas d’actualité. Je t’ai posé une question, petit homme, et il serait plus sage pour toi d’y répondre. Maintenant.
    Déglutissant à grand peine, Elizia sentit une goutte de sueur froide lui couler dans le dos.
    Il n’avait pas peur pour sa vie car il savait pertinemment que Tessa n’oserait jamais toucher à un seul de ses cheveux, mais qu’en était-il de Florent? Quel était le pourcentage de risque qu’elle le réduise en pièce juste là devant ses yeux, avant qu‘il ne puisse esquisser le moindre geste?
    La situation en elle-même était plutôt angoissante, car même s’il l’avait côtoyée quelques temps, le jeune homme ne savait rien d’elle. Excepté la profondeur de son dévouement envers Idalgo, il ignorait tout de sa force, de ses pouvoirs et de ses capacités.
    Était-elle capable d’invoquer des sorts comme Adonis? Ou alors n’était-elle qu’une version plus intelligente du félin qu’elle incarnait? Ses seuls pouvoirs résidaient-ils dans sa capacité d’absorber les rêves et de parler comme n’importe quel être humain ou possédait-elle d’autres dons cachés? Et puis d’ailleurs, jusqu’où pouvait-elle aller pour satisfaire les désirs de son Maître? Irait-elle jusqu’à détruire le dernier moyen de survie d’Adonis d’elle-même si cela pouvait Lui faire plaisir?
    Toutes ces questions sans réponses montraient toute l’étendue de l’ignorance d’Elizia à son propos, et soulevaient bien plus de problèmes qu’elles n’en résolvaient. Tout cela ne lui disait rien qui vaille, mais la main que Florent glissa dans la sienne lui donna assez de courage pour regarder la Panthère dans les yeux et lui répondre :
    - Tessa, tu me demandes pourquoi je ne me trouve pas auprès du démon qui a passé un contrat avec mon père et lui a volé son corps, qui m’a attiré dans cet enfer sous un faux prétexte, qui m’a humilié, blessé et violé tant de fois que c’est innombrable, qui m’a séquestré et séparé de l’homme que j’aime pour mieux nous détruire nous et l’amour qui perdure entre nous, qui m’a…mis dans cet état contre-nature?
    Retenant les larmes de rage qui menaçaient de déborder de sous ses paupières closes, il s’interdit mentalement de faiblir et prit une longue inspiration avant de poursuivre, le corps tremblant d’émotion contenue :
    - Si je suis ici, c’est parce que le Maître m’a donné le moyen d’y parvenir. Grâce à Sorrel je peux voyager dans d’autres pièces de cette prison et cela m‘a permis de rejoindre Florent. Retrouver celui pour qui mon cœur bat est tout ce qui compte, et ni toi, ni le Maître ne pourrez y changer quoi que ce soit, quoi que vous fassiez!
    Ces derniers mots lancés dans un cri, résonnèrent longtemps dans le lourd silence que Tessa laissa peser une fois sa tirade terminée. Mais si sa bouche et sa langue ne disaient rien, tout le reste de son corps en revanche exprima son mécontentement. Furieuse, Tessa plissa lentement ses yeux en deux fentes rougeoyantes, hérissa violemment son poil lustré sur son échine, et retroussa les babines dans un rugissement effrayant.
    N’ayant à présent plus rien de câlin et de joueur, mais absolument tout de dangereux et menaçant, Tessa planta nerveusement ses griffes dans le luxueux tapis, résistant au puissant désir de lui sauter dessus pour lui arracher la tête, et gronda entre ses crocs serrés :
    - Adonis! Je veux une explication! Que signifie tout ceci?
    Le concerné, qui s’était éloigné de la zone à risque pour ne pas écoper d’une blessure en cas de combat imprévu, se tenait près du lit, une épaule appuyée contre l’un des quatre montants du baldaquin. Le visage dépourvu de toute expression, il se contentait de regarder la scène de loin sans intervenir, estimant que rien de tout cela ne le concernait. Mais manifestement, ce n’était pas l’avis de son amie.
    Exhalant un long soupir à fendre l’âme, Adonis se soumis à une explication en règle :
    - Te souviens-tu de ce que tu as ressentis lorsque Florent, toi et moi étions dans les cachots? A ce moment-là tu as éprouvé comme une résistance dans le rêve que cet humain faisait, et tu en as déduit que ce phénomène provenait de Paélia, la Gardienne du Mondrose.
    Un frisson de crainte parcourut la Songeuse lorsqu’il prononça le nom de l’entité qui les forçait à vivre emprisonnés. Mais il n‘en dit rien, et poursuivit son récit.
    - Pour faire court, cette…femme ou déesse, quoi qu’elle soit, a pris contact avec les humains que voilà et leur a donné une mission doublée d’un marché : ils doivent trouver le véritable nom du Maître afin de le détruire définitivement, et si je les aide dans leur entreprise, je….Je serais libéré de son emprise. Pour toujours.
    Suite à ses mots, Tessa fit volte-face et détourna son regard rouge du couple pour le fixer sur Adonis, qui n’osait d’ailleurs pas affronter son éclat brillant, n’étant pas certain de pouvoir supporter sans fléchir la douleur et le sentiment de trahison qu’il allait y lire.
    - Alors c’est ça…
    - Tessa…Je t’en prie, ne me regarde pas comme ça…
    - Ne me dis pas comment je dois faire les choses c’est clair? Je n’ai aucun ordre à recevoir de toi! Surtout quand j’entends ce que j’entends et vois ce que je vois! Et ce que je constate c’est que tu as bien changé depuis ces derniers jours! Depuis quand trahir le Maître est devenu un projet concret dans ton esprit?
    Evitant toujours le regard de son amie, Adonis marmonna :
    - Cela a toujours été. Ou du moins, ce désir s’est manifesté quand le Maître m’a rejeté. Je crois d’ailleurs avoir déjà abordé ce sujet la dernière fois dans les cachots.
    - Oui nous avons parlé de ta situation, mais jamais je n’aurais imaginé que…
    - Que quoi hein?
    A son tour piqué au vif, Adonis fixa Tessa dans les yeux et l’inonda de sa fureur.
    - Et que croyais-tu donc Tessa? Dis-le-moi! Que je n’aurais pas assez de courage pour oser me révolter? Que je passerais le reste de mon existence ici à dépérir en silence alors que Môssieur fait joujou avec la vie des autres sans la moindre considération? Que puisque je ne suis qu’un vulgaire Pantin sans importance ni hargne, je n’ai pas à l’ouvrir? Mais bon sang regarde Elizia! Regarde Florent! Vois ce qu’il leur a fait à l’un et l’autre sans la moindre gêne! Et regarde-moi Tessa! Je ne suis plus que l’ombre de ce que j’étais il y a des siècles! Il a tout détruit de moi lorsqu’il m’a rejeté, et cela a totalement transformé ma personnalité!
    Puis adoptant un ton plus doux, il ajouta :
    - Tessa, plus jamais rien ne sera comme avant désormais, et cela vaut également pour moi. Depuis que ces deux-là sont arrivés, tout, autour de nous s’est mis à changer, et si on ne met pas de l’ordre dans ce foutoir, personne d’autre ne le fera à notre place.
    - Et par « mettre de l’ordre » je suppose que tu veux dire mettre fin à la vie du Maître je me trompe?
    Hésitant à répondre, Adonis jeta un coup d’œil à Elie et Florent, cherchant leur approbation. Blottis l’un contre l’autre à l’autre de bout de la pièce, tous deux opinèrent de la tête sans pour autant quitter la Songeuse du regard.
    Reportant son attention sur Tessa, Adonis croisa les bras sur la poitrine et acquiesça.
    - En effet. Détruire le Maître est notre seule et unique solution si nous voulons changer notre vie de façon radicale.
    Un peu anxieux, il s’attendait à ce que surgisse une réplique cinglante qui l‘aurait remis à sa place et aurait relancé la dispute. Au lieu de cela, il vit progressivement les oreilles de Tessa se coucher avec lenteur sur son crâne, et Adonis crut avoir réussi à la convaincre. Mais sa réaction docile n’avait été qu’un leurre, et tous ces espoirs partirent en fumée dès qu’elle fronça les sourcils et renifla d’un air méprisant.
    - Espèce d’idiot de Pantin à la noix! Tu as bien faillit m’avoir, sauf que je ne suis pas née de la dernière pluie! J’ai bien écouté tout ce que tu avais à me dire, et j’en comprends le sens. Mais ce que je vois également, c’est que dans ton contrat pour ta libération si justifiée et si désirée… Il n’est pas question de moi. C’est donc que tu souhaites me laisser derrière-toi et m’abandonner ici…
    - Mais bien sûr que non! Il n’est d’ailleurs même pas question de ça! Attend, laisse-moi t’expliquer…
    - Ne te fatigue pas! Je n’ai pas besoin de tes serments creux ou de tes promesses en l‘air! Vous les hommes, Pantins, démons ou humains, n’avez toujours été et n’êtes encore et toujours que des menteurs! Tu m’avais juré que toi et moi resterions toujours ensemble, et que rien ne nous séparerait jamais! Que le lien qui nous unissait était indestructible, que toi et moi étions pareils et que nous nous supporterions ensemble dans notre douleur! Mais j’aurais dû me douter que tu étais comme tout ce qui est capable d’aligner deux pensées cohérentes dans ce monde et qui fonctionne par le « moi d’abord » et pratique surtout le « chacun pour soi » !
    S’élançant alors vers la porte d’un bond leste, elle gratifia les trois hommes d’un regard profondément meurtrier avant de gronder :
    - Ne croyez pas vous en sortir aussi facilement traîtres! Le Maître saura tout, et une fois que cela sera fait, jamais plus vous ne verrez la lumière du jour!
    - Tessa! Non! Attend!
    Adonis se redressa soudainement lorsqu’il comprit ce que Tessa s’apprêtait à faire et se précipita vers la porte de la Chambre comme un possédé. Mais à peine eut-il le temps d’en atteindre le seuil que déjà, la Songeuse disparaissait dans les profondeurs ténébreuses des Abysses. Et à mesure que l’éclat rubis de ses yeux s’éteignait au loin, un dernier courant marin qui le fit frissonner lui rapporta ces paroles :

    « A toi qui m’a trahit, retiens bien ceci :
    En tout temps, en tous lieux j’investirais tes cieux.
    Tu m’y verras à chaque pas, et sur mon reflet tu trébucheras.
    M’éviter tu ne pourras, car plongé dans mes songes tu seras.
    Me supplier, quémander ta liberté sera vain, car tes regrets des actes passés seront mes gains.
    Ainsi sera ma consolation, quand pour te défaire de moi tu n’auras la solution.
    Et jusqu’à ta fin, je serais celle, qui te donneras le venin mortel
    Alors n’oublie rien mon petit Pantin,
    Mon petit pion…car je sais et je bois, d’ores et déjà à ta punition! »

    ***

    S’adossant à la porte de la Chambre, Adonis rejeta la tête vers l’arrière.
    - Tessa tu es si injuste! Ne penses-tu pas à ma propre douleur? Toi et moi avons tous les deux droit à la liberté qui nous a été interdite, alors crois-tu réellement que je vais t’abandonner?
    Saisit d’une nouvelle détermination, le Pantin fit volte-face et ordonna d’une voix forte:
    - Elizia, retourne auprès du Maître. Il ne faut pas qu’elle y parvienne avant toi. Rassurez-vous, je tiendrais ma promesse et vous apporterait mon aide, mais il faut faire vite. Le plus important pour l’instant est d’obtenir son nom et d’empêcher Tessa de le prévenir.
    Sur ces mots, Adonis ouvrit la porte d’un geste brusque, et s’élança dans les Abysses, indifférent aux créatures qui peuplaient les lieux.
    Lorsqu’Elizia et Florent furent à nouveau seuls, leur première réaction fut de soupirer de soulagement, puis de se jeter dans les bras l’un de l’autre pour échanger un long baiser qui les laissa pantelants. Tous deux savaient qu’ils n’étaient pas passés loin de la catastrophe, et que sans cet enfant ils seraient mort dans d‘atroces souffrances. Mais grâce au Ciel, ce n’était pas le cas, et cette étreinte était pour eux le moyen de célébrer le fait qu’ils étaient encore bien vivants et en bonne santé.
    - Je t’aime Florent.
    Celui-ci serra Elizia plus fort encore contre lui.
    - Moi aussi je t’aime mon amour. Ca me brise le cœur de devoir te dire au revoir une nouvelle fois. Pourquoi ne pouvons-nous jamais rester ensemble assez longtemps pour savourer notre bonheur?
    Emu, Elizia lui caressa la joue.
    - Si nous le savions, nous ne serions pas ici, en train de nous débattre pour sauver nos vies et notre amour.
    Sache que si cela ne tenait qu’à moi, je resterais à tes côtés dans cette Chambre. Mais hélas ce n’est pas le cas. Adonis a raison, il faut que je parte.
    Le cœur serré, Florent eut un petit sourire triste.
    - Alors reviens-moi vite.
    - Aussi vite que je le pourrais. C’est promis.
    Déposant un dernier baiser sur les lèvres du jeune homme comme pour sceller la promesse qu‘il venait de faire, Elizia s’écarta ensuite de lui, la gorge serrée, et s’éloigna en direction de la salle de bain où il procéda rapidement à sa toilette. Laissant alors libre court à ses larmes, il entrepris de nettoyer son corps de l’odeur de Florent, incrustée sur sa peau et dans ses cheveux - le Maître allait sûrement deviner sa tromperie en fouillant dans ses pensées, mais il était hors de question de lui laisser la moindre preuve olfactive -, et lorsqu’il eut terminé, il retourna dans la Chambre pour enfiler sa tunique qui gisait encore au sol.
    Eviter le regard de son amant aurait été préférable pour son pauvre cœur malmené. Mais alors qu’il se dirigeait lentement vers le miroir qui semblait l’attendre sagement, il ne put s’empêcher de le regarder une dernière fois. Assis en tailleur sur ce lit immense, Florent fixait sur lui ses grands yeux verts, si beaux et si confiants, qui semblaient lui murmurer des paroles de réconfort : « soit courageux », « n’aie pas peur, je serais là à ton retour », « je t‘attendrais ».
    Le corps parcourut de frissons, Elizia déglutit. Son amant paraissait si seul et si fragile! Cela lui déchirait le cœur de l’abandonner. Mais il n’avait pas le choix, et encore moins le temps de s‘apitoyer sur son sort. Il devait se montrer fort, pour eux et pour le bébé. Trop de choses étaient en jeu.
    Bien conscient qu‘il n‘avait pas le droit à l‘erreur, Elizia se résolut à tourner le dos à Florent et ferma étroitement les paupières. Lorsqu’au bout d’un instant, il visualisa le repaire du démon, il prit une grande inspiration et s’exclama d’une voix forte :
    - Sorrel, conduit-moi à la Chambre du Maître!
    Puis, dans un éclair de lumière, il disparut.

     


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  • Partie 2.

    Assis dans un profond fauteuil de velours rouge sang, Idalgo ne l’entendit pas arriver tout de suite. Ce n’est qu’en percevant le bruit de sa respiration qu’il se rendit compte qu’Elizia se tenait à côté de lui, le regard humide et encore vêtu de sa tunique. Retenant un grognement furieux d’animal blessé, le Maître enfonça ses griffes dans le rembourrage moelleux de son fauteuil. Qu’est-ce que ce gamin fichait ici?
    Il ne l’avait pas appelé à lui, et la période de quarantaine qu’il lui avait fixée n’était pas encore arrivée à son terme! Il n’avait pas prévu d’être interrompu par qui que ce soit durant sa convalescence! Elizia arrivait chez lui comme un cheveu sur la soupe et il détestait qu’on bouscule tous ses plans!
    Mais outre le fait qu’Elizia ait surgit à l’improviste dans sa chambre, il y avait autre chose de bien pire qui le mettait hors de lui : pourquoi n’avait-il pas pressentit sa venue? Et pourquoi ne pouvait-il pas non plus sentir ses émotions ni entendre ses pensées? Voilà qui était effroyablement contrariant!
    S’enfonçant dans les coussins de son siège, le démon se passa une main sur le visage, en proie à un odieux vertige. Cette cécité sensorielle pouvait-elle être un effet secondaire des cocons? Une telle hypothèse était affreusement agaçante mais pouvait effectivement être possible. Il avait absorbé une si grande quantité de leurs fluides ces derniers temps que son corps, et sans doute ses pouvoirs, s‘en retrouvaient affaiblis. Il savait pertinemment que son corps démoniaque avait besoin de temps pour assimiler la surcharge de magie divine qu’il lui faisait ingurgiter de force. Mais tout ce temps gâché à attendre le rendait impatient, or il détestait particulièrement être impatient.
    - Qu’est-ce que vous faites?
    Le ton impérieux de son visiteur le fit presque sourire. Malgré les mois qu’il avait passé à le dresser, les semaines qui les avaient séparés et l’enfant qui grandissait en lui, le jeune homme n’avait pas changé d’un iotas. Il semblait même avoir repris du poil de la bête, et paraissait plus fougueux que jamais. Le contraindre à ses désirs n’allait pas être chose aisée dans l’état où il se trouvait. Mais il n’était pas démon que ce genre de défi rebutait. Avec un peu de chance, cela lui serait même facile malgré ses pouvoirs déviants.
    Tournant vers lui un visage, qu’il savait émacié, le Maître toisa lentement le jeune homme. Parcourant son corps un peu trop habillé de son regard si froid et bleuté. Pourquoi n’était-il pas en chemise de nuit? Ou encore mieux, nu?
    - Mon petit Elie…Que me vaux l’honneur de ta visite? Je ne t’ai pas convoqué.
    Avec une grimace, il constata que sa voix était rauque et lasse, et pas du tout intimidante et séductrice. Diantre, qu’il détestait être dans cet état!
    Sa colère enfla si subitement qu’une onde de choc se forma, et alla frapper violemment le mur d’en face. A côté de lui, Elizia sursauta. Mais le Maître, au contraire, savoura son petit effet, il aimait le chaos.
    - Et bien Elie? Que me veux-tu?
    Il constata avec plaisir, que sa voix avait retrouvé ses intonations habituelles. Peut-être que cela le mettrait-il dans de meilleurs dispositions?
    Elizia lui jeta un drôle de regard.
    - Pourquoi me le demandez-vous? N’êtes-vous pas sensé déjà tout savoir de ce que je pense?
    - Bien sûr que je le sais déjà Elie. Mais je veux te l’entendre dire.
    Était-il également devenu stupide en même temps qu’aveugle? Furieux contre lui-même, le Maître retint une nouvelle vague de colère. Il allait lui falloir se montrer plus prudent que cela!
    Exaspéré, Elizia leva les yeux au ciel, et marmonna de mauvaise grâce :
    - J’avais…J’avais envie de vous. Le bébé n’arrête pas de gigoter depuis cet après-midi, et cela m’a réveillé en pleine nuit. De…depuis, je n’arrive plus à dormir, et je…je ne fais que penser à vous.
    Etonné, le Maître haussa un sourcil. Voilà qui était étrange. Habituellement, la Conception ne provoquait pas de tels effets secondaires. Mais après tout, les circonstances n’étaient pas ordinaires, et bien qu’il ait déjà suivit de près la gestation de certaines démones, il n’était pas sûr à cent pour cent de ce qui pouvait arriver à un humain mâle arrivé presque à terme.
    - Alors tu me désires? Mmmh, intéressant. Peut-être que si tu me supplies, je serais d’humeur à accéder à ta requête.
    - Tss, vous jouez encore avec moi!
    - Bien sûr ! C’est pour cela que je t’ai dressé Elizia.
    Caresser et pincer jusqu’au sang les joues rouge vif de son jouet était très tentant. Mais celui-ci s’éloigna de lui avant qu’il ait eu le temps de le faire, et se réfugia près des immenses fenêtres de la chambre. Dégoûté par la manière dont le jeune homme contemplait la beauté trompeuse et écoutait le chant meurtrier du Mondrose, actuellement pleinement épanoui sous les rayons de la pleine lune, Idalgo s’extirpa de son siège et se servi un alcool fort. Avec un mauvais sourire, il se souvint de quelle manière - brutale et sauvage -, il avait pris Elizia encore et encore contre cette vitre tandis qu’il observait ce champ de roses rouges. Il espérait que son jouet s’en souvenait encore lui aussi. Ce dont il aurait eu la confirmation si ses pouvoirs sensoriels fonctionnaient! Néanmoins, si ce n’était pas le cas, il allait se faire un plaisir de le lui rappeler!
    - Qu’est-ce donc que cette étendue de roses?
    Amusé par leur synchronisation, Idalgo retourna s’asseoir. Savourant la brûlante sensation du liquide au fond de son estomac de reptile.
    - Je crois t’avoir déjà proposé de te l’expliquer une certaine nuit Elie. Mais étrangement, tu n’as rien voulu savoir, et je t’ai puni pour ce refus. Ce fut d’ailleurs une merveilleuse punition, il m’est avis de la réitérer.
    Le visage impassible, le jeune homme passa une main sur son ventre et s’assit sur le rebord de la fenêtre.
    - A ce moment-là, mon refus était justifié. Vous veniez tout de même de me violer! Alors expliquez-moi d’abord, et ensuite, vous pourrez me punir comme vous désirez le faire…Maître.
    Ronronnant de satisfaction, le Maître plissa les yeux de convoitise, sa langue humidifiant lentement ses lèvres rouges et pulpeuses.
    - Mmmh, une condition? Pourquoi pas? Après tout, ce n’est pas comme si je devais mériter ma récompense.
    Croisant ses longs doigts sur son estomac, l’incube leva les yeux vers la lune et laissa son regard s’abîmer dans sa lumière argentée.
    - Comme tu viens de le dire, il s’étend sous nos pieds une mer de roses rouges. Il y a plusieurs millénaires, d’autres démons et moi-même parlions une langue dure, froide et dont chaque mot et sonorité recelait une signification. Cet immondice rougeâtre se nomme le Mondrose, ce qui signifie « Rose de Lune » car ces roses n’apparaissent qu’une fois la nuit tombée et n’entonnent leur chant nocif pour ma santé que lors d’une pleine lune comme celle-ci. Et si tu as un peu de jugeote, je pense que tu auras deviné l’origine du nom de cette école, car si l’emblème de la Mondrose High School est une rose dans un cercle lunaire, c’est pour une bonne raison. Ai-je satisfait ta curiosité? Ou as-tu d’autres…condition à m’imposer avant de me donner mon dû?
    Attirant le jeune homme à lui dans un geste d’une rapidité inouïe, le Maître, l’installa sur ses genoux et lui caressa le cou du bout de des doigts
    - Et bien? Aurais-tu perdu ta langue?
    Elizia plongea son regard sombre dans le sien. Aucune étincelle de vie de semblait l’habiter, mais cela lui importait peu pour le moment. Tout ce qu’il voulait, c’était son corps.
    - Non Maître. Je n’ai plus de questions ou de conditions, vous pouvez maintenant faire de moi ce que vous désirez.
    - Mmmh, j’aime quand tu ne montres aucune résistance. C’est étonnant, et assez rare venant de toi, mais c’est extrêmement rafraîchissant.
    Glissant une main mutine sous la tunique du jeune homme, le Maître caressa d’abord son ventre rond et gonflé, avant de remonter lentement vers son torse, dont il taquina les extrémités rosées. Le sentant frissonner sous ses caresses, il accentua la pression de ses doigts jusqu’à obtenir les gémissements désirés, et au moment où il le sentit durcir contre son bras, le Maître déchira le tissu. Mettant à nu le corps si tentant de son jouet, le faisant rapidement saliver.
    Depuis combien de jours n’avait-il pas mangé à sa faim? Il ne le savait même plus! Pendant des semaines, l’incube était parvenu à brider sa faim avec suffisamment de fermeté pour s’empêcher de se ruer dans la chambre d’Elie pour se sustenter. Mais à présent qu’il était là nu devant lui, si appétissant, offert et vulnérable, plus rien le retenait. Il avait atrocement faim de sexe et de plaisir, et malgré son apparente faiblesse, Idalgo n’allait faire qu’une bouchée de lui.
    Transportant son repas jusqu’au lit aux draps de satin rouge, le Maître se dévêtit à son tour, et s’allongea près de lui, une lueur affamée dans le regard. Passant une main gourmande sur l’ensemble de son corps hâlé, il en savoura la texture douce et ferme sous ses doigts, et poussa un ronronnement de plaisir lorsqu’il s’aperçut qu’Elizia ne portait pas de sous-vêtement.
    - Oh, le petit coquin. Où est donc passé ton caleçon mon ami? L’aurais-tu égaré, ou l’as-tu délibérément retiré avant de venir me voir?
    Elizia le regarda en oblique.
    - Ne connaissez-vous pas déjà la réponse à votre propre question?
    Pour une obscure raison, ce regard qu’Elizia lui avait lancé l’avait mis mal à l’aise. Or, d’habitude, jamais rien ne le mettait mal à l’aise!
    Faisant glisser sa langue sur toute la surface de son torse avec application, l’incube murmura toute contre sa peau frémissante.
    - Oui Elie, je connais déjà la réponse. Mais comme pour tout à l’heure, je veux te l’entendre dire. Alors? As-tu sciemment retiré ton sous-vêtement pour moi?
    Puis sans attendre la réponse, il suça un à un les tétons dressés. Enroulant puis déroulant progressivement sa langue autours d’eux, il les cajola avec une dextérité diabolique, alors que ses mains poursuivaient leurs caresses un peu plus bas, tellement plus bas… Surpris de sentir subitement les doigts chauds et taquins du Maître sur son sexe, Elizia poussa un long gémissement, qui fût une véritable mélodie pour le Maître. Il exhala dans un souffle :
    - Je…Oui, je…Je l’ai fait exprès…
    - Menteur.
    Le Maître ne savait pas exactement pourquoi - comme cela l’humiliait de l’admettre -, mais il était certain que jamais Elizia n’aurait fait une chose pareille à dessein pour lui plaire à lui. Cela ressemblait tellement peu à son caractère têtu et borné! Il ignorait la raison qui le poussait à lui mentir alors qu’il savait ne rien pouvoir lui cacher, mais il finirait bien par connaître la vérité.
    Néanmoins, cette chasse aux cartes allait devoir attendre, car pour le moment, le Maître avait bien mieux à faire.
    Sa langue, qui s’activait sur le torse et le ventre arrondis d’Elizia, quitta progressivement cette zone pour se concentrer longuement sur la peau tendre et brûlante située à l’intérieur de ses cuisses, puis un peu plus tard, directement sur sa verge. Ici, les terminaisons nerveuses étaient si sensibles qu’à chaque passage de sa langue humide, le jeune homme gémissait et se tortillait comme un damné.
    Amusé, l’incube se mit à glousser.
    - Mmmh, comme tu es mignon Elie. J’avais oublié à quel point tu pouvais être sensible. Cela doit d’ailleurs être bien pire maintenant que tu portes notre enfant non? Attend, laisse-moi vérifier.
    Humidifiant longuement un de ses doigts, sans jamais cesser ses allées et venues sur son sexe tendu, le Maître caressa lentement l’entrée de son intimité rosée avant de le pénétrer franchement d‘un geste vif, et d’admirer le spectacle de ce corps qui se cambrait de désir et semblait être sur le point de jouir.
    Il eut un petit sourire cruel.
    - Et bien, et bien, et bien! Quelle réaction mon cher! Personne ne t’as donné de plaisir durant cette quarantaine? Voilà qui va rendre nos ébats époustouflants! Mets-toi donc sur le ventre Elie, il n‘est plus temps de jouer.

    ***

    Docile, Elizia obéit, et ne dit rien lorsque l’incube lui replia les genoux sous le menton et lui glissa un oreiller sous le ventre dans le but de relever ses hanches et d’amortir ses retombées sur le matelas. Il serrait les dents en prévision de la douleur qui allait lui vriller le bas du dos, lorsque quelques coups à la porte se firent entendre, les interrompant, le Maître et lui, dans leurs ébats.
    L’onde de colère et de contrariété qui émanait du Maître était si puissante, qu’il en ressenti les effets jusque dans ses veines. Il en resta étourdit un long moment, mais pas suffisamment pour ne pas comprendre ce qu’il était en train de se passer.
    Tessa venait d’arriver devant la porte de la chambre. Elle allait essayer de l’arrêter!
    - Qui c’est?
    - C’est Tessa mon Maître.
    Interloqué, le jeune homme tenta de cacher son trouble le mieux possible. Pourquoi l’incube n’avait-il pas senti qu’il s’agissait de la Songeuse derrière la porte? Comme tout cela était étrange! Depuis qu’Elizia était arrivé dans la chambre, le Maître n’avait de cesse de lui poser des questions au lieu d’imposer ses affirmations habituelles! Peut-être se trompait-il, mais, et s’il avait raison? Et s’il y avait effectivement quelque chose qui ne tournait pas rond chez ce démon?
    - Qu’est-ce que tu veux? Je ne suis pas d’humeur à te recevoir. Reviens plus tard, je suis occupé.
    - Je n’en doute pas mon Seigneur, mais j’ai des choses importantes à vous dire! Il faut que…
    - J’ai dit NON!
    Un miaulement de douleur retentit soudainement derrière la porte. Ce son exprimait une telle souffrance qu’Elizia frissonna. Certes, il était soulagé que Tessa n’ait rien pu dire au Maître, mais que lui avait-il donc fait?
    Sentant que toute l’attention du démon s’était à nouveau focalisée sur sa personne, le jeune homme vit son petit moment de victoire s’envoler et enfonça la tête dans un oreiller dont il mordit le tissu, frissonnant de dégoût - et d’envie malgré lui à cause de cette zone palpitante entre ces fesses - au moment où ses longs doigts osseux et froids enserrèrent ses hanches. Et lorsqu’autre chose, de plus grand, plus chaud et dur, poussa doucement sur son intimité serrée, Elizia serra les poings sur les couvertures et focalisa toutes ses pensées sur Florent, priant le Ciel pour que le Maître ne les perçoive pas.
    - Bien, reprenons où nous en étions.
    Mais qu’il perçoive ou non ses pensées ne fut bientôt plus sa priorité, car au moment où le membre chaud et dur pénétra en lui, il n’eut plus rien en tête que la douleur crue et immédiate qui lui vrillait les reins et le faisait gémir jusqu’aux larmes. Ainsi possédé dans cette position humiliante, Elizia se demanda si un démon pouvait être davantage maudit qu’il ne l’était déjà. Et alors qu’il s’appliquait avec ferveur à le vouer aux pires châtiments divins, quelque chose commença à changer au creux de son corps. La douleur et la honte s’évaporaient peu à peu, laissant alors derrière elles quelque chose d‘étrange, une sensation unique qu’il n’avait jamais ressenti auparavant durant son coït avec l’incube, mais qui ne lui était pas totalement étranger non plus. C’était à la fois doux et reposant, générateur de somnolence et d’une impression de lourdeur très satisfaisante. Qu’était-ce donc que cela?
    Ainsi projeté dans le tourbillon de ses émotions, il lui était pratiquement impossible de décrire exactement ce qui lui arrivait. Mais au fur et à mesure que l’incube le gratifiait d’amples coups de reins, la pression qui menaçait d’exploser au fond de lui, fini par éclater en une multitude de sensations contraires, et il hurla son plaisir en même temps que celui du Maître avant de retomber d’un seul coup sur les draps. Evanouis.

    Lorsque plus tard, Elizia s’éveilla ce fût avec une douleur fulgurante au creux des reins et une étrange sensation dans le ventre. Se redressant avec précaution sur son séant, il se caressa l’abdomen, et fronça les sourcils, perplexe. Il avait l’estomac lourd, comme s’il avait avalé un copieux repas la veille. Or ce n’était pas le cas! En réalité, il n’avait rien absorbé depuis le petit déjeuner d’hier matin, et en toute logique, il aurait dû se sentir affamé! Alors pourquoi n’était-ce pas le cas?
    Renversant la tête contre son oreiller, Elizia eut un moment de flottement et commença à somnoler. Il n’avait pourtant fait que se soumettre au désir sexuel du monstre qui dormait à côté de lui. Bien sûr, il s’était montré docile dans le seul de l‘occuper pour qu‘il rejette Tessa, mais tout de même! Tout cela n’expliquait pas pourquoi il se sentait si…Rassasié.
    Alors c’était cela? Avait-il fait un repas sans le savoir? Et plus important, l’avait-il consommé seul?
    Ouvrant brusquement les yeux, Elie se redressa à nouveau et fixa son ventre nu, l‘air un peu inquiet. Au bout d’un long moment passé à observer son ventre, le bébé daigna enfin donner un petit coup de pied - qui en déforma un instant la rotondité avant que la peau encore élastique ne reprenne sa place et sa forme initiale -, comme s’il avait voulu lui dire « Salut papa, oui c’est bien moi qui t’ai joué un sale tour! Comment vas-tu faire maintenant pour vivre avec ça? ».
    Exhalant un long soupir las, le jeune homme s’extirpa hors du lit et s’enferma à double tour dans la salle de bains. Il avait besoin d’une douche maintenant, et d’une longueur de temps extraordinaire de préférence, car ce qu’il venait de réaliser dépassait en puissance tous les cauchemars les plus fous qu‘il avait pu faire ou entendre de sa vie.
    Son enfant se nourrissait du Maître et des émotions qu’il ressentait durant leurs rapports. C’est donc qu’il aurait encore besoin de cet apport démoniaque à l’avenir, et Elizia n’était pas près d’accepter ça. C’était une réalité bien trop terrifiante pour qu’il l’admette complètement, mais il savait également qu’il n’avait pas le choix. Car tôt ou tard, ce besoin se ferait sentir, et il ne pourrait pas lutter contre lui. Que l’intention soit calculée ou pas, cet incube avait encore une fois réussi à le piéger comme une souris de laboratoire sans qu’il ne s’en aperçoive. Mais sa fin était proche, et le jeune baron allait se faire un plaisir de participer à sa chute!

    Emergeant quelques minutes plus tard de la pièce d’eau sans rien d’autre pour habit qu’un drap noué autour des hanches, Elizia lorgna la carafe de whisky d’un air torturé et préféra s’installer sur le sofa plutôt que sur le lit. Grommelant longuement sur les méfaits de la procréation et sur le fait que s‘il avait pu, il ne se serait pas gêné pour siffler le contenu ambré d‘une seule gorgée, le jeune homme chercha des yeux quelque chose à manger. Mais ne voyant rien, il dû faire appel à Sorrel, qui aussitôt, fit apparaitre devant lui un plateau chargé de nourriture. Il aurait dû se souvenir que le Maître n’ingérait pas d’aliments solides. Tout ce dont il se nourrissait, c’était de…lui.
    Ecœuré par cette pensée, Elizia faillit en perdre l’appétit. Mais heureusement pour lui, cet apport alimentaire rendait Bébé enthousiaste, et c’est avec émotions qu’il le sentit bouger contre les parois de son ventre, bondissant contre lui comme s‘il était un ballon dans une piscine.
    Caressant son ventre pour le calmer sans cesser de manger, le jeune homme vit soudainement sa douce quiétude partir en fumée lorsque le Maître - qui semblait faire des mauvais rêves - s’éveilla en sursaut, le faisant bondir de peur lui aussi.
    - Et bien! Vous avez le chic pour me fiche la trouille Idalgo. Vous ne devriez pas effrayer votre Réceptacle de cette façon, ou sinon je vais mettre bas plus vite que prévu! Avez-vous fait de beaux rêves?
    Paraissant un instant dérouté, le Maitre repris bonne contenance assez rapidement lorsqu’il vit qu’Elizia le regardait avec ironie. Il nota également le sarcasme et lui offrit un sourire de chat.
    - On ne dit pas « mettre bas » petit ignorant. Mais « donner la vie ». N’est-ce pas plus poétique ainsi? Et sache que mes rêves, si t’en est que j’en ai, et ce qu’ils contiennent, ne te regardent pas.
    Pas le moins du monde amusé par le synonyme édulcoré, Elizia leva les yeux au ciel avant d’enfourner un grain de raisin entre ses dents. Il prit note de la rebuffade : pas de questions sur les rêves.
    Qu’à cela ne tienne, il en avait tout un panel sous le coude! Et encore bien d’autres derrière la tête!
    - Vous vous croyez spirituel, mais j’ai toujours mal aux reins, et ma silhouette est toujours aussi déformée. Comme tout cela c’est à vous que je le doit, j’estime encore avoir le droit de qualifier la fin de toute cette mascarade anormale comme je l’entends.
    Visiblement amusé, le démon lui rétorqua :
    - Oh pauvre bébé. Tu entends la façon dont ton papa parle de toi et de ta future venue au monde? Comme c’est vilain de ta part Elizia! Atrocement vilain!
    Durant un moment, Elizia fut tenté de lui dire d’aller se faire voir chez les Grecs. Mais cet enfant savait pertinemment ce qu’il ressentait pour lui, et il ne gagnerait rien à rétorquer de cette façon. Il n’avait pas envie de se laisser entrainer dans un échange puéril d’insultes, très certainement calculé pour que les mots dépassent sa pensée, que la situation se retourne contre lui et qu’ainsi, tout un panel de punitions soigneusement préparé voit son application justifiée, le faisant alors regretter d‘être né et procurant ainsi au Maître une source immense d‘amusement et défoulement. Ce genre de tactique avait bien fonctionné sur lui durant un temps, mais depuis, il en avait retiré les leçons qui s’imposaient, et c’était à lui d’être plus malin que son adversaire.
    Finissant tranquillement de mâcher le morceau de pain beurré qu’il s’était fourré entre ses dents, Elizia pela soigneusement une banane, et lança, l’air de rien :
    - Dites-moi, vous savez que vos précieux élèves disparaissent tous les jours? Enfin, ma question est stupide! Vous êtes omniscient, bien sûr que vous le savez! Autrement, j’aurais de quoi m’inquiéter. Me dire où ils vont vous poserait-il un problème?
    Elizia ne battait pas des cils, mais l’intention n’était pas loin. Ce fût d’ailleurs ce qu’Idalgo comprit aussi, car il ricana méchamment.
    - Ne cherche pas à m’amadouer pour que je réponde à tes questions Elie, cela est inutile. Rappelle-toi bien que je le ferais si je le désire, et n’essaie plus d’imiter les charmes féminins à l‘avenir, tu n’as rien d’une femme. Et en ce qui concerne tes « amis », je suis en quelque sorte…désolé pour toi, si je puis dire. Oui, c’est le mot. Car je ne sais absolument pas où ils se trouvent. Sans doute sont-ils en train de fermenter doucement dans l’estomac d’un de mes amis qui a dû faire le ménage là-haut? Mais qu’importe? Après tout, je m’en moque. Leur rôle en ces lieux n’a été que très secondaire, car ils ne sont que de la nourriture, et leur présence n’était requise pour ce rôle. Rôle qu’ils ont d’ailleurs très bien tenu d’après les échos que j’en ai eu…
    Glacé par l’horreur, Elizia sentit son estomac de tordre. Il lui était désormais impossible de continuer à manger. Bébé n’allait pas être content, mais c’était plus fort que lui. Imaginer tous ces corps innocents ensanglantés et déchiquetés le rebutait, et il n’osait même pas penser à ce à quoi Célestina et Olivia pourraient ressembler si jamais elles tombaient entre les mains de la chose qui hantait les couloirs de ce château des horreurs!
    Frissonnant par paliers progressifs, le jeune homme tenta de retenir une grimace. Comment cet être malfaisant pouvait-il lui balancer de pareilles horreurs avec autant de décontraction? C’était inhumain! Serrant les poings pour maîtriser les tremblements de ses mains, Elizia fixa un point imaginaire au-dessus du lit à baldaquin pour tenter de retrouver son clame. Le constat était pitoyable, mais il devait admettre que toute sa belle assurance avait fondu comme neige au soleil avec cette épouvantable histoire! Il n’était pas certain de parvenir à continuer son interrogatoire jusqu’à la fin, même s’il savait que les prochaines réponses à ses questions revêtiraient une importance capitale s’il parvenait à les obtenir.
    - Vous n’avez pas honte de dire ce genre de choses, alors que vous ne pensez pas un seul mot de repentir? Mais quelle question, suis-je bête! Vous êtes un démon! Vous n’avez pas de cœur, la compassion et le respect de l’autre, vous ne connaissez pas.
    - Bien sûr que je connais tout ça petit homme. Tu oublies que j’ai des millénaires de plus que toi, tu es un insecte par rapport à moi, et contrairement à ce que tu peux penser, j’ai eu le temps d’expérimenter toutes les émotions! Et laisse-moi te dire que celle qui est de loin la plus grisante, c’est la haine! Ah! Aucun autre sentiment n’est plus plaisant ni plus blessant que la haine pure et sauvage! Pas même l’amour que tu semblais défendre avec tant d’ardeur lorsque tu es arrivé ici!
    Idalgo continuait de parler, mais il effectuait sans le savoir un monologue qui prenait peu à peu des airs de soliloque, car Elizia n’avait retenu qu’une seule chose de ce discours qui n’avait pas plus de sens pour lui qu’une page de livre écrite en hiéroglyphes. Le Maître avait dit de lui qu’il semblait défendre l’amour, et non qu’il défendait l’amour. Pourquoi avait-il parlé au passé alors qu’il aurait dû conjuguer cet état de fait au présent? Croyait-il réellement qu’il avait renoncé à ses sentiments?
    Avalant une gorgée d’eau pour se donner du courage, Elizia garda cette pensée dans un coin de sa tête et enchaina sur une autre question, tentant de garder le ton le plus léger possible :
    - Je vois que vous êtes fier de ce que vous êtes. Mais je trouve que votre prénom ne vous convient pas du tout et je me demande même si vous vous nommez réellement ainsi. Idalgo, cela fait trop humain, trop…ordinaire. Pour un démon âgé de millions d’années, j’aurais imaginé quelque chose de plus ancien, de plus intimidant.
    Naïvement, Elizia crut que le Maître allait encore une fois se mettre à rire et se moquer de sa bêtise avant de lui faire une leçon sur les avantages pour un démon d’avoir un nom passe-partout. Mais étrangement, ce fut un silence glacial qui suivit sa question, et il s’attendait si peu à cette réaction qu’il leva les yeux de son assiette.
    Le regard bleu qui intercepta ses prunelles était d’un froid si glacial qu’il sentit ses os geler jusqu’à la moelle. Visiblement, sa question avait fait mouche, et elle n’avait pas l’air de lui plaire.
    - D’où te vient une question pareille Elie?
    La voix à ses oreilles paraissait onctueuse. Mais il ne fallait pas être un expert pour deviner qu’en-dessous de toute cette apparente guimauve, se cachait la lave en fusion d’un volcan bouillonnant.
    Il allait lui falloir être prudent.
    - Je ne sais pas trop. C’est une idée qui m’est venue comme ça en vous revoyant.
    - Ah oui. Ça t’est venu comme ça…
    - Oui.
    Pourquoi ne voyait-il pas qu’il mentait?
    - J’ai pensé que peut-être je me faisais des idées, et que vous voudriez bien m’éclairer sur le sujet. Est-ce que je me suis trompé?
    Son étonnement allait croissant. En face de lui, le Maître se tenait droit comme un « i » sans daigner desserrer les mâchoires tant il bouillonnait de fureur, et il ne sentait pas son mensonge pourtant aussi gros qu‘une maison? Le phénomène était trop beau pour être vrai, mais il ne pouvait empêcher son cœur de battre d’optimisme.
    - Alors Maître? Est-ce que je peux espérer obtenir une réponse de vous?
    Leurs regard s’accrochèrent de nouveau, refroidissant le corps du jeune homme jusqu’aux tréfonds de son être, et la réponse tomba, implacable:
    - Non.


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